« Quand cesserons-nous de faire croire aux femmes que les méthodes d’observation du cycle sont archaïques ? »

Publié le 1 Mar, 2018

Lundi, la fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM) lançait l’offensive contre les « méthodes de contraception naturelles », qu’elle accuse d’être « moins fiables » que la pilule ou le stérilet. La présidente de cette fédération, Pia de Reilhac estime que l’ « efficacité » des méthodes naturelles est « relative », ce qui entrainerait « de nombreux avortements ». Elle s’alerte du recours croissant à ces méthodes, en partie suite aux scandales sanitaires des pilules de 3ème et 4ème génération ou encore en réponse à la contrainte que représente la prise de pilule.

 

Pour Marion Vallet, sage-femme libérale à Lille, cette attaque est injuste et basée sur de faux arguments. Porte-parole d’un collectif de professionnels de santé « pour une liberté de choix et une juste information pour la gestion de la fertilité », elle répond aux questions de Gènéthique. Avec plus de 100 professionnels de santé, elle s’apprête à publier un Manifeste en droit de réponse à la fédération nationale des Gynécologues médicaux.

 

Gènéthique : Le docteur de Reilhac cite dans la vidéo diffusée le 26 février la méthode symptothermique, la méthode Billings ou encore le retrait et rapporte un taux d’échec de 15 à 18% avec ces méthodes. L’article du Point mentionne pour sa part la méthode Ogino ou encore les applications telles que Natural Cycles. Vous avez été interpellée par ces propos, que répondre à cet amalgame ?

Marion Vallet : Tous ces récents articles balayent avec mépris les différentes méthodes d’observation du cycle sans se donner la peine de la précision sur chacune d’elle. Mais les « méthodes naturelles » ne sont pas toutes les mêmes : le retrait n’a rien à voir avec les méthodes d’observation du cycle telles que la méthode de l’Ovulation Billings, la symptothermie ou encore Fertility care. La méthode Ogino n’a rien d’une Méthode d’Observation du Cycle (MOC) car elle se base sur la longueur des cycles (comme la médecine classique d’ailleurs) et non sur la réalité de chaque femme. Une MOC n’est pas non plus une méthode de calcul statistique qui définit à priori la longueur du cycle à venir et qui suppose le cycle sur la base des cycles précédents. Ce ne sont pas des applications ou des appareils électroniques qui calculent avec des algorithmes la période d’ovulation : comme le souligne justement le docteur de Reilhac, « les femmes ne sont pas des robots », chaque femme est différente et chaque cycle est différent.

 

Bien au contraire, les MOC reposent sur l’analyse quotidienne des biomarqueurs de la fertilité que les femmes apprennent à reconnaitre, grâce à un enseignement de qualité reçu par des moniteurs ou instructeurs accrédités, ou encore des professionnels de santé formés. Elles ne sont d’ailleurs pas simplement une « contraception naturelle » : elles permettent aussi aux couples en désir d’enfants de concevoir plus facilement, ou aux femmes de suivre leur santé génésique. Et dans le cas de contre-indications à l’usage des hormones contraceptives, les MOC peuvent être l’ultime solution.

 

En outre, la fiabilité de ces MOC n’indique pas un indice de Pearl entre 15 et 18% (taux de grossesses) mais une fiabilité égale à celle de la pilule oestro-progestative, première contraception des femmes françaises[1]. Quand cesserons-nous de faire croire aux femmes que les méthodes scientifiques d’observation du cycle sont archaïques ? Peu fiables ? Approximatives ? Aléatoires ?

 

Concernant le lien méthode naturelle/avortement, je voudrais aussi souligner que le taux d’IVG n’a pas augmenté malgré un désamour des femmes vis-à-vis des hormones contraceptives[2] et un recours des couples vers le préservatif[3]. Au contraire, il serait en légère baisse. Et on ne peut ignorer aujourd’hui que deux tiers des femmes qui ont recours à l’IVG étaient sous contraception.

 

Cette ignorance sur les MOC est une réalité française, qui se double d’une ignorance sur la physiologie du cycle : au terme d’années d’études médicales, peu de professionnels de santé savent répondre à des questions simples de femmes : pourquoi mon cycle ne dure pas 28 jours ? Pourquoi ai-je des cycles irréguliers ? Comment savoir si j’ovule ? Et bien d’autres questions souvent entendues en consultation.

 

G : Il y a cependant des constats sur lesquels vous rejoignez le docteur de Reilhac ?

 

MV : Oui ! Le docteur de Reilhac déclare que « des soucis avec la pilule on en a toujours eu ». Sur ce point, je la rejoins. Des années durant les femmes ont osé en parler en consultation et nous avons trop souvent négligé les effets secondaires jusqu’à la médiatisation de la pilule de troisième génération en mars 2013.

 

Elle constate aussi que les femmes en ont marre de la pilule, d’imposer à leur corps des hormones de synthèse, observation que je partage grâce à mon expérience clinique. Mais nous n’y apportons pas la même réponse : si aujourd’hui 12,6% des femmes déclarent utiliser une méthode naturelle ou aucune méthode, je l’interprète comme une aspiration des femmes à autre chose que ce qu’on leur propose : une volonté de connaissance et d’appréciation de la féminité. De nombreux scientifiques à travers le monde, gynécologues mais aussi endocrinologues, statisticiens, neurologues, pédiatres… n’ont cessé et ne cessent de faire des découvertes sur la fertilité et sur la gestion de celle-ci : lisons les, osons nous interroger sur des alternatives, nous former pour être en mesure de mieux conseiller les femmes et de les respecter dans leurs choix. Si nous ne savons pas répondre à la demande des patientes en conseillant des méthodes non invasives scientifiques et fiables, c’est alors que nous prenons le risque qu’elles se tournent vers les pratiques naturelles sans aucune fiabilité (Ogino, retrait, applications sur smartphone…), seules, sans accompagnement, sans formation : là nous avons raison de nous inquiéter des grossesses non désirées.

 

Enfin elle plaide pour que les gynécologues médicaux consacrent plus de temps lors de la première consultation. Oui ! Mais cela devrait être le cas de toutes les consultations : prendre le temps de savoir ou la femme en est, ce qu’elle souhaite, personnellement mais aussi avec son conjoint. La première consultation devrait pour sa part être l’occasion de parler de la physiologie. Pour cela les gynécologues médicaux pourraient s’appuyer davantage sur les sages-femmes qui reçoivent elles aussi les jeunes filles, ou encore sur les médecins généralistes qui interviennent souvent en première intention. Cette prise en charge pluridisciplinaire permettrait aux femmes d’accéder au savoir sur elle-même, sur leur fertilité de couple. Combien sont celles qui ignorent les mécanismes d’action de ce qu’on leur a prescrit si vite sans parfois leur demander leur avis…

 

Pour plus d’informations et d’études scientifiques sur les MOC : www.factsaboutfertility.org ; www.naturalwomanhood.orgwww.cemcor.ca

 

[1] Source : FACTS about fertility ; A titre d’exemple, la symptothermie est citée par l’OMS comme ayant un indice de Pearl théorique de 0.4 et un indice de Pearl pratique de 2 ; ces données sont respectivement de 1 et 8 pour la pilule oestroprogestative.

[2] Baisse de 7.6% entre 2010 et 2016 selon le baromètre de l’Inpes

[3] +4,7%

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