Quand les mères porteuses « altruistes » expliquent leurs motivations : décryptage

Publié le 27 Mai, 2025

A l’occasion de la « National Infertility Week », qui a eu lieu du 19 au 25 avril aux Etats-Unis, Amanda Nelson témoigne de son engagement personnel en faveur des couples qui souffrent de ne pouvoir avoir d’enfant. La jeune femme a décidé de devenir mère porteuse. Elle mettra bientôt au monde un enfant pour le remettre à des personnes qu’elle ne connait pas [1].

Donner parce qu’on a reçu ?

Amanda est d’autant plus compatissante envers ces personnes qu’elle a elle-même traversé de nombreuses et douloureuses épreuves avant de pouvoir mettre au monde ses 2 fils.

Dans les discours autour des mères porteuses volontaires, revient toujours leur compassion envers les personnes infertiles, mais aussi un sentiment de gratitude pour leur bonheur d’être mère. Ce sentiment de gratitude les pousserait à « faire un cadeau » en échange de ce don qu’elles ont reçu. Elles « offrent en retour » un enfant à un couple de parfaits inconnus, qui ne sont d’ailleurs, dans le cas de couple [2], pas forcément infertiles.

Le Canada est connu pour sa GPA « altruiste » (cf. « Louer le ventre d’une femme est une pratique odieuse dans toute société qui comprend que les droits des femmes sont aussi des droits de l’homme »). Lorraine Smith, ancienne mère porteuse, a fondé l’agence ANU Surrogacy. Elle résume ce qui, selon elle, incite des femmes à porter un enfant pour autrui : « Ce que j’entends le plus souvent, c’est : je ne peux pas imaginer ma vie sans mes enfants. Quand je vois des couples qui n’en ont pas, je me dis qu’il faut que je fasse quelque chose… ». Une communication bien rodée. Elle poursuit : « Vouloir aider les autres correspond à la personnalité de certains, par exemple les serveuses, les infirmières… ce sont des personnes qui aiment servir et faire plaisir aux autres »[3]. Tammy Ripley, fondatrice de l’agence Oak Surrogacy, qui portait son 4e enfant pour autrui au moment de l’entretien, assure elle aussi : « elles veulent rendre ce qu’elles ont reçu » et ajoute : « tout le monde mérite de pouvoir fonder une famille, peu importe le genre ou l’orientation sexuelle, c’est un droit que tout le monde devrait avoir… et nous y participons d’une façon magnifique »[4]. La maternité, la paternité, serait-elle un dû ?

Payer le prix de sa fertilité ?

Les entreprises qui recrutent des mères porteuses mettent l’accent sur le don. « Give the ultimate gift ! » (« Faites le don ultime ! »). L’agence canadienne JA Surrogacy répète cette injonction au début de chacun des mails hebdomadaires qu’elle envoie aux femmes qui ont fait une demande d’information en tant que candidate mère porteuse sur leur site [5] ; « vous rendrez un couple merveilleusement heureux en leur faisant le plus beau des cadeaux ».

Les femmes ciblées devraient se sentir privilégiées d’être fertiles, dans un monde où tant de personnes souffrent de ne pas avoir d’enfant avec leurs propres gènes. Poussées à la culpabilité, les mères porteuses potentielles se percevraient comme ayant reçu un don immérité d’une valeur inestimable, et dans une quasi-obligation morale de réparer cette injustice.

Porter un enfant en l’aimant, mais pas trop

Les commanditaires comme le grand public attendent des mères porteuses qu’elles agissent par altruisme. Personne ne veut participer à une entreprise de « marchandisation du corps des femmes », et surtout pas les partisans d’une « GPA éthique »[6]. Les agences de GPA doivent rassurer leurs clients dans ce sens : qu’ils n’aient pas l’impression de faire quelque chose de moralement répréhensible ! Les commanditaires attendent qu’une mère porteuse soit persuadée du bien-fondé de son engagement [7]. Si elle est motivée par le gain financier, alors elle sera moins impliquée émotionnellement et l’enfant en subira les conséquences. C’est ainsi que Mathieu, un Français qui cherche une mère porteuse canadienne, et son conjoint, se sont intéressés à la GPA « éthique » (après avoir constaté que cette formule était beaucoup moins chère que lorsqu’il faut rémunérer la mère porteuse) ; les deux hommes craignent que « si la mère porteuse s’en fiche », ce soit « moins bien pour le bébé »[8].

