Refus de remettre à une mère les gamètes de son fils décédé

Publié le 15 Sep, 2022

Le 15 juin dernier, la Cour de cassation était saisie[1] par la mère d’un jeune homme décédé à 23 ans d’un cancer et qui avait procédé au dépôt de ses gamètes auprès du CECOS[2] relevant de l’AH-HP. Un tel dépôt est en effet permis par la loi lorsqu’une personne doit subir un traitement qui l’expose à un risque d’infertilité. La mère demandait la « restitution » des gamètes de son fils décédé et sa demande est rejetée. Décryptage par Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé, porte-parole et directrice juridique de l’association Juristes pour l’Enfance.

 

Gènéthique : Que dit exactement cette décision ?

Aude Mirkovic : Cette décision est l’aboutissement d’une longue procédure. Après le décès de son fils, la mère a d’abord demandé la permission d’exporter les gamètes vers un établissement de santé situé en Israël, sans doute pour y réaliser une GPA bien que cela ne soit pas précisé dans l’arrêt.

Sa demande d’exportation des gamètes ayant été rejetée par le Conseil d’Etat, elle a exercé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, sans succès.

Elle a alors assigné l’AP-HP devant le juge judiciaire cette fois, pour que lui soient restitués les gamètes de son fils. Elle invoquait la voie de fait qui rend les juges judiciaires compétents dans un litige concernant une structure publique comme l’est l’APH-HP. Mais la voie de fait ne permet au juge judiciaire d’intervenir qu’en cas d’atteinte à la liberté individuelle ou au droit de propriété.

Or la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas d’atteinte au droit de propriété car les « gamètes humains ne constituent pas des biens » au sens du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à la protection du droit de propriété, « eu égard à la portée économique et patrimoniale attachée à ce texte ».

Par ailleurs, la liberté de procréer n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle susceptible de caractériser une voie de fait.

Elle en déduit donc qu’il n’y a pas ici de « voie de fait » et se déclare incompétente pour connaître du litige. La juridiction compétente est la juridiction administrative, mais celle-ci a déjà été saisie et a déjà approuvé le refus d’exportation des gamètes opposé par l’AH-HP, comme la loi le prévoit : en cas de décès de la personne dont les gamètes sont conservés, il est mis fin à la conservation des gamètes. Autrement dit, ils sont détruits.

Il résulte donc de cette affaire qu’une veuve ne peut pas récupérer les gamètes de son fils décédé et que le refus qui lui a été opposé n’est pas susceptible de constituer une voie de fait.

G : Comment comprendre la demande de cette mère de récupérer les gamètes de son fils, dès lors que la PMA post-mortem demeure interdite en France ?

AM : En effet, la PMA post-mortem est interdite en France puisque la loi française exige que les candidats à la PMA soient vivants à toutes les étapes du processus. L’AH-HP n’avait fait qu’appliquer la loi en refusant de remettre les gamètes à la mère. Cependant, cette dernière a tenté d’obtenir gain de cause en justice, sans doute encouragée par la jurisprudence développée depuis quelque temps qui consiste à juger « en proportionnalité » : concrètement, les juges constatent ce que dit la loi, en l’occurrence qu’elle interdit l’utilisation des gamètes après la mort de l’intéressé, mais ils recherchent ensuite si, dans le cas qui leur est soumis, cette interdiction légale ne porte pas à la vie privée du requérant une atteinte disproportionnée. S’ils estiment l’atteinte disproportionnée, alors ils passent outre. C’est ainsi que des femmes veuves ont pu obtenir l’autorisation, en justice, de récupérer les gamètes de leur époux défunt pour aller se faire inséminer en Espagne, alors même que la loi française interdit de poursuivre le projet de PMA une fois l’homme décédé.

