Projet de loi bioéthique : « l’abolition du critère médical d’infécondité ouvre la PMA à tous les caprices procréatifs » [décryptage 1/3]

Publié le 24 Juil, 2019

L’avant-projet de loi bioéthique, rendu public au mois de juin, est l’aboutissement d’un long processus amorcé en janvier 2018 avec les états généraux de la bioéthique. Déposé ce mercredi matin en Conseil des ministres, il reprend une grande partie des évolutions préconisées par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son avis n°129 de septembre 2018. Les 32 articles qui le composent vont bien au-delà du sujet le plus médiatique, l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules : recherche sur l’embryon, diagnostic anténataux, interruption médicale de grossesse sont également au programme de cette révision de la loi de bioéthique. Jacques Suaudeau décrypte pour Gènéthique chaque disposition de ce texte, dans ce premier article ceux qui concernent la PMA.

 

Gènéthique : Sans surprise, l’article 1 ouvre la PMA à « toutes les femmes ». Qu’en est-il précisément ?

 

Jacques Suaudeau : Le projet de loi prévoit d’étendre l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, et propose que l’utilisation de cette technique soit prise en charge par la sécurité sociale, comme c’est le cas actuellement pour les couples hétérosexuels. Aurait ainsi accès à cette technique « tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ». Pour cela, le gouvernement propose de faire disparaître le critère médical d’infertilité, qui conditionnait jusqu’alors l’accès à cette technique : la technique serait dès lors accessible aussi aux couples hétérosexuels dont « l’infertilité n’a pas été médicalement constatée ». Ces derniers pourraient accéder à la PMA sur demande, et non plus en fonction d’une infertilité médicalement constatée. Une évolution à laquelle est particulièrement opposée l’Association de patients de l’AMP et de personnes infertiles  (BAMP !), qui regroupe des couples ayant eu accès à la PMA, et qui plaide pour que ce critère d’infertilité soit maintenu pour les couples hétérosexuels.

 

L’interdiction de recourir à la PMA en cas de décès du père – ce que l’on appelle la « PMA post-mortem » – est maintenue.

 

G : Quelles sont les conséquences cette disposition ?

 

JS : L’élargissement de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes est problématique pour l’enfant qui naitra dans de telles conditions. Cela reviendra à décréter a priori l’existence d’enfants sans pères. D’un point de vue psychique, le respect dû à l’enfant et à la construction de sa personnalité est gravement blessé. Du point de vue de la société où le rôle des parents est déjà bouleversé de multiples manières et où l’autorité est remise en question, cette absence planifiée de père est problématique. La Convention internationale des droits de l’enfant, signée et ratifiée par la France, pose le droit pour chaque enfant, dans la mesure du possible, « de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Organiser délibérément l’effacement du père n’est pas compatible avec ce droit.

 

En outre, le projet de loi porte à son degré le plus élevé ce qui constitue un des problèmes éthiques majeurs posés par les PMA : les « parents » ne voient que la satisfaction de leur désir et ne tiennent  pas compte des droits de l’enfant futur, qui est pourtant le premier intéressé. Cet enfant qui n’existe pas encore a le droit de venir au monde dans les meilleures conditions possibles de filiation, d’accueil parental, de formation humaine et d’éducation. Ces conditions ne sont pas réunies dans le cadre d’une PMA qui serait ouverte aux femmes seules.

 

Par ailleurs, l’abolition du critère médical d’infécondité pour l’accès à la PMA, nécessitée par l’élargissement de la PMA à des duos de femmes qui ne peuvent naturellement avoir d’enfant est également très problématique. En effet, elle ouvre la PMA à tous les caprices procréatifs et ils sont nombreux : recours à la PMA pour utiliser des ovocytes congelés sans qu’il y ait eu de raison médicale à cette congélation, possibilité désormais ouverte à tous de choisir par diagnostic préimplantatoire le « meilleur embryon » soit pour son sexe, soit pour le protéger de pathologies possibles de l’adulte, (« enfant parfait ») soit même pour qu’il soit doté de dispositions génétiques avantageuses (« enfant sur mesures » ou « enfant amélioré). L’abolition du critère médical pour l’accès à la PMA ouvre la porte à bien des dérives. Elle va tout à fait dans le sens de la « pente glissante » eugénique qui nous a fait passer de l’élimination de l’enfant avant la naissance (diagnostic prénatal conduisant à une « interruption de grossesse pour motif médical », IMG)  à la sélection embryonnaire par DPI et conduit à « l’enfant parfait » ou « amélioré » des idéologies transhumanistes. Cela aussi est irresponsable.

