« Prenez vos responsabilités ! » : le consensus sur les soins palliatifs préservé dans la douleur

15 Mai, 2025

Mercredi, l’examen de la proposition de loi « relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs » a été d’abord poursuivi sans heurts, sur les articles 5 à 7 du texte qui portent sur la loi de programmation pluriannuelle ainsi que sur l’évaluation du financement des soins palliatifs.

Peu d’amendements sont adoptés. Le groupe Rassemblement national obtient l’inscription d’un objectif en matière de soins palliatifs pédiatriques (amendement 576). Les groupes Socialistes et apparentés et Gauche Démocrate et Républicaine font adopter de leur côté des amendements (37, 176) visant à prévoir un financement public des associations de bénévoles. La Droite républicaine obtient quant à elle l’adoption de l’amendement 240 qui précise que le rapport d’évaluation proposera une cartographie précise de l’accessibilité effective des soins palliatifs.

Soins palliatifs, « aide à mourir » : « On voit que la digue commence à se fissurer »

Après des débats relativement sereins, c’est l’examen de l’article 8 qui échauffe l’hémicycle, pourtant toujours très clairsemé, après le diner. En effet, Christophe Marion (Ensemble pour la République) propose que le titre du diplôme d’études spécialisées en médecine palliative inclue également l’« aide à mourir ». La Commission avait déjà adopté le fait que cette pratique intègre la formation des médecins (cf. « Aide à mourir » vs. « aide active à mourir » : l’euthanasie se glisse dans la proposition de loi sur les soins palliatifs), ce qui a suscité l’opposition de la Conférence des Doyennes et des Doyens de Médecine comme le souligne Patrick Hetzel (Droite Républicaine) (cf. « Cette pratique ne fait pas partie des missions d’un médecin » : la conférence des Doyennes et des Doyens de Médecine opposée à l’obligation d’une formation sur l’« aide à mourir »).

Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République) insiste sur la nécessité de maintenir une cloison entre les deux textes. « On voit que la digue commence à se fissurer », constate l’élu. « On ne peut pas faire comme si ça n’existera jamais », considère Agnès Firmin Le Bodo (Horizons et Indépendants), à l’origine de la disposition introduite en commission. L’amendement 549 est adopté en dépit d’un double avis défavorable émis par la rapportrice Annie Vidal (Ensemble pour la République) et de la ministre Catherine Vautrin. Une adoption à main levée qui suscite des contestations : « c’est sans appel, il y en avait là-haut aussi » justifie le président de séance Roland Lescure (Ensemble pour la République), commentant le nombre de voix qu’il a évalué.

« Il ne serait pas logique de prévoir dans un texte sur les soins palliatifs la formation à un acte qui, à l’heure où on se parle, est illégal »

« Vous n’êtes pas raisonnables chers collègues », regrette Justine Gruet (Droite Républicaine