Il faut qu’elle agisse avec amour, mais sans considérer l’enfant comme le sien. Les agences ont un discours clair : « Les mères porteuses savent depuis le début que l’enfant qu’elles portent n’est pas le leur. Elles ont un instinct de protection, elles souhaitent le meilleur pour la vie de cet enfant, mais elles ne ressentent pas l’attachement qu’elles ont pour leurs propres enfants »[9].

Appelées « marraine », « nounou » ou encore « fée », les mots racontent l’histoire que les commanditaires veulent entendre. Loin de la dissociation psychique exigée des femmes qui portent un enfant dont elles devront se séparer.

Dans l’imaginaire lié à la « GPA éthique », ces femmes savent maintenir la bonne distance émotionnelle avec l’enfant qu’elles portent car elles ne subissent en aucun cas la situation, elles l’ont librement choisie, en connaissance de cause, et savent donc maîtriser leurs affects.

L’argent, une motivation malgré tout

Un commanditaire québécois fait part de sa stupéfaction : il a dû rencontrer plus de 100 mères porteuses qui demandaient une rémunération substantielle (« on nous a même demandé une maison ! »), avant de trouver, enfin, une femme qui (selon lui) agirait par altruisme [10] ! Le modèle canadien de « GPA altruiste » ne semble pas convaincre beaucoup de femmes. Au Canada, « la loi fait la différence entre une rémunération (interdite) et une compensation (limitée au montant des dépenses liées à la grossesse, autorisée), mais la limite est très floue. On autorise les paiements pour des remplacements de salaire, si la femme doit arrêter de travailler en raison de la grossesse. On peut aussi lui verser une somme pour compenser différentes dépenses : si elle a acheté des vêtements, ceci ou cela… », explique Ghislaine Gendron, coordinatrice du réseau WDI Canada [11]. « Personne ne va contrôler quelle somme les commanditaires lui proposent et combien elle touche. ».

L’agence qui a recruté Amanda Nelson, Brownstone Surrogacy, déclare rémunérer les mères porteuses « entre 60.000 et 75.000 dollars ». Aux Etats-Unis, le salaire annuel moyen pour les femmes âgées de 20 à 39 ans se situe dans une fourchette de 28.000 à 46.700 dollars. Le salaire minimum est de 15.080 dollars par an. Amanda Nelson – comme toutes les mères porteuses américaines et canadiennes qui s’expriment publiquement sur le sujet – dit que l’argent n’est pas sa « motivation principale ». Aurait-elle porté un enfant pour autrui en échange du salaire minimum ? A fortiori, gratuitement ? Nous sommes en droit d’avoir des doutes.

 

[1] Lauren Victory, “After struggling to conceive herself, Chicago woman now gives back as a gestational surrogate”, CBS News, 24 avril 2025

[2] Ni parfois même quand une femme figure parmi les commanditaires

[3] Dans l’épisode n°3 « Pourquoi devenir mère porteuse ? A part pour l’argent » du podcast La Mère invisible de Pauline Arrighi

[4] idem

[5] Ce que nous avons fait

[6] Voir les discours en faveur de la légalisation d’une « GPA altruiste » en France, tenus notamment par Élisabeth Badinter, le parti Europe Écologie-les Verts ou des personnalités qui ont eu recours à la GPA comme Marc-Olivier Fogiel

[7] Helena Ragone, Surrogate Motherhood: Conception In The Heart, Routeledge, 2020

[8] Propos tenus lors d’un entretien préparatoire à un film documentaire qui n’a finalement pas vu le jour

[9] American Surrogacy Blog, “Can A Surrogate Keep The Baby?”, 21 juin 2023

[10] dans l’émission Une époque formidable de Stéphane Bureau, diffusée sur Téléquébec du 21 septembre 2024

[11] Le réseau Women Declaration International mène entre autres des campagnes d’information sur la « GPA éthique »

 

 

 

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