Un récent article de la revue Science&Santé analyse la position de l’Union Européenne en matière de recherche sur l’embryon humain. Cet article complété d’une étude plus approfondie dans la revue Nature est l’occasion de revenir sur le régime de brevetabilité de l’embryon.
Depuis 2008, trois demandes de brevet déposées à l’Office Européen des Brevets (OEB) ou traitées par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), concernant des inventions issues de la destruction d’embryons humains, ont été rejetées. L’OEB et la CJUE maintiennent et précisent au fil des affaires une position commune dans ce domaine qui impacte les stratégies de recherche dans l’Union Européenne.
L’OEB et les brevets
Les brevets délivrés par l’OEB permettent la protection d’une « invention », pour une période limitée, dans un maximum de 40 pays européens. L’invention peut porter sur un produit, un procédé ou un dispositif. Pour être brevetable, elle doit être nouvelle, susceptible d’application industrielle et impliquer une activité inventive. Le brevet donne à son titulaire le droit d’interdire à des tiers de fabriquer, d’utiliser ou de vendre l’invention sans son consentement. Dans les trois cas étudiés ci-dessous, les brevets demandés auraient permis aux demandeurs de préserver et d’exploiter commercialement les résultats découlant de leurs recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh).
La délivrance de trois brevets refusée
Les décisions rendues depuis 2008 par deux instances indépendantes, l’OEB et la CJUE, permettent d’affirmer que la plupart des lignées de CSEh aujourd’hui disponibles ne peuvent être utilisées pour obtenir un brevet européen.
En novembre 2008, une première demande émanait de la WARF[1] (université de Wisconsin-Madison, Etats Unis) qui souhaitait breveter une lignée de cellules souches embryonnaires humaines dans l’Union Européenne. L’OEB a refusé la demande : « A partir du moment où un embryon est détruit, que ce soit au cours des travaux de recherche ou lors du développement industriel, la délivrance de brevet n’est pas possible » (cf Synthèse de presse du 28 novembre 2008).
En octobre 2011, Oliver Brüstle s’est vu refuser un brevet pour une méthode de production de précurseurs neuronaux[2] destinés au traitement de maladies neurodégénératives. C’est la Cour de Justice Européenne, consultée par la cour fédérale allemande de justice, qui a rendu sa décision : « La destruction d’embryons, même antérieure au processus d’invention exclue toute possibilité de brevet » (cf Synthèse de presse du 20 octobre 2011).
Enfin, dernièrement, en février 2014, la fondation israélienne Technion a demandé un brevet pour une méthode de maintien des cellules souches embryonnaires humaines dans un état indifférencié. L’OEB a maintenu sa position : « Même si les chercheurs n’ont pas eux-mêmes détruit des embryons humains, la simple utilisation de cellules souches provenant d’embryons humains antérieurement détruits suffit à rendre l’invention non brevetable ».
Dans l’arrêt Brüstle, la CJUE avait jugé que la notion d’“embryon humain” comprenait les ovules humains non fécondés induits à se diviser et à se développer par voie de parthénogenèse[3]. Elle est revenue sur cette définition en décembre 2014 dans l’affaire dite International Stem Cell Corporation. Dans ce nouvel arrêt, la CJUE juge qu’un « ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer ne constitue pas un ‘embryon humain’ (…) si, à la lumière des connaissances actuelles de la science, il ne dispose pas, en tant que tel de la capacité intrinsèque de se développer en être humain. » La Cour a jugé que de tels ovules étaient brevetables, ce qui ne manque pas de poser un certain nombre de problèmes éthiques[4] (cf Synthèse de presse du 18 décembre 2014).
