Recherche sur l’embryon, la saga continue

Publié le 30 Avr, 2013

Selon le conseil des ministres du 7 mai dernier : la proposition de loi levant l’interdiction de la recherche sur l’embryon reviendra au Parlement avant l’été. Bien que rien ne soit encore inscrit dans le calendrier, il faut donc veiller. Parallèlement, comme pour s’y habituer, les effets d’annonce sur l’embryon continuent et pourraient faire l’objet d’une récupération politique en France. Ce contexte est l’occasion de mentionner la mobilisation européenne « Un de nous » qui permet de sortir de l’anesthésie des promoteurs de la recherche sur l’embryon. 

Interview d’Albert Barrois, blogueur scientifique[1].

 

G : La revue Cell 1 a publié la “découverte” de scientifiques américains affirmant avoir réussi à créer des cellules souches embryonnaires par clonage thérapeutique. Pouvez-vous nous éclairer sur cette annonce, d’un point de vue scientifique et éthique ?

 

A.B : Ces chercheurs ont fait chez l’homme ce qui avait été fait avec la brebis Dolly : introduire un noyau déjà formé dans un ovule dont on avait enlevé le patrimoine génétique. Il s’agit d’un clonage, c’est-à-dire de la création d’un vrai jumeau, mais à des années d’écart. Se reposent donc toutes les questions et les problèmes soulevés pendant la décennie précédente. Ces embryons seront créés dans l’unique but d’être détruits pour en extraire les cellules souches après 10 ou 15 jours de développement in vitro. Le fantasme ultime de ces manipulations est connu : on espère créer des clones pour générer des “pièces de rechange” parfaitement compatibles 1.

Il faut aussi évoquer les femmes qui vont être conduites à donner ou vendre des ovules. La procédure est dangereuse, douloureuse et peut entraîner une stérilité : elle exige un traitement hormonal lourd puis l’introduction d’une aiguille à travers la paroi vaginale pour récupérer les ovules. Que des hommes en blouses blanches puissent proposer cela à des femmes reste un mystère… Comme le fait justement remarquer une collègue blogueuse américaine, si les hommes devaient donner leurs spermatozoïdes dans les mêmes conditions ces recherches seraient encore de la science-fiction ! On ne peut d’ailleurs que s’étonner du lobbying actuel en faveur de la vitrification ovocytaire qui suggère que certains profiteront de l’aubaine pour obtenir des ovules à peu de frais : on vous en stocke quelques uns et on garde le reste pour la recherche…

 

G : Deux jours plus tard, c’est la société américaine ACT qui a annoncé la « guérison » d’un patient par le biais des cellules souches embryonnaires humaines. Qu’en pensez-vous ?

 

A.B : Cette “guérison” a été annoncée par Robert Lanza, le patron d’ACT, profitant de la caisse de résonance de l’annonce du premier clonage humain. Mais on ne sait même pas de quelle maladie ce patient souffrait, ni si les deux yeux étaient atteints, et surtout aucune preuve n’a été apportée. Si c’est confirmé c’est évidemment un événement majeur car il serait le premier patient guéri par une thérapie cellulaire à base de cellules souches embryonnaires humaines. On peut cependant remarquer qu’il n’y aurait à ce stade qu’une guérison sur plus de vingt patients traités : on est loin d’un succès probant et rien ne prouve que ce traitement n’induit pas de complications, ce qui est l’objectif de la première phase d’un essai clinique.

 

G : Ces deux annonces sont donc à prendre avec prudence, comme souvent pour les découvertes sur l’embryon. Cependant les publications sur les cellules souches ne concernent pas que l’embryon, avez-vous connaissance d’annonces dans le domaine de la thérapie cellulaire non embryonnaire, ou des cellules iPS ?

 

A.B : Les cellules souches adultes guérissent des milliers de malades chaque année, surtout les cellules souches hématopoïétiques qui se trouvent dans la moelle osseuse ou dans le sang de cordon. On commence aussi à savoir utiliser d’autres cellules comme les cellules souches mésenchymateuses. Et plusieurs patients ont reçu une trachée reconstituée à partir de cellules souches adultes. Mais il y a surtout l’immense espoir que représentent les cellules iPS de Yamanaka qui permettent de modéliser de très nombreuses maladies et ne provoqueraient aucun rejet dans un cadre thérapeutique. Impossible de citer ici tous les travaux de modélisation, mais les résultats les plus récents touchent la sclérose latérale amyotrophique (aussi connue comme la maladie de Charcot ou maladie de Lou Gherig) ou la trisomie 21 3. Pour ce qui est des essais cliniques les japonais sont les plus en avance et lanceront dans les mois qui viennent le premier essai clinique à base des cellules iPS pour guérir la même maladie que l’essai initié par ACT à partir de cellules souches embryonnaires. Cet essai sera supervisé par Masayo Takahashi du Centre de Biologie du Développement de Kobé au Japon.

 

G : Pensez-vous que la « découverte » sur le clonage dit thérapeutique et celle de la société ACT auront un impact sur la scène politique ?

 

C’est bien sûr possible mais le clonage humain reste techniquement très complexe et il faudra beaucoup d’ovules pour faire ces expériences. Quant à la “guérison” évoquée elle n’est pas confirmée à ce jour et tout chercheur ou politique un tant soit peu sérieux restera très prudent face à cette annonce pour le moment. Si elle devait être exploitée cela manifesterait une fébrilité certaine et une absence confondante d’argument sérieux. En tout état de cause cela ne changerait rien à l’objection fondamentale qu’un embryon n’est pas un matériau de laboratoire et qu’il ne devrait jamais être sacrifié sous prétexte de progrès scientifique.

 

[1] http://albertbarrois.blogspot.fr/  

1 Publication 15 mai 2013 “Human Embryonic Stem Cells Derived by Somatic Cell Nuclear Transfer” http://www.cell.com/fulltext/S0092-8674(13)00571-0

2 “Le clonage thérapeutique est encore plus grave [que le clonage reproductif] au plan éthique”. Dignitas Personæ, §30. La question du clonage reprodutif, pas encore d’actualité, n’est pas abordée ici.

3 voir le blog pour plus de détails.

Alexis DUPORT

Alexis DUPORT

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