Quelles perspectives pour le don d’organes ?

Publié le 25 Sep, 2015

Pour les professionnels des hôpitaux universitaires de Paris Sud, la 27e journée sur le « prélèvement d’organes » a permis une rencontre avec Anne Courrèges, présidente de l’Agence de biomédecine. Ce thème avait été replacé sur le devant de l’actualité à l’occasion du débat sur le projet de loi santé, la pénurie d’organes disponible à la transplantation appelant la recherche de nouvelles sources ou modalités d’approvisionnement. Gènéthique fait lepoint avec Jacques Suaudeau sur ce sujet délicat.

 

1. Le projet de loi santé a créé une polémique sur le consentement

implicite au don d’organe. Que pensez-vous du système

français ?

 

Certains pays ont adopté un système de « consentement explicite » (optin) comme au Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni ou en Allemagne. La loi française se rattache au système législatif du « consentement présumé » dit « opt-out » : tout individu qui n’a pas manifesté explicitement son opposition est un donneur potentiel1, comme en Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Luxembourg, Portugal ou en Suède. Ce système devrait attirer les donneurs, mais cela dépend en pratique de l’importance accordée aux volontés des proches. Le système marche bien en Espagne (35,3 donneurs par million d’habitants

en 2011) où il y a eu sensibilisation de la population et des propositions concrètes d’inscription sur des refus d’accord. Il marche moins bien en France (23,8 donneurs par million d’habitants) où la sensibilisation de la population est moins bien faite et où rien n’est prévu pour que les personnes puissent écrire dans un registre officiel leur volonté, en cas de décès. Du coup nous avons de longues listes d’attentes pour les greffes d’organes, de rein surtout, ce qui entraine la tentation, chez les patients en attente, de recourir au «trafic d’organes » pour être greffés, c’est à dire essentiellement au « tourisme de transplantation ».

 

2. Les députés souhaitent faire évoluer la loi pour renforcer le consentement présumé. Selon vous, est-ce un bien ?

 

L’article 46 ter du projet de loi santé, adopté par les députés en 1ère lecture, proposait2 une modification de notre législation : on ne tiendrait compte que de la volonté du sujet décédé s’il s’agit d’un refus de don

(consentement implicite)3. Si ce texte est adopté ainsi par le Parlement, il entérinera une mesure controversée concernant le prélèvement d’organes chez une personne décédée. Il renforcera la notion de consentement présumé au don d’organes chez toute personne majeure décédée. Si la personne n’est pas inscrite sur un registre des refus, les médecins présumeront qu’elle était consentante. La famille sera seulement informée, mais ne pourra s’opposer au prélèvement que si le défunt a écrit cette opposition

sur un registre.

Deux observations s’imposent sur cette potentielle évolution législative :

 

• L’avis des familles n’intervient pas dans la loi actuelle4. On a pris coutume de « demander leur avis aux familles » pour connaître la volonté du défunt. Comme les familles sont prises au dépourvu, le refus du don est fréquent, sans être nécessairement l’expression de la volonté du défunt.

 

• L’application stricte d’une telle loi, ne tenant compte que du registre national des refus, sans l’avis des proches, peut être mal ressentie par les familles. Il en résultera un surcroît de demandes de recours en justice et une attitude négative vis-à-vis du don d’organes qui tarira les dons à partir de personne vivante.

 

3. Cette volonté de systématiser le don d’organe sur personne décédée intervient dans un contexte sensible sur la fin de vie5. Le croisement de ce texte avec le projet de loi santé, vous parait-il inquiétant ?

 

Les deux questions – celle du don d’organes de cadavre et celle de la sédation terminale – n’ont pas de lien apparent. Dans un cas, la personne est morte et on tient compte de sa volonté si elle est exprimée.

Dans l’autre, la personne va mourir et pourra donner son consentement de vive voix. Mais ce lien pourrait apparaître, avec l’extension de la pratique – encore expérimentale en France – du prélèvement d’organes « après arrêt cardiaque », dit « Maastricht 3 ».

 

4. En effet, le don d’organes « Maastricht 3 » se développe dans plusieurs établissements de santé. S’agit-il d’une transgression éthique ?

 

Le terme de « prélèvement d’organes après arrêt cardiaque » parait satisfaisant, puisqu’il lève le doute lié au diagnostic de « mort cérébrale», condition du prélèvement d’organes. Mais cette expression est ambiguë car elle désigne non pas un prélèvement possible d’organes sur une personne amenée aux urgences dont la mort serait dûment vérifiée mais un prélèvement fait, après consentement donné par le patient lui-même s’il en est capable, ou par son représentant légal, sur une personne qui n’est pas en état de mort cérébrale, mais maintenue en survie par des moyens artificiels et dont on arrête l’assistance vitale

pour amener l’arrêt cardiaque. C’est un « arrêt cardiaque contrôlé ». Prélever les organes de patients après un tel arrêt cardiaque pose des questions éthiques.

