Recherche sur l’embryon, diagnostic prénatal, préimplantatoire, eugénisme : Jean-Marie Le Méné auditionné par la mission parlementaire

Publié le 24 Oct, 2018

Dans le cadre des auditions menées par la mission parlementaire de l’Assemblée nationale, Jean-Marie Le Mémé, Président de la Fondation Jérôme Lejeune, était auditionné mardi 23 octobre. Recherche sur l’embryon, diagnostic prénatal, préimplantatoire, eugénisme, il rappelle grands enjeux éthiques que devra trancher la prochaine loi de bioéthique. Gènéthique publie son intervention in extenso.

 

La Fondation Jérôme Lejeune est une fondation scientifique et médicale reconnue d’utilité publique. Elle a créé et elle finance l’Institut Jérôme Lejeune qui est un centre de consultations médicales spécialisées dans les déficiences intellectuelles d’origine génétique. La Fondation est aussi un des principaux financeurs de la recherche sur la trisomie 21. Depuis près de 25 ans, elle a financé 700 appels à projets, partout dans le monde, qui ont donné lieu à des publications internationales. Tout notre travail est orienté sur le patient. La consultation accueille aujourd’hui près de 10 000 patients dont 70 % sont atteints de trisomie et 30 % d’autres pathologies entraînant un retard mental. Elle reçoit chaque année plus de 500 nouveaux patients, avec leurs familles, de tous horizons, âges et conditions dont beaucoup nous sont envoyés par l’hôpital public.

A court terme, nous développons une recherche clinique à leur profit. A titre d’exemple, nous avons un protocole avec l’hôpital Necker sur l’apnée du sommeil des enfants trisomiques. Nous en avons un autre avec l’hôpital Trousseau sur l’influence de la capacité respiratoire dans leur développement. Nous avons innové avec une activité de gériatrie spécifique car la société est confrontée au vieillissement des personnes handicapées mentales qui, désormais, survivent à leurs parents. A cet égard, la recherche de biomarqueurs d’évaluation pour des études cliniques dans l’Alzheimer précoce est un axe que nous suivons dans un cadre européen. A moyen terme, nous conduisons une recherche translationnelle pour trouver des inhibiteurs ciblés de gènes impliqués dans la cognition. Il existe des liens entre la trisomie et d’autres pathologies : Alzheimer, mais aussi cancer et autisme. Nous attendons de ces recherches croisées des bénéfices réciproques. Nous travaillons avec des laboratoires de l’INSERM, du CNRS et des universités (c’est eux qui sont destinataires de 80 % de nos subventions) mais aussi des institutions académiques à l’international. A plus long terme, nous pensons que des perspectives thérapeutiques sont accessibles. Nous soutenons notamment des programmes innovants qui utilisent des cellules iPS. Ainsi, nous sommes intéressés par des recherches comme celles d’une équipe de Boston qui a réussi à mettre au silence le chromosome 21 dans une cellule iPS trisomique. Cette présentation montre que la Fondation est attentive à l’évolution des lois de bioéthique dans deux domaines : la recherche sur les cellules souches et le dépistage anténatal.

 

I- La recherche sur l’embryon humain

 

La libéralisation

 

Au détriment d’autres voies existantes, plus efficaces, et qui posent moins de problèmes éthiques, la loi évolue vers une libéralisation du régime de la recherche sur l’embryon humain. En 2013, un changement est intervenu qui a remplacé le couple « interdiction + dérogations » par le couple « autorisation + encadrement ». Le respect de l’embryon est devenu une exception au nouveau principe de son non-respect. Puis en 2016, un second régime de recherche a été adopté qui prévoit que des recherches interventionnelles sur l’embryon in vitro peuvent être menées avant ou après son transfert in utero. Cette disposition conduit à fabriquer des hommes « à l’essai ». Ces modifications substantielles ont été votées sans avoir été débattues dans le cadre des états-généraux obligatoire depuis 2011.

 

Une question de stratégie

 

Dans l’esprit du législateur de 2004 et 2011, le recours à l’utilisation de l’embryon humain (et donc sa destruction) n’était que subsidiaire, les autres voies de recherche, non transgressives, devant être privilégiées. Ce changement d’orientation est regrettable. L’embryon humain est la forme la plus jeune de l’être humain. Il requiert une protection adéquate qui doit s’étendre aux lignées cellulaires issues de l’embryon (on ne peut pas protéger les éléphants et autoriser l’exploitation de l’ivoire).

 

Il faut bien comprendre qu’il y a deux domaines d’utilisation des cellules souches. D’une part un usage pharmacologique qui consiste à modéliser des pathologies et cribler des molécules. Cette amélioration de la connaissance n’est pas une application au patient. D’autre part, la thérapie cellulaire qui vise à réparer des tissus ou reconstituer des organes en greffant des cellules souches aux malades.

 

S’agissant de la modélisation et du screening moléculaire, les iPS constituent une alternative désormais reconnue aux cellules souches embryonnaires. Il n’y a plus de débat. Le Conseil d’Etat en 2014 a considéré que « les recherches concernant les cellules iPS sont suffisamment avancées pour apprécier la possibilité de poursuivre sur ce type de cellules, avec une efficacité comparable ». La modélisation par iPS est en effet sans limite et plus accessible.

