“Que faire de mes embryons congelés ?” Le tourment des parents…

Publié le 15 Juin, 2006

La journaliste Sophie des Déserts s’est intéressée aux embryons congelés, ceux qui, issus d’une fécondation in vitro, ne sont pas immédiatement implantés dans l’utérus maternel et attendent au congélateur.

A l’hôpital Antoine Béclère de Clamart, dans la pièce des embryons congelés au sous-sol "seuls quelques initiés savent qu’entre ces murs écaillés repose un trésor inestimable. Là, dans les bonbonnes blanches posées par terre, comme oubliées, des centaines d’embryons… . Une petite armée bien rangée et congelée à -196 °C. Dans la bonbonne EM, par exemple, des embryons de 1988, ici un bataillon de 1999, là des petits nouveaux de 2004. On ferme les yeux, gorge serrée, l’imagination s’emballe, des pleurs de nourrissons semblent déchirer le silence".

La technicienne de labo intervient : « elle ouvre une bonbonne, en retire "une paillette", un tube en plastique de quelques centimètres dans lequel sont conservés deux embryons. "Regardez, on ne voit rien, insiste la jeune femme. A ce stade, c’est juste un amas de cellules." Pas de sensiblerie, ça permet de faire les comptes ». A Clamart, environ 5 000 embryons sont stockés, mais il manquera bientôt de place. En France, 130 000 embryons congelés "dorment". La moitié ont moins de cinq ans et font toujours l’objet d’un projet parental. "Dans la bonbonne, à -196 °C, le temps s’arrête, le tout petit d’homme attendra sagement qu’on vienne un jour le réchauffer".

Que sont ces "ovnis nés des succès de la science" ? En théorie, ils ne sont rien, "des promesses de vie peut-être, pas des êtres humains, surtout pas" car traiter de leur existence, "c’est déjà pour certains les personnifier, attention danger, insulte au combat des femmes…"

Près de 35 000 couples chaque année bénéficient d’une fécondation in vitro. A chaque fois, sont créés 5, 10 ou 15 embryons. "Les plus beaux sont implantés dans l’utérus, les plus fragiles jetés", les autres congelés (avant leur cinq jours d’existence).

Le Pr René Frydman explique "on congèle de plus en plus. Il y a dix ans, on transférait la première fois trois ou quatre embryons frais. Aujourd’hui, on se contente d’un ou deux afin de limiter le risque de grossesses multiples. Le reste est conservé dans les cuves". Selon les témoignages recueillis, les couples n’ont pas toujours leur mot à dire. Ainsi, quand Aude et Thibault ont demandé de limiter le nombre d’embryons congelés, leur médecin a répondu "Faut savoir ce que vous voulez !".

Sophie des Déserts a rencontré de nombreux parents qui ont déjà un ou deux enfants et un certain nombre au congélateur. "Ils y pensent quelquefois ou jamais, ils occultent, ils en plaisantent." Pour Agnès et son mari, leur famille est terminée, et pourtant ils ont encore 9 embryons. Agnès en est "malade". Mettre à la poubelle ces embryons désirés, et obtenus après tant de galère ? Option impensable pour beaucoup car le grand frère qui "joue au train électrique dans le salon était lui aussi un embryon. Un sacré veinard celui-là, échoué dans la bonne paillette. Dans celle d’à côté, restent des petits frères et soeurs en puissance…". Un père se désole : jeter leurs embryons congelés, "c’est comme si je signais l’arrêt de mort de mes enfants". "J’aurais l’impression d’un immense gâchis", dit un autre. Mais pourtant il faut se décider, chaque année le couple reçoit un questionnaire : faut-il continuer la cryoconservation ? Avez-vous toujours un projet parental ?

Aujourd’hui, Nelly Frydman, responsable du laboratoire de FIV, répond au téléphone à une femme qui pour différentes raisons (âge, couple séparé) ne peut conserver ses embryons congelés alors elle demande "un petit rite  funéraire", à leur "dire au revoir". Mais ça n’est pas possible. "Nelly Frydman est bouleversée". "Malaise". Certains couples sont ainsi plongés dans de profondes angoisses. Pour Jean-Marie Kunstmann, responsable du Cecos de Cochin et biologiste en médecine de la reproduction, "on arrive à s’en sortir en partant du projet d’enfant, l’embryon est quelque chose à partir du moment où il a un avenir dans la tête de ses parents. Sinon on devient fou".

La loi autorise le don d’embryons. Malgré les réticences, une quarantaine d’enfants sont nés après un don d’embryon. De plus en plus de couples receveurs attendent. Les parents donneurs regrettent que le don soit anonyme et qu’ils ne peuvent savoir où leur enfant "atterrit".

Depuis 2004, les embryons peuvent être remis à la recherche. Certains estiment que "c’est un bon moyen pour remercier la sciences", d’autres s’affolent "imaginez mes enfants en rat de laboratoire". François Thépot, responsable du pôle procréation génétique à l’Agence de la Biomédecine, indique "C’est très compliqué, de 10 à 15% des couples disent qu’ils sont prêts à donner leurs embryons à la science. Mais dès qu’il s’agit de passer à l’acte…".

L‘article se termine sur les tourments d’une mère sur le sort de ses embryons congelés : "pour l’instant, ils sont là-bas, au frais, dans les sous-sols de Béclère. Des petits riens, c’est ce qu’elle se dit pour s’endormir, ce soir. Si seulement elle pouvait y croire".

Le Nouvel Observateur n°2171 (Sophie des Déserts) 15/05/06

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