Le projet de loi bioéthique comporte, outre une libéralisation de la PMA et de la recherche sur l’embryon, des mesures concernant le don d’organes, les dépistages anténataux et l’interruption médicale de grossesse. Jacques Suaudeau poursuit avec Gènéthique le décryptage des enjeux de ce texte (cf. Projet de loi bioéthique : « l’abolition du critère médical d’infécondité ouvre la PMA à tous les caprices procréatifs » [décryptage 1/3] ; Projet de loi bioéthique : Nouvelle étape dans la libéralisation de la recherche sur l’embryon [décryptage 2/3]).
Gènéthique : Quelles modifications apportent le projet de loi à l’encadrement du don d’organes ?
Jacques Suaudeau : La modification de la loi concerne le don croisé d’organes, déjà permis en France depuis la loi de 2011. La pratique du don croisé consiste à permettre un échange des organes entre deux paires de donneur-receveur, lorsque le don direct n’est pas possible au sein de chaque paire en raison d’une incompatibilité entre le donneur et le receveur. La première transplantation de ce type date de 2001 et représente actuellement la source de reins transplantables qui s’accroit le plus rapidement, du moins aux Etats Unis. Le programme de don croisé français, qui a débuté en 2013 n’a guère donné de résultats[1], les conditions posées réduisant les possibilités d’appariement. Plusieurs axes d’évolution ont été examinés, deux ont été retenus dans le projet de loi : le nombre maximum de donneurs et receveurs consécutifs est limité à quatre paires ; il peut être fait recours à un organe prélevé sur une personne décédée dans les conditions fixées à l’article L. 1232-1 pour « amorcer » la chaine des donneurs.
En limitant à quatre paires le nombre maximum de donneurs et de receveurs on évite la formation de ces chaines interminables que l’on voit par exemple aux Etats Unis et qui transforment le don d’organe en une entreprise commerciale, avec contrat. On peut aussi maintenir la simultanéité des transplantations. Cette simultanéité des échanges évite que l’opération ne tourne au contrat ou qu’elle ne se bloque par désistement d’un des donneurs.
Toutefois, je doute que cette modification ait un grand impact sur les dons d’organes en France. Ce n’est pas une modification de la loi qui augmentera les dons d’organes dans notre pays, mais une préoccupation des agences responsables pour faciliter ces dons au niveau local, dans les centres d’urgence, par un meilleur accueil des familles. Plutôt que de se limiter à des déclarations ministérielles ou de l’Agence de la Biomédecine, ou d’avoir recours à des expédients inefficaces, la France ferait bien de s’inspirer du modèle espagnol qui permet à ce pays d’être internationalement au premier rang dans les dons d’organes.
G : Les tests génétiques font partie d’un domaine qui a largement évolué depuis la précédente révision de la loi de bioéthique. Que dit la loi des tests pratiqués sur les personnes décédées et quel point concerne la révision ?
JS : En dépit de l’obligation au respect de la vie privée et au secret des informations concernant l’individu, la loi prévoit les conditions dans lesquelles le résultat de tests génétiques pratiqués sur une personne décédée peut être communiqué à des tiers : pour « permettre de connaître les causes de la mort », « défendre la mémoire du défunt » ou « faire valoir leurs droits ».
Le projet de loi définit de façon plus précise les conditions dans lesquelles un test génétique peut être pratiqué sur une personne hors d’état d’exprimer son consentement, dans l’intérêt des membres de la famille concernée (par exemple si l’on soupçonne que le patient est porteur d’une grave maladie génétique familiale qui nécessite prévention et traitement chez les membres de la famille et impose éventuellement des restrictions eugéniques dans la procréation). Le nouveau texte va bien au-delà des considérations actuellement en vigueur. Il rentre dans une perspective importante de conseil génétique et de prévention, et est à ce titre bienvenu. En fait, le projet de texte conforme la loi française au protocole additionnel sur les tests génétiques de la convention d’Oviedo.
G : Et pour les tests pratiqués sur une personne vivante ?
JS : En ce qui concerne la pratique de tests génétiques sur une personne, pouvant entrainer la découverte d’anomalies génétiques familiales responsables potentiellement de maladies graves, et dont la connaissance par les membres de la famille de cette personne permettrait des mesures salvifiques de prévention, l’article L 1131-1-2 du code de la Santé publique avait prévu la façon dont la personne intéressée devait être invitée à faire part de ces résultats aux membres de sa famille.
Le projet de loi reprend textuellement cet article, et lui ajoute un paragraphe concernant les personnes qui ne sont pas en état d’exprimer leur consentement. Là encore cette addition aligne la loi française sur l’article VI du Protocole additionnel à la convention d’Oviedo du Conseil de l’Europe, portant sur les tests génétiques.
G : Le projet de loi veut aussi encadrer les tests génétiques sur les personnes qui en font la demande, une pratique en plein développement…
JS : Oui, car le risque que fait courir cet engouement est lié au fait que le public a de la difficulté à comprendre qu’il ne s’agit là que de tests à valeur statistique, de probabilité, qui nécessitent une interprétation de la part d’experts. Ces tests ne devraient être demandés que pour une raison médicale, dans le cadre d’une consultation génétique. Sinon, ils risquent d’alarmer les personnes de façon inutile, et de les entrainer à des décisions inconsidérées.