 

En ce qui concerne la thérapie cellulaire, il y très peu d’essais cliniques en cours utilisant des cellules souches embryonnaires et cette voie n’est pas plus avancée que celle utilisant des cellules iPS. Elles n’ont pas entrainé de progrès puisqu’aucune application thérapeutique n’a été prouvée effective à ce jour, en dehors d’un succès relatif obtenu sur la dégénérescence maculaire, succès qui a été aussi obtenu, et de façon peut-être plus significative, avec les cellules souches pluripotentes induites.  Dire qu’on est retard n’a pas grand sens.

 

La focalisation sur la recherche embryonnaire tient à un effet de mode, à l’opportunité de moderniser des laboratoires au moyen de subventions, à l’existence d’une filière à entretenir. Les citoyens interrogés (84,4 %) n’y sont d’ailleurs pas favorables.

 

Pourquoi ne pas investir, comme les Japonais, dans la création d’une banque de lignées d’iPS de grade clinique à partir d’un nombre limité de donneurs sélectionnés sur leurs groupes HLA pour correspondre majoritairement à la diversité de la population (75 lignées permettraient de couvrir 80 % de la population japonaise) ?

 

Les cellules souches embryonnaires ont été découvertes en 1998 et les iPS en 2007. Les iPS sont déjà exploitées dans un contexte clinique, ce qui souligne leur potentiel et notre retard.

 

La régulation illusoire

 

Alors que nous sommes en retard dans le domaine des iPS, on assiste à des surenchères dans la recherche sur l’embryon qui montrent que l’encadrement de la loi s’est affaibli.

 

En 2013, l’ABM a autorisé un protocole permettant de stimuler la fécondation des gamètes dans le cadre d’une FIV en introduisant dans le milieu de culture une molécule synthétique dont on ignorait l’effet sur l’embryon à réimplanter. Or ce travail ne pouvait pas être une étude car elle ne devait pas porter atteinte à l’embryon, aucune preuve sérieuse n’étant apportée quant à la toxicité de la molécule utilisée. Il ne pouvait pas non plus s’agir d’une recherche parce que celle-ci ne peut pas conduire à l’implantation de l’embryon. Cette autorisation n’était donc pas conforme à la loi.

 

La FIV à trois parents, présentée avantageusement par ses promoteurs comme un « don de mitochondries », est à ce jour illégale en France. Et pour cause, cette technique aboutit à la création intentionnelle, par transfert de noyau, d’un embryon génétiquement modifié dont les corrections induites seront transmises aux générations suivantes. Malgré la triple illégalité manifeste de cette technique (clonage, transgénèse, création d’un embryon pour la recherche), l’ABM a autorisé, en 2016, des chercheurs français à investiguer la technique de la FIV à trois parents.

 

En 2017, une société privée a été autorisée par l’ABM à développer et valider une chaîne de production automatisée de cellules souches embryonnaires humaines dans le but d’assurer leur disponibilité au cas où les essais cliniques s’avèreraient concluants. Mais cette finalité industrielle et commerciale est contraire au principe de non patrimonialité du corps humain. Ensuite l’ABM anticipe les résultats d’essais cliniques qui ne sont pas lancés. La pertinence scientifique du projet n’est donc pas établie.

 

Ces cas illustrent le mécanisme des « illégalités fécondes » qui contribue à façonner les lois de bioéthique. D’abord la transgression de la loi de bioéthique est assumée (certains viennent même le dire devant le législateur), puis elle est médiatisée et enfin la loi est modifiée. Comment faire pour que la démocratie ne donne pas l’impression de valider ce qui ne vient pas d’elle ?

 

C’est pourquoi, par rapport aux propositions du Conseil d’Etat et du CCNE, et pour limiter cette surenchère dénuée de finalité claire, la fondation recommande de :

  • de ne pas autoriser la création d’embryons chimériques et/ou transgéniques ;
  • de ne pas étendre la culture de l’embryon in vitro à 14 jours (contre 7 jours aujourd’hui) ;
  • de ne pas soustraire les recherches sur les cellules embryonnaires aux règles applicables à la recherche sur l’embryon, ce qui serait contraire à l’arrêt Brüstle/Greenpeace de la CJUE (2011).

