Les débats du matin du 19 mai à l’Assemblée nationale ont révélé une nouvelle fois les lignes de fracture profondes sur les conditions d’accès à l’« aide à mourir ». Autour de l’article 4, les députés ont affronté des enjeux bioéthiques majeurs : la nationalité, la temporalité du pronostic vital, et l’interprétation du critère médical ouvrant droit à cette procédure létale. Entre volonté d’encadrement rigoureux et tentation de lever les verrous, les échanges ont cristallisé les tensions entre autonomie du patient et responsabilité collective.
Nationalité et résidence : « Le fantasme du tourisme de la mort »
Les discussions se sont d’abord concentrées sur la condition de nationalité française et de résidence stable et régulière. Plusieurs amendements de suppression de ce critère, défendus par Océane Godard (Socialistes et apparentés) et Karine Lebon (Gauche Démocrate et Républicaine), ont été rejetés. Catherine Vautrin, ministre de la Santé, a souligné que « l’objectif n’est pas d’accueillir les personnes qui viendraient en France uniquement pour cette démarche », se prononçant fermement contre une « dérive vers le tourisme de la mort ».
Des députés comme Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) ont estimé qu’il s’agissait d’un « fantasme » sans fondement, tandis que Gérault Verny (UDR) a insisté au contraire sur « la nécessité d’un ancrage réel dans le pays ». Un point de friction a émergé autour de la compatibilité entre le « droit à mourir » et les conventions de soins transfrontalières. Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates) s’est interrogé : « Quel médecin pourra juger de la régularité d’une résidence ? »
Phase avancée : des critères jugés « flous », des amendements multiples
Au cœur de la matinée, le débat s’est intensifié sur la définition des critères médicaux ouvrant droit à l’« aide à mourir ». L’alinéa 7 de l’article 4 prévoit une affection « grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale ». Ce champ large a suscité des tentatives de restriction.
Plusieurs amendements (notamment ceux de Stéphane Peu (Gauche Démocrate et Républicaine) et Christophe Bentz (Rassemblement National)) ont cherché à réintroduire une notion de « court terme » ou à supprimer les mots « quelle qu’en soit la cause ». Ces termes, dénoncés comme « flous » ou « superfétatoires » par Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République), pourraient, selon Justine Gruet (Droite Républicaine), ouvrir la voie à l’inclusion de maladies neurodégénératives non létales à brève échéance.
Cyrille Isaac-Sibille a alerté : « Ces mots incluent des traumatismes évolutifs. Or, l’évolution est incertaine. » Hervé de Lépinau (Rassemblement National) a évoqué un « cauchemar juridique » et dénoncé un glissement continu du droit : « L’amendement Touraine, c’est mettre un pied dans la porte. »
Le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) a toutefois rejeté ces inquiétudes, insistant sur le fait que les critères restent « cumulatifs » et donc restrictifs considère-t-il. Un avis partagé par Catherine Vautrin, qui a émis un simple avis de « sagesse » sur le sujet, tout en s’opposant aux amendements. Tous ont été rejetés.
Le pronostic vital : socle de protection ou verrou idéologique ?
Autre point de tension : la notion même de pronostic vital engagé. Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés) a proposé de supprimer cette condition, estimant que « seul le malade peut évaluer la soutenabilité de la souffrance ». Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) a appuyé : « Cette ultime liberté rassure ».
Face à ces amendements, la majorité des voix, y compris celles de Jérémie Patrier-Leitus (Horizons et Indépendants) et Lionel Tivoli (Rassemblement National), ont rappelé le rôle de garde-fou de cette exigence : « Le rôle de la société est d’apaiser, pas d’abréger », a résumé Lionel Tivoli.
A gauche, Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés) a nuancé son soutien à un élargissement : « Les bornes du texte permettent de préserver notre humanité commune » (cf. Fin de vie : « Députés de gauche, nous vous demandons de faire barrage à cette proposition de loi, par fidélité à ce que la gauche a de plus précieux : la défense indiscutable de la solidarité et de la dignité humaine »). Tous les amendements visant à assouplir cette condition ont été rejetés.
Une tension éthique croissante
Le débat du matin révèle une trajectoire parlementaire sous haute tension éthique. D’un côté, une volonté politique assumée de « sécuriser l’accès à l’aide à mourir », selon les mots de Brigitte Liso (Ensemble pour la République), rapportrice. De l’autre, une inquiétude grandissante sur la porosité des garde-fous. Lionel Tivoli l’a résumé : « Si l’on fait sauter tous les verrous, il n’en restera plus aucun ».
Alors que les défenseurs du texte invoquent la liberté et la dignité du patient, ses opposants pointent le risque d’un basculement majeur, où la réponse à la souffrance ne serait plus de soigner, mais d’abréger.
Jusqu’où peut-on encadrer la mort sans précipiter une rupture anthropologique ? L’ambiguïté des critères, la subjectivité de la souffrance et la pression implicite sur les plus vulnérables mettent au défi la promesse d’une loi à la fois « humaine et maîtrisée ».