De façon un peu schématique, la « loi » ne vise plus aujourd’hui la moindre transcendance, elle ne cherche plus à se conformer à des valeurs supérieures, à commencer par la justice. La loi n’est qu’une affaire de volonté, volonté générale soi-disant, et dans ce contexte chacun tente de faire prévaloir sa volonté car pourquoi obéir à ce qui n’est que la volonté des autres ? Ce n’est pas très motivant. C’est déjà difficile de renoncer à ses désirs si la limite pour les réaliser repose sur une référence objective, le bien, le bien commun, englobant ici le bien des enfants à naître de ces pratiques. Mais renoncer à un désir profond uniquement parce que certains ont décidé ceci ou cela, c’est insupportable, et c’est pourquoi les gens n’ont plus la moindre hésitation à contourner la loi dès qu’ils le peuvent car ils ne voient pas pourquoi la volonté des quelques députés ou quelques juges devrait s’imposer à eux.

G : Est-ce que la loi ne devrait donc plus rien dire ?

AM : Si bien sûr, mais il faut arrêter dans le même temps de professer un relativisme généralisé qui affirme qu’il n’y aurait pas de morale, pas de bien ni de juste objectif, que chacun fait ce qu’il veut et que tous les choix de vie se valent, notamment en matière de procréation. Ensuite, personne ne supporte plus de ne pas faire en effet ce qu’il veut, et les gens soient contournent directement la loi s’ils le peuvent, soit se lancent dans des procédures comme celle-ci en espérant qu’un juge écartera la loi pour eux, tout simplement.

G : Alors qu’aux Etats-Unis, un enfant a « hérité » des embryons fabriqués par ses parents (cf. Il « hérite » des 11 embryons congelés par ses parents), la décision française consacre-t-elle la particularité des éléments du corps humain ?

AM : La particularité des éléments du corps humain est déjà consacrée par la loi, bien que leur régime soit tout sauf clair. Le législateur ne procède pas dans le bon ordre : il faudrait d’abord réfléchir à ce que sont les éléments détachés du corps humain et au statut qu’on veut leur donner en conséquence. On peut alors adopter des règles cohérentes. Le législateur contemporain fuit les questions de principe, parce qu’il refuse justement de se référer à des principes. Il se contente d’adopter des règles, éparses : tant qu’il n’y a qu’une situation simple, des gamètes congelés et un couple en processus de PMA, cela suffit. Mais dès que cela se complique un peu, par exemple si l’homme décède et que sa veuve, ou sa mère, réclame les gamètes, alors l’absence de réflexion sur le statut des éléments du corps et leur relation à la personne et aux autres se fait cruellement sentir. Les gens saisissent la « justice », et par exemple certaines veuves ont obtenu la remise des gamètes de leur mari, d’autres non. La mère ici s’est vu refuser les gamètes de son fils, mais une autre pourrait obtenir gain de cause. L’imprévisibilité du droit, et l’insécurité juridique qui en résulte, sont la conséquence du refus de se référer à des valeurs objectives, et donc communes à tous. Je ne dis pas qu’il est facile de définir le contenu objectif du juste, mais c’est déjà une démarche, un objectif. Devant les juridictions, personne ne cherche ni même n’invoque le juste, le bien en soi. C’est un rapport de force qui se joue le plus souvent, c’est-à-dire tout le contraire du droit !

Juste un mot sur l’affaire américaine que vous évoquez : rien que le fait de mettre sur le même plan les gamètes et les embryons est une fausse route de départ. Un embryon est biologiquement un individu alors que les gamètes sont des produits du corps. La loi française les met elle aussi dans le même sac, la même catégorie si on veut parler en termes plus juridiques, et c’est déjà une erreur car ils n’ont pas la même nature et ne devraient pas être traités de la même manière. Mais, pour se rendre compte de cela, il faudrait accepter d’aborder la question de la nature des gamètes, de la nature des embryons, c’est-à-dire ce qu’ils sont, tout simplement. Tant que ce genre de recherche sera écartée d’emblée des débats législatifs, on a bien peu de chances d’adopter des lois cohérentes et donc convaincantes. Et des mères continueront à saisir la justice pour obtenir l’inconcevable, parce que la limite légale a perdu toute crédibilité.

 

[1] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 juin 2022, 21-17.654, Publié au bulletin – Légifrance

[2] Centre d’Études et de Conservation des Œufs et du Sperme humains

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

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Maître de conférence en droit privé, Porte-parole et Directrice juridique de l'association Juristes pour l'Enfance

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