Etude 2015 : les conséquences de la position de l’OEB et de la CJUE sur les stratégies de recherche
Certains chercheurs européens se plaignaient des difficultés à mener un programme de recherche sur ou avec des CSEh, du fait de la « mosaïque législative européenne » sur la question. Mais les précédentes décisions de l’OEB et de la CJUE ne leur permettent pas, de toute façon, d’exploiter commercialement les résultats qui découlent de leurs recherches sur ou avec des CSEh. Ces décisions encouragent la recherche sur des cellules souches d’autre origine, telles que les iPS.
Dans un article publié dans la revue Nature, sous la direction d’Anne Cambon-Thomsen, cinq chercheurs font l’inventaire des impacts des arrêts Brustle et Technion sur la recherche :
- Les entreprises ne finançant pas de recherches sans que ces dernières soient protégées par un brevet, les investissements privés pour la recherche sur ou avec des CSEh devraient diminuer mais cette assertion est à nuancer car la recherche fondamentale est généralement financée par des investissements publics.
- L’obstination de certains chercheurs européens pourrait les conduire à faire breveter leurs découvertes aux Etats Unis ou en Asie où de tels brevets peuvent être obtenus. A contrario des chercheurs tout aussi obstinés, américains ou asiatiques, pourraient être attirés par la recherche en Europe « où l’accès aux informations scientifiques dans ce domaine hors brevet est plus facile ».
- La commercialisation de thérapie cellulaire à partir de cellules souches embryonnaires humaine est « différée ».
- La recherche sur les cellules pluripotentes d’autre origine, comme les cellules iPS[5] est largement encouragée : pour obtenir un brevet dans le domaine des cellules souches humaines, les chercheurs doivent utiliser des lignées de cellules obtenues sans la destruction d’embryons, ce qui est le cas des iPS. Les développements techniques futurs ne sont donc pas limités, bien au contraire.
Les affaires Warf, Brüstle et Technion ont donné lieu à des conclusions encourageantes, orientant la recherche sur les cellules souches d’autres origines que l’embryon humain, telle que les prometteuses iPS. Néanmoins la brèche ouverte en décembre 2014, avec la restriction de la définition de l’embryon humain laisse à penser que ces décisions pourraient ne pas être immuables…
Sources : Science&Santé L’Europe bloque les brevets, pour le pire et le meilleur (mai-juin2015) ; Nature janvier 2015 The impact of European embryonic stem cell patent decisions on research strategies – Aurélie Mahalatchimy, Emmanuelle Rial-Sebbag, Anne-Marie Duguet, Florence Taboulet & Anne Cambon-Thomsen, Nature Biotechnology 33, 41–43 (2015)
[1] Wisconsin Alumni Research Foundation
[2] Lignée de cellules souches qui se différencieront en cellules du système nerveux central
[3] Développement d’un ovule non fécondé provoqué expérimentalement par divers moyens physiques ou chimiques.
[4] « La question du statut d’un parthénote n’est pas nouvelle. Nous savons qu’on obtient des individus, vivants, par parthénogénèse, dans de nombreuses espèces : chez les insectes, ou les serpents par exemple. Mais pas seulement. Ainsi, la parthénogénèse, quand elle ne rencontre pas d’obstacle, donne un être vivant complet. Chez les primates, elle produit des embryons, qui se développent.
Chez les hommes, il a été possible d’obtenir des cellules souches embryonnaires valables à partir de parthénotes humains. Mais chez l’homme, ce développement s’arrête et l’embryon est incapable de nider dans l’utérus. Il faut donc considérer l’embryon obtenu par parthénogénèse comme un véritable embryon à qui il manque, à un moment donné, quelque chose d’indispensable pour aller au terme de son développement. Il n’est donc pas possible de le considérer comme un simple matériel biologique. Son statut est comparable à celui d’un embryon humain obtenu par clonage : s’il n’était pas possible d’obtenir un embryon humain viable par clonage, c’est désormais le cas grâce à une petite correction du protocole. Les parthénotes sont dans le même cas de figure. » (Jacques Suaudeau, expert Gènéthique)
[5] Cellules Pluripotentes Induites