Le Gouvernement québécois a annoncé le 7 septembre l’entrée en vigueur des dispositions législatives modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives. Ainsi, à compter du 30 octobre 2024, les citoyens de la province pourront formuler une demande « anticipée » d’« aide médicale à mourir » (AMM).
Pas de modification du Code criminel canadien
Le ministre de la Justice et procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, a donné la directive aux procureurs du Québec de ne pas poursuivre les professionnels de santé qui pratiqueront une « aide médicale à mourir » à la suite d’une demande « anticipée ». Toutefois, Ottawa n’a jamais modifié le Code criminel canadien pour autoriser cette pratique (cf. Demandes « anticipées » d’euthanasie : Québec fait pression sur Ottawa). Cela laisse un « flou » estime René Paquette, porte-parole pour l’Est-du-Québec de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité [1].
Le Collège des médecins indique quant à lui « analyser la nouvelle protection que cette directive pourrait conférer aux professionnels de la santé ».
Une décision « déléguée » aux proches
Alors que la loi vise les personnes « ayant un diagnostic de maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins », le directeur général de la Société Alzheimer Gaspésie–Iles-de-la-Madeleine, Bernard Babin, « appelle à la prudence ».
« Une personne qui vit avec une perte cognitive ou qui est en début de maladie d’Alzheimer aura peut-être un jour souhaité avoir l’aide médicale à mourir » considère-t-il. « Quand la maladie va évoluer, la personne peut être dans un autre état, peut accepter un peu plus la maladie », souligne toutefois Bernard Babin. Alors qu’« elle ne sera plus en mesure de savoir si elle veut ou non l’aide médicale à mourir », c’est « un proche qui va devoir prendre une décision ».
Une mise en application concrète qui reste à définir
De son côté, le réseau citoyen Vivre dans la Dignité souligne dans un communiqué que « l’un des enjeux principaux sera la liste des motifs possibles à inscrire dans une demande anticipée d’aide médicale à mourir pour une personne ayant reçu le diagnostic d’un trouble neurocognitif majeur ». En effet, les discussions du projet de loi 11 ont semblé indiquer qu’« il n’y aura pas de listes de motifs inadmissibles ».
Les protocoles d’évaluation et d’administration restent à définir. « En absence de critères objectifs, il nous semble clair que la porte est toujours grande ouverte à l’administration de l’AMM même en cas de démence heureuse », estime Vivre dans la dignité, puisque « certains médecins ont déjà affirmé que cette condition de bonheur apparent cache une souffrance intérieure ». « Plutôt que de franchir la frontière de l’inaptitude pour accéder à l’AMM, mieux vaudrait investir massivement dans les soins gériatriques et dans l’accompagnement des personnes vivant avec un trouble neurocognitif » prévient le réseau citoyen.
Le Québec, « leader » de l’euthanasie
« Notre Loi concernant les soins de fin de vie comprend des balises strictes et assure un encadrement rigoureux pour les personnes qui souhaitent formuler une demande anticipée d’aide médicale à mourir », veut rassurer Sonia Bélanger, ministre responsable des Aînés et ministre déléguée à la Santé. Elle estime que « le Québec fait encore figure de leader dans ce domaine en prenant les moyens nécessaires pour faire respecter le droit des patients de mourir dans la dignité ».
Le Québec, leader de l’« aide médicale à mourir » ? Sur le plan quantitatif, certainement. En effet, en 2023, le recours à l’euthanasie y a augmenté de 17 %. Ainsi, 7,3 % des décès enregistrés dans la province au cours de cette période faisaient suite à une euthanasie [2] quand on en recense environ 5 % en Belgique ou aux Pays-Bas (cf. Québec : l’euthanasie en hausse de 17 %). En outre, en 2022, près de 15 % des donneurs d’organes ont « préalablement » eu recours à l’« aide médicale à mourir »(cf. Québec : 15% des donneurs d’organes ont été euthanasiés).
Même au Québec, ces chiffres interrogent. Lors de l’adoption de la loi, il y a dix ans, le Québec prévoyait qu’une centaine de personnes environ auraient recours à l’« aide médicale à mourir » chaque année. Sonia Bélanger a décidé de financer une recherche sur les facteurs pouvant expliquer l’augmentation constante du recours à l’euthanasie dans la province. Cependant, la ministre n’a apparemment pas jugé utile d’en attendre les résultats pour avancer encore un peu plus sur la pente glissante (cf. Québec : 23 euthanasies « non conformes » dans la quasi-indifférence de l’Exécutif).
[1] Radio Canada, Demandes anticipées d’aide médicale à mourir : entre satisfaction et prudence (08/09/2024)
[2] Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2023, 5 686 personnes ont eu recours à l’« aide médicale à mourir »