 

II – Le dépistage anténatal

 

Un consensus autour de l’exception « trisomie 21 »

 

Depuis 20 ans, un nombre incalculable de personnes s’expriment sur le dépistage prénatal de la trisomie 21 à des titres divers. Pas un jour sans un article sur le sujet. Le phénomène récent que l’on peut observer est une sorte de consensus autour de l’exception « trisomie 21 ». Que l’on soit pour ou contre le DPN, utilisateur ou prescripteur, de gauche ou de droite, une réalité s’impose, ce type de DPN en population générale est dérogatoire aux règles habituelles puisqu’il n’y a pas de solution thérapeutique et que les chiffres d’IMG après diagnostic positif sont massifs (> 90 %). Il n’y a plus de contestation de ces faits. En revanche, il existe des divergences de qualification. Rares sont ceux qui osent parler de prophylaxie, la prophylaxie n’ayant jamais eu pour but de supprimer les malades, faute de pouvoir supprimer la maladie. On trouve encore chez certains une réticence à user du terme d’eugénisme qui ravive une douloureuse mémoire. Cela peut se comprendre. Mais ce n’est pas le cas de la plupart des commentateurs qui considèrent, pour s’en alarmer ou s’en réjouir, qu’un ensemble de pratiques individuelles peut fort bien conduire à un eugénisme libéral qui peut devenir de masse. Dès lors que le système de santé finance des outils eugéniques, la frontière entre eugénisme libéral et eugénisme étatique devient floue. D’ailleurs ce sont les praticiens les plus favorables au DPN qui ont le moins de difficulté à assumer le terme d’eugénisme. Enfin, le doute n’est plus permis avec le transhumanisme dont l’eugénisme revendiqué est l’une des clés qui permet de concrétiser le passage de l’homme diminué à l’homme augmenté.

 

Pourquoi est-ce si difficile de reprendre le contrôle ?

 

Quel que soit le terme utilisé, la réalité est bien là, nous sommes devant un phénomène de rupture dans la pratique médicale. Aujourd’hui la quasi-totalité d’une population a été éliminée sur le fondement de disgrâces physiques et génétiques détectées par des machines et des algorithmes. C’est la première fois depuis 2400 ans (Hippocrate) que la médecine rend mortelle une maladie qui ne l’est pas (et même de moins en moins). Tel est le lot de la trisomie 21 aujourd’hui, cobaye et précurseur de ce qui est annoncé pour d’autres pathologies demain. Telles sont les promesses de la technologie qui va produire des offres, du marché qui va susciter des demandes et du droit qui va créer une égalité d’accès à tout ce qui sera techniquement possible. Ce constat est largement partagé. Quelles sont les raisons de ce qui ressemble à une perte de contrôle ?

 

Dans un livre intitulé « Les premières victimes du transhumanisme », j’ai raconté comment une firme américaine s’était emparée de la découverte de l’ADN fœtale libre circulant dans le sang maternel pour la transformer en application commercialisable à des fins lucratives qui allait devenir le diagnostic prénatal non invasif (DPNI). Le PDG de cette biotech affirmait en 2008 : « Stratégiquement, nous avons choisi le syndrome de Down parmi nos objectifs initiaux car cela représente un mal nécessaire et une importante opportunité de marché ». A l’époque le chiffre d’affaires annoncé s’élevait à 10 Md $ dans le monde. Le CCNE l’évaluait à 1 Md€ pour la France. Si aujourd’hui, les personnes trisomiques sont les premières victimes de cette entreprise lucrative qui se présente comme le « Google du tri génétique », il y a d’ores et déjà des centaines d’autres gènes éligibles à ce nouveau test qui sont autant de parts de marché. Il suffit de bonnes campagnes marketing pour créer le besoin. Le dépistage anténatal sort de sa finalité. Le transhumanisme navigue sous pavillon de complaisance médicale et avec la seule boussole du profit.

 

Changer de logiciel

 

Si ce sont dorénavant les possibilités technologiques qui décident, dans le domaine du dépistage anténatal, à charge pour l’économie libérale de trouver une clientèle solvable, ce n’est plus la peine de parler de bioéthique. Depuis des dizaines d’années, on répète comme un mantra qu’il faut changer de regard sur la personne handicapée. Comment voulez-vous que le regard change quand l’eugénisme vis-à-vis de la trisomie se présente comme un « ordre établi » ? Si la trisomie apporte le désordre, alors l’élimination du porteur de désordre rétablit l’ordre. Quelle image valorisée des personnes trisomiques espère-t-on donner dans ce contexte ? Le comité onusien en charge du handicap condamne d’ailleurs régulièrement les « formes modernes de discrimination comme la politique de dépistage prénatal visant à sélectionner les enfants à naître sur la base du handicap, politique qui va à l’encontre de la reconnaissance de la valeur égale de chaque personne ».

 

Deux opportunités se présentent aujourd’hui pour changer de logiciel :

  • ne pas installer le diagnostic prénatal non invasif dans le paysage de la santé par un remboursement de l’assurance maladie, par le passage du seuil de risque de 1/250 à 1/1000 et par l’extension en population générale qui sont autant de menaces d’abandon du DPN à la robotisation ;
  • ne pas légaliser l’extension du DPI aux maladies chromosomiques qui sont des maladies génétiques mais pas héréditaires ; une telle extension opportuniste ouvrirait le DPI à des critères arbitraires, impossibles à réguler.

 

Les enfants trisomiques n’étant pas « à disposition » du choix des adultes, de la médecine et du marché, la consultation de la fondation Lejeune ne choisit pas ses patients. Ce sont les rescapés de l’eugénisme qui frappent à la porte de l’Institut Lejeune. Nous serions très honorés, mesdames et messieurs les parlementaires si vous acceptiez notre invitation à venir visiter cette consultation.

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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