 

Prenons le cas d’un patient en fin de vie, maintenu artificiellement en survie par des « moyens extraordinaires » qui pourraient être considérés comme « un poids », « une charge » trop lourde pour lui : il demande l’arrêt de ce support vital pour mourir en paix et donner ses organes valides. Le patient ne fait qu’exercer son autonomie. Ethiquement, c’est acceptable et même bon, si le patient est pleinement conscient. Ce n’est ni un suicide assisté, ni une euthanasie, mais un droit à mourir « naturellement », dans la paix. Mais cette décision doit venir du patient, pleinement informé. D’où la nécessaire vérification de ce consentement, tant que le patient est lucide et capable d’une décision libre.

 

Autre est le cas d’un malade qui ne serait pas en phase terminale mais maintenu en survie par des moyens artificiels, dont l’âge et la faiblesse l’exposeraient à des propositions de « sédation terminale », plus ou moins justifiées médicalement. Associer une proposition de don d’organes post mortem à une proposition de sédation terminale devient une stratégie contestable. Ce n’est que si le malade voulait donner ses organes après sa mort qu’elle peut être faite. Une telle décision ne sera prise qu’avec l’accord de la famille.

 

Le troisième cas est celui du couplage euthanasie-don d’organes, comme en Belgique ou en Hollande. Cette « euthanasie utilitaire » où la personne est traitée comme un objet, est un homicide, avec consentement du patient. Il est permis par la loi civile, mais réprouvé par la loi morale naturelle. Et lorsqu’une loi civile va contre la loi morale, cette loi perd sa légitimité. De plus, les cloisons sont poreuses : on passe facilement du « cas d’école », éthiquement admissible, de la personne arrêtant des soins extraordinaires, invoquant son désir exprimé de don d’organes, au cas moins admissible, de la personne en fin de vie dont la survie n’est pas liées à un « moyen extraordinaire » et qui, par désespoir, se laissera tenter par une sédation terminale, couplée à un don d’organes après la mort.

 

5. Sédation terminale, consentement implicite au don d’organe, prélèvement sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé : n’en vient-on pas à programmer la mort pour pallier à la pénurie d’organes ?

 

Jusqu’à aujourd’hui, le caractère gratuit du don d’organes est maintenu en France, grâce au recours à l’avis de la famille.

 

La famille qui sait que l’enfant ou le parent mourant à la suite d’un accident de circulation s’était déclaré donneur potentiel est heureuse de tirer un bien du drame qui les atteint : la vie de l’enfant se continuera

dans celle de la personne qui reçoit son coeur, son foie ou ses reins. Si la double barrière de la famille et du registre sautent, nous entrons dans un monde violent. Prenons le cas d’une personne âgée qui, après une mauvaise bronchite, est hospitalisée puis transférée en « soins palliatifs ». Elle est seule, anxieuse, désemparée. Elle accepte une sédation terminale. Comme les reins, le foie et le cœur sont en bon état, pour le personnel, c’est une candidate au don d’organes. Elle ne s’y est pas opposée par écrit et la famille est absente ou indifférente. Sous sédation, son sort est tranché. Le coeur arrêté, la patiente rentre dans le protocole des organes récoltés après arrêt cardiaque contrôlé. Ce n’est ni une euthanasie, (puisque la sédation terminale est mise sous l’étiquette de sédation), ni un suicide assisté (on a respecté l’autonomie de la malade pour l’entrée en sédation terminale), et on a mis en jeu la loi sur le consentement implicite en ce qui concerne la collection d’organes après arrêt cardiaque. La loi est sauve et l’« éthique » (utilitariste) est respectée. Qui veut mieux ?

La technique du prélèvement d’organes après « arrêt cardiaque contrôlé », associée à une interprétation stricte du consentement implicite au don d’organe réifie la perception du corps qui devient source de produits disponibles sur le marché

.

Est-ce là le but ultime des législateurs ? ■

Jacques Suaudeau

Jacques Suaudeau

Expert

Monseigneur Jacques Suaudeau est docteur en médecine. Il a été chercheur en chirurgie expérimentale au National Institute of Health (USA) et directeur scientifique de l'Academie Pontificale pour la vie jusqu'en 2013. En 2013, aux éditions "Peuple Libre", il a publié le livre: "L'objection de conscience, ou le devoir de désobéir". Il est décédé le 28 juillet 2022.

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