Rapport de la mission parlementaire sur la bioéthique : des dérives inquiétantes

Publié le 21 Jan, 2010

Le rapport de la mission d’information parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique conduit par Jean Leonetti et rendu public hier, n’a pas fait l’unanimité. (Voir les propositions du rapport dans la Synthèse de presse du 18/01/10). Plusieurs députés "de gauche comme de droite se sont démarqués de ses conclusions". Jean-Frédéric Poisson, député UMP-PCD des Yvelines, a dit son regret de constater "que le rapport n’ait pas été l’occasion d’une remise en cause profonde de principes et de pratiques dont la validité scientifique, médicale et éthique est désormais clairement remise en cause".

La Fondation Jérôme Lejeune réagit à ce rapport en publiant un communiqué de presse. Elle y souligne notamment deux points d’évolution par rapport à la loi de 2004. D’une part, le rapport marque une rupture importante "s’agissant de la recherche sur l’embryon, non justifiée sur le plan scientifique". D’autre part, il affiche "la volonté de développer toujours plus la sélection pour l’élimination des êtres atteints de trisomie 21".  La cohérence de l’encadrement législatif de 2004 "qui permettait de conserver un sens au principe civilisationnel du respect de l’intégrité de l’être humain, quel que soit son stade de développement" se trouve en effet rompue par les propositions relatives à la recherche sur l’embryon humain. Malgré son maintien symbolique, le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon humain est réduit à n’être plus qu’une "coquille vide" du fait de "la suppression des deux exigences posées par la loi de 2004".

Recherche sur l’embryon. Tout d’abord, la substitution de la "finalité médicale" à l’exigence d’une "finalité thérapeutique majeure" élargit encore ces recherches, la "finalité médicale" n’excluant, dans les faits, que les recherches relevant de la cosmétologie. "Ce remplacement donnerait carte blanche à des pratiques explicitement écartées par le législateur en 2004, comme le criblage des molécules ou la modélisation de pathologie".  D’autre part, le rapport supprime "la condition relative à ‘l’absence d’alternative d’efficacité comparable’ qui est le minimum à exiger lorsqu’il s’agit d’autoriser le sacrifice d’êtres humains". La conséquence de cette suppression sera "d’autoriser des recherches sur l’embryon humain pour atteindre un objectif qui pourrait l’être par d’autres méthodes, et même plus efficacement". En effet, dans une perspective thérapeutique, "les recherches sur les cellules souches adultes ou de sang de cordon ont plusieurs longueurs d’avance sur les recherches sur les cellules souches embryonnaires". De même, "les cellules souches reprogrammées (iPS) surpassent les cellules souches embryonnaires en matière de criblage des molécules ou de modélisation des pathologies".  Enfin, le moratoire de 5 ans, qui "garantissait un caractère expérimental pour cette dérogation à l’interdiction de la recherche sur l’embryon", est également supprimé, ce qui accroît encore davantage la "libéralisation intégrale de cette pratique". L’inscription à titre pérenne d’une dérogation équivaut bel et bien à son inscription comme principe.

Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, a été auditionné par la mission parlementaire le 3 juin dernier, et s’inquiète des dérives manifestes de ce rapport qui, dans les faits, autorise des "dérogations au principe éthique fondateur de la protection des êtres humains les plus fragiles, à partir d’exigences inexistantes". Il est d’autant plus alarmant que "le dispositif proposé n’est plus expérimental, et s’inscrit de manière pérenne". Une telle évolution est scandaleuse à en juger par les "propos des chercheurs auditionnés par la mission parlementaire, car on comprend qu’il s’agit en fait de donner satisfaction à des appétits économiques et financiers". D’un point de vue scientifique et dans une perspective thérapeutique, "il n’y a jamais eu moins de raison qu’aujourd’hui de déroger au respect légal de l’embryon". L’unique justification est "purement financière et consiste à rentabiliser les millions investis sur cette recherche en vendant à des laboratoires pharmaceutiques des techniques de criblage de molécules sur cellules souches embryonnaires". Les responsables actuels des choix politiques en matière de bioéthique semblent oublier que les options votées en 2004 "ont déjà fait prendre un retard considérable aux équipes françaises pour les recherches sur les cellules reprogrammées si prometteuses et pour les recherches en thérapie cellulaire à partir des cellules souches non embryonnaires, les seules à avoir des perspectives thérapeutiques réelles, et sans aucun coût éthique".

Diagnostics anténatals (prénatal et préimplantatoire). Le rapport propose d’ajouter à l’application du DPI la détection de la trisomie 21. Cette proposition contredit totalement "la volonté de ne pas établir de liste a priori des maladies susceptibles de faire l’objet de ce diagnostic". La trisomie 21 est déjà la première maladie à faire l’objet d’un dispositif à l’échelon national de sélection pendant la grossesse, et elle deviendrait aussi la première maladie listée pour le DPI. Les médecins praticiens du DPN et du DPI le savent pourtant : désigner une maladie comme pouvant faire l’objet d’un mode de sélection s’impose, par le fait même, comme une obligation aux futurs parents. Deux raisons révèlent qu’un pas de plus est franchi dans l’escalade de l’eugénisme :

– La première raison est qu’un élément d’appréciation subjective est introduit dans le recours au DPI. Il n’est plus seulement question de considérer le passé familial ou le handicap d’un premier enfant au regard de l’analyse du patrimoine génétique des parents, mais "de prendre en compte le rejet social de la trisomie 21". Or si la trisomie 21 est bien une maladie génétique, elle n’est pas héréditaire et se produit accidentellement. La nature du DPI se trouvera donc modifiée de façon importante par la recherche systématique de la trisomie 21. En effet, si un couple "court le risque de transmettre telle maladie génétique qui "justifie" le DPI, il n’a pas plus de risque que le reste de la population de donner naissance à un enfant trisomique". Quelle nécessité présiderait à la systématisation de cette recherche ? Ce qui va "justifier" celle-ci, "c’est seulement le regard d’exclusion posé a priori sur les porteurs de cette affection, exclusion déjà créée, entretenue et financée par l’Etat à travers sa politique eugénique de dépistage généralisé (DPN)".

– La deuxième raison est que cette proposition "préjuge du sort réservé à l’embryon qui serait dépisté trisomique : l’élimination". Implicitement, on admet d’avance que des parents ayant recours au DPI pour éviter la naissance d’un enfant touché par une maladie héréditaire grave, refuseront aussi, par principe, la naissance d’un enfant trisomique.

Devant cette élimination "planifiée", Jean-Marie Le Méné, auteur de La trisomie est une tragédie grecque, parue en janvier 2009, dit son indignation : "les dérives eugéniques subies par les enfants atteints de trisomie 21 sont un constat établi par des voix autorisées, notamment le Conseil d’Etat, l’ancien ministre de la santé Jean-François Mattéi ou l’ancien président du CCNE, Didier Sicard. Les responsables politiques actuels n’ont-ils à proposer que le renforcement de la sélection pour l’élimination de ces êtres humains ? " Alors que de récentes publications scientifiques "ont montré la pertinence des recherches qui visent à trouver un traitement pour la trisomie 21", il est urgent de s’interroger : le choix collectif, aujourd’hui, "doit-il rester celui de leur élimination ?"

 Gènéthique – La Croix 21/01/10 – Le Monde 21/01/10 – La Vie 21-27/01/10

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