 

On peut dire sans exagération que cette modification de l’accès à la PMA conseillée par le CCNE et avalisée par le gouvernement est une erreur magistrale qui va conduire notre société à des complications sans nombre. C’est préparer la trappe dans laquelle on veut tomber.

 

G : L’avant-projet de loi prévoit également de légaliser un des « produits dérivés les plus prisés de la médecine reproductive »[1], l’« autoconservation ovocytaire à des fins de précaution ».

 

JS : Oui, l’article 2 prévoit en effet d’autoriser l’autoconservation des ovocytes pour les femmes qui veulent préserver leur fertilité afin de pouvoir procréer tardivement (par FIV). Comme pour les changements proposés en ce qui concerne la PMA, cette autorisation de conservation d’ovocytes sans raison médicale, mais pour répondre au désir des demandeuses, étend l’utilisation d’une technique médicale en dehors d’un contexte pathologique. Si cette disposition était adoptée, les « conditions d’âge » seraient alors précisées par décret.

 

L’article 21 revient pour sa part sur la question de la conservation des gamètes, mais cette fois-ci dans la perspective médicale de la prévention de l’altération de la fertilité et de la restauration ultérieure de cette fécondité. Outre l’indication de la conservation de fécondité chez l’enfant exposé à une chimiothérapie[2], l’article 21 ajoute qu’il s’applique aussi aux personnes « dont la fertilité risque d’être prématurément altérée ». Cela peut concerner les vieillissements prématurés[3]. Mais il serait aussi possible de faire rentrer dans ce cadre les conservations de gamètes en vue d’une procréation ultérieure, alors que la fécondité naturelle serait altérée par l’âge. 

 

La congélation préventive d’ovocytes a été développée pour préserver la fécondité chez les fillettes ou des adolescentes devant être soumises à un traitement anticancéreux. Elle était parfaitement justifiée, même si elle obligeait le sujet à passer par une fécondation in vitro s’il voulait utiliser ses ovocytes, une fois guéri de son cancer. On peut toutefois remarquer que la conservation préventive de tissu ovarien, qui permet une reprise naturelle de la fécondité après transplantation de ce tissu, est plus respectueuse de l’éthique de la procréation humaine et a donné de bons résultats. Le texte du projet de loi ne répond pas à cette nécessité médicale, mais à une nouvelle « mode », dérivée des bons résultats des vitrifications d’ovocytes, liée à notre culture utilitariste et dominée par l’efficience économique. Des femmes préfèrent « faire une carrière » ou accéder à des « postes » de valeur que d’avoir des enfants dans l’immédiat. Or elles savent qu’à partir de 35 ans leur fécondité diminuera rapidement. Elles tombent alors captives des sirènes de la vitrification d’ovocytes qui, contre rémunération non négligeable, congèlent des ovocytes prélevés chez ces femmes, avec l’idée qu’elles pourront les reprendre plus tard quand elles se sentiront disposées à une grossesse. Cela implique bien sûr le recours à une FIV d’indication non médicale, que le projet de loi permet à son article 1. Il y a là un « effet de mode » considérable qui profite certes à l’industrie des PMA mais n’est pas très honnête. C’est oublier d’abord que l’opération du « stockage des ovocytes » est pesante, avec des risques non négligeables d’hyperstimulation ovarienne. C’est oublier aussi que la fécondité féminine ne dépend pas que du nombre et de la jeunesse des ovocytes mais de bien d’autres facteurs.

 

G : Concernant les enfants nés de PMA et en particulier ceux issus d’un don de gamètes, une reconnaissance de leurs droits est-elle réellement envisagée ?

 

JS : L’article 3 du projet de loi se présente comme une proposition de reconnaissance des droits des enfants nés de PMA. L’intention est bonne, mais le contenu de l’article déçoit car il ne touche que la question de l’anonymat et non celle, plus vaste, du non-respect de l’autonomie des futurs enfants.

 

L’anonymat du don de gamètes, inscrit dans la première loi de bioéthique (1994) mais institué dès les années 70 était considéré comme un élément de sécurisation des familles ayant fait appel au don. Cette règle est aujourd’hui remise en cause : plusieurs procédures judiciaires intentées par des enfants nés de don sont en cours, dont deux sont actuellement examinées par la Cour européenne des droits de l’homme. La connaissance des origines paraît aujourd’hui plus importante pour la construction des individus.

 

En outre, un élément nouveau est entré dans le débat : l’utilisation de tests génétiques vendus sur Internet par des sociétés américaines. Des tests interdits en France, mais qui permettent de comparer son ADN à des millions d’autres. Plusieurs enfants nés d’un don sont ainsi parvenus à établir des liens entre eux, découvrant qu’ils étaient issus d’un même donneur. L’un d’entre eux, Arthur Kermalvezen, est parvenu à aller plus loin, retrouvant l’homme qui avait permis sa naissance. Ceci a introduit un doute sur la valeur éthique du système de l’anonymat français, qui, en fait, en protégeant les donneurs de gamètes, permettait une plus grande disponibilité de leurs services, dans les CECOS[4]. Depuis quelques mois, ce débat autour de l’anonymat s’est peu à peu imposé dans la sphère publique, jusqu’à devenir l’un des points majeurs des recommandations émises par le CCNE.

 

Dans l’avant-projet de loi, le gouvernement ouvre l’accès aux origines aux personnes nées de don de gamètes : à leur majorité, elles auront accès soit à des données non identifiantes (âge, état de santé au moment du don, caractéristiques physiques, pays de naissance, motivation du don) auxquelles le donneur consent au moment du don, soit aux données identifiantes moyennant le consentement explicite du donneur. Ce changement, qui vient bousculer le principe de l’anonymat, correspond à une demande majeure exprimée par la première génération des enfants nés d’un don.

 

L’accès à l’identité fait partie des droits fondamentaux de la personne humaine. Le projet se place dans la ligne éthique du respect de l’autonomie du futur enfant, et en constitue une première pierre. Mais il s’agit là d’une mesure partielle. Le vrai problème lié à la pratique des PMA est que celle-ci s’est développée uniquement dans la perspective de l’intérêt et des désirs des parents, sans tenir compte des droits du futur enfant, qui est pourtant le principal intéressé. Et cet aveuglement volontaire a été accepté sans critique par les législateurs, les moralistes, les bioéthiciens et l’opinion générale, comme l’esclavage avait été accepté sans problème au cours des siècles passés.

 

G : Le dernier point concernant la PMA dans le projet de loi bioéthique concerne la filiation. Quel changement introduit-il ?

 

JS : Il est évident que l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes introduit un gros problème éthique et juridique dans le domaine de la filiation et laisse entrevoir bien des complications futures, que le projet accepte avec une certaine légèreté, laissant aux générations futures le soin de se débattre avec les problèmes ainsi volontairement créés. «Pour la première fois en droit français, il faudra dissocier radicalement les fondements biologiques et juridiques de la filiation d’origine en prévoyant une double filiation maternelle», avait averti le Conseil d’État l’année dernière.

 

Plusieurs options ont été étudiées pour établir la filiation des enfants nés dans un couple de femmes. Deux d’entre elles figurent dans le projet de loi : soit la création d’une filiation « par le biais d’une ‘déclaration anticipée de volonté’, établie devant un notaire par le couple, hétérosexuel ou lesbien, ou la femme seule avant l’accouchement, et qui serait présenté à l’officier d’état civil après l’accouchement. Conçu ainsi, ce dispositif concernerait donc tous les couples, homosexuels et hétérosexuels. Un processus en deux étapes : d’abord, le couple passe chez un notaire ou un juge pour « prendre acte du projet parental » ; ensuite, la compagne de la femme qui accouche est reconnue comme mère, par le biais d’une « présomption de co-maternité ». Dans un rapport publié en juin, le Conseil d’État mettait toutefois en garde : « Cette solution apparaît en contradiction avec la philosophie des modes d’établissement classiques de la filiation qui reposent sur la vraisemblance, le sens de la présomption étant de refléter une vérité biologique. » La seconde option prévoit de limiter ce dispositif uniquement aux couples de femmes.  Au cours d’une réunion organisée à la Chancellerie, le 11 juin, la totalité des associations présentes, toutes favorables à l’extension de la PMA, ont rejeté cette deuxième option, considérant qu’elle constituait une discrimination à l’égard des couples de femmes. En revanche, le Conseil d’État préfère clairement ce scénario car il établit deux régimes distincts fondés sur « deux philosophies différentes » : le régime actuel pour les couples hétérosexuels, fondé sur le mimétisme biologique, et le régime réservé aux couples de femmes, «reposant sur le rôle accru de la volonté ».



[1] Laure Noualhat, Lettre ouverte à celles qui n’ont pas (encore) d’enfant

[2] « prise en charge médicale susceptible d’altérer la fertilité »

[3] progéria, ou syndrome de Hutchinson-Gilford

[4] Centres d”Etudes et de Conservation des Œufs et du Sperme

 

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Jacques Suaudeau

Jacques Suaudeau

Expert

Monseigneur Jacques Suaudeau est docteur en médecine. Il a été chercheur en chirurgie expérimentale au National Institute of Health (USA) et directeur scientifique de l'Academie Pontificale pour la vie jusqu'en 2013. En 2013, aux éditions "Peuple Libre", il a publié le livre: "L'objection de conscience, ou le devoir de désobéir". Il est décédé le 28 juillet 2022.

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