Recherche sur l’embryon : le régulateur britannique veut repousser la limite à 28 jours

Publié le 16 Déc, 2024

A l’occasion de la conférence annuelle du Progress Educational Trust [1], Peter Thompson, le directeur de la HFEA [2], l’autorité de régulation britannique en matière de fertilité, s’est prononcé en faveur d’une modification de la loi afin de prolonger la durée limite de la recherche sur les embryons humains. Toutefois, « toute décision concernant la modernisation de la législation sur la fertilité relève du Parlement, et toute nouvelle limite nécessiterait une modification de la loi », indique le directeur de l’autorité britannique.

Des arguments éculés

« Depuis l’introduction de la loi en 1990, nous avons assisté à des avancées scientifiques significatives et il est désormais de plus en plus possible pour les chercheurs de développer et de maintenir des embryons au-delà de 14 jours, veut justifier Peter Thompson. Cela pourrait fournir des informations précieuses, dans un environnement strictement réglementé, pour permettre la recherche à des fins spécifiques qui sont déjà définies dans la loi. »

Sans grande surprise les arguments sont ceux régulièrement avancés quand il s’agit de faire évoluer le cadre réglementaire en matière de bioéthique.

Tout d’abord l’objectif. En l’occurrence, il s’agirait d’« identifier les problèmes pouvant survenir à un stade précoce de la grossesse » et d’« améliorer notre compréhension de la façon dont les maladies congénitales commencent à se développer ». La fin justifierait-elle les moyens ?

Le développement de l’embryon n’est pas soumis aux avancées de la recherche

Bien sûr la recherche sera menée dans un « environnement strictement réglementé », veut-on comme d’habitude rassurer. Pourtant, l’existence de garde-fous est elle-même contredite par le fait qu’ils soient périodiquement remis en cause. Pour le directeur de la HFEA, le fait que les embryons puissent être cultivés au-delà de 14 jours serait un motif pour le faire [3]. Tout ce qui est techniquement possible serait donc éthiquement acceptable ?

Le rapport Warnock qui a recommandé cette limite au Royaume-Uni en 1984 interdit « la recherche invasive et destructrice lors de l’apparition de la ligne primitive (15 jours après la fécondation), à partir de laquelle le cerveau et la moelle épinière vont se développer » (cf. Recherche sur l’embryon humain : D’où vient la règle des 14 jours ?). Quelles que soient les « avancées scientifiques significatives » invoquées, le développement de l’embryon, lui, est toujours le même. Après 14 jours, la ligne primitive apparait et l’embryon peut s’implanter dans l’utérus de sa mère. Quand la recherche permettrait de cultiver in vitro des fœtus jusqu’à terme, deviendrait-il soudainement acceptable d’en faire des matériaux de laboratoire ?

Un cadre toujours plus extensible

La recherche a ses raisons que la raison semble ignorer. Un autre argument invoqué est la compétition internationale. « Nos recommandations contribueraient à maintenir la position du Royaume-Uni en tant que pays où l’innovation scientifique et clinique peut s’épanouir », plaide Peter Thompson. Précisant qu’« il s’agit de la première d’une série de recommandations » examinées « pour assurer l’avenir de notre législation ».

Pour aller toujours plus loin, les chercheurs comptent sur ce qu’ils appellent des « modèles embryonnaires »[4], c’est-à-dire des embryons conçus à partir de cellules souches sans passer par une fécondation qui met en jeu des gamètes (cf. « Embryons de synthèse » humains : les annonces se multiplient). Une différence de conception au départ qui leur suffit pour justifier un statut différent, et, par conséquent, un cadre encore plus laxiste (cf. Embryoïdes : l’ABM propose une « troisième voie » pour « encadrer » les recherches).

Ainsi, le Nuffield Council on Bioethics (NCOB) préconise de modifier la loi « afin d’exclure les “modèles embryonnaires” de la définition légale de l’embryon humain »[5]. Qualifiés de « modèles » ou de « structures », aucune étude n’a pourtant prouvé que ces « embryons de synthèse » ne pourraient pas se développer in utero, jusqu’à terme (cf. Des scientifiques veulent faire naitre des veaux issus d’« embryons de synthèse »; Un « embryon de synthèse » fabrique sa membrane basale). Ce que reconnait d’ailleurs implicitement le comité de bioéthique quand il recommande de continuer à les réglementer « séparément des embryons humains », « même s’[ils] devenaient si semblables aux embryons qu’il serait difficile de les distinguer ».

Pour Danielle Hamm, directrice du NCOB, « il existe ici une opportunité pour le gouvernement britannique de travailler avec le secteur pour créer un précédent qui pourrait avoir une grande influence à l’échelle mondiale » (cf. Royaume-Uni : un « code de bonnes pratiques » pour l’utilisation des « embryons de synthèse »).

Jusqu’où seront repoussées les limites ? En matière de bioéthique, les exemples ne cessent de se multiplier : dès lors que l’interdit est levé, les garde-fous d’hier deviennent ensuite les « entraves » à la recherche d’aujourd’hui (cf. Recherche sur l’embryon : « ce qui « entrave » certaines recherches, ce sont des interdits légaux »).

 

[1] Le thème de la conférence était ’40 Years after the Warnock Report: What Is the Embryo’s Special Status?

[2] Human Fertility and Embryology Authority

[3] La limite de 14 jours est en vigueur au Royaume-Uni depuis qu’elle a été inscrite dans la loi de 1990 intitulée Human Fertilisation and Embryology Act.

[4] Aussi appelés embryons de synthèse ou embyoïdes

[5] Nuffield Council on Bioethics, Nuffield Council on Bioethics sets out proposals to bolster governance of stem cell-based embryo models including a call for legislation to ensure that research does not cross ethical ‘red lines’ (27/11/2024)

Photo : iStock

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