Le projet de loi précise ainsi :
- que ces tests génétiques ne sont justifiés que s’ils ont une finalité médicale ou scientifique (pour éviter l’utilisation de ces tests dans une perspective futile malsaine de simple curiosité ou de consommation),
- que la personne sur laquelle ces tests seront pratiqués doit donner son consentement exprès (ce qui éviterait la pratique de ces tests par des membres de la famille ou des assurances sur des personnes non consentantes ou mal informées, en violation du droit au respect de la vie privée et au secret sur les informations concernant cette vie privée),
- que ces tests peuvent révéler des caractéristiques génétiques qui n’ont pas de relation avec la raison pour laquelle ils ont été entrepris, et que l’on ne peut ignorer ces révélations fortuites si elles concernent la santé des personnes en lien avec le sujet testé, et permettraient une prévention.
Le projet gouvernemental encadre donc ce que l’on appelle les découvertes incidentes, c’est-à-dire les anomalies génétiques détectées de manière « fortuites », lors d’un contrôle pratiqué pour une autre maladie. Ces découvertes incidentes, que les médecins ne pouvaient communiquer aux patients, peuvent désormais être dites si ces derniers le souhaitent.
Ces modifications sont bienvenues. On peut simplement regretter que le projet de loi n’ait pas profité de cette modification pour insister sur l’importance du conseil génétique, mettant en garde le public contre les « tests prédictifs » vendus sur Internet. Le résultat de ces tests peut être en effet dommageable s’ils ne sont pas accompagnés d’un conseil génétique fait par un médecin expert[2].
G : Le diagnostic prénatal est aussi encadré par la loi de bioéthique. Quelles sont les modifications en jeu ?
JS : Le projet de loi tient à intégrer dans le diagnostic prénatal ce qui a été dit plus haut à l’article 10 à propos des tests génétiques amenant des « découvertes fortuites ». Mais ici le sens n’est pas exactement le même. Il s’agit de la découverte fortuite, non anticipée d’une anomalie génétique chez un enfant pour lequel une exploration plus poussée était envisagée pour un autre motif que pour celui de l’anomalie découverte. Ce que dit le projet de loi est que cette découverte doit mener à une enquête génétique chez les deux parents. L’alinéa rejoint ici la préoccupation eugénique d’information génétique des membres de la famille exprimée dans l’article 10. Le diagnostic prénatal n’a plus dans cette perspective le seul but de contrôler le bon déroulement de la grossesse, mais devient un moyen d’investigation à visée eugénique de l’état génétique de la population.
G : Sans que les rapports préparatoires ne l’aient mentionnée, l’interruption médicale de grossesse s’invite dans le projet de loi…
JS : En effet, dans son article 20, le projet de loi introduit dans le cadre de l’interruption de grossesse pour motif médical la « réduction embryonnaire » pratiquée en cas de grossesse multiple suivant une FIV. Il s’agit d’encadrer les réductions embryonnaires pratiquées devant des grossesses multiples liées à la FIV-ET selon le protocole de l’interruption médicale de grossesse et dans les délais de l’IVG, soit avant la fin de la 12ème semaine. La limite étant qu’« aucun critère relatif aux caractéristiques des embryons ou des fœtus, y compris leur sexe, ne peut être pris en compte ». Cet article concerne au premier chef les grossesses multiples dans le cadre des PMA, mais peut s’appliquer à toute grossesse multiple.
Cette mesure qui réduirait le nombre des avortements après FIV-ET faits pour le choix du sexe parait salutaire. Ce qui l’est moins est la pratique de cette réduction embryonnaire qui fait de la PMA en une technique de mort. Il s’agit de donner un cadre juridique à une pratique qui a débuté avec les débuts des FIV.
Par ailleurs, le projet de loi modifie l’encadrement de l’IMG chez les femmes mineures : il admet que la femme mineure puisse ne pas vouloir mettre au courant ses parents de l’IMG. Il insiste sur la nécessité d’obtenir son consentement. En cas de refus, il oblige la femme à se faire accompagner par une personne « majeure de son choix ». Ce texte reflète les préoccupations des médecins face à des mineures qui veulent garder le secret sur leur grossesse et sont prêtes à un avortement pour se sauver de leur situation. Il rejoint la possibilité aujourd’hui donnée aux adolescentes d’avorter sans le consentement des parents. A ce point de vue, il n’apporte rien de nouveau. En même temps, il représente une certaine démission de la santé publique devant la situation d’une mineure qui devrait être accompagnée au moins moralement dans une situation qui risque de la marquer à vie ou de la conduite à une attitude irresponsable suivie d’avortements à répétition.
G : Enfin, le projet de loi apporte des modifications qui concernent le rôle du Comité Consultatif National d’Ethique…
JS : Le projet de loi s’achève en effet sur un article 29 destiné à fixer les modalités pour les futures révisions des lois de bioéthique en France. L’ajout s’inspire du débat public de 2018 sur les questions bioéthiques, et vise à ôter à ce débat son aspect évènementiel, émotif et superficiel, pour le transformer en une institution permanente, animée par le CCNE, sous forme de débats réguliers.
Elle exprime la préoccupation du CCNE à cet égard : le débat public de 2018 a permis à toutes les opinions de s’exprimer. Mais il n’a pas été réellement constructif, le débat étant peu alimenté par les nécessaires informations, et tournant souvent court. Or ce débat public, prévu par exemple dans la convention d’Oviedo, est jugé aujourd’hui nécessaire, afin que les décisions juridiques puissent correspondre aux besoins ressentis par les populations, et que la bioéthique sorte de son cadre d’experts pour s’ouvrir aux opinions et jugements de la population générale.
Par ailleurs, le mandat des membres du CCNE passerait de deux à trois ans.
Le texte ne dit rien d’un éventuel élargissement des compétences du CCNE à des domaines dépassant la biologie, la médecine et la santé, comme il a été suggéré.
[1] 4 greffes en 2014, 2 greffes en 2015 et 4 greffes en 2016
[2] chapitre IV, article 8 du Protocole additionnel sur les tests génétiques de la convention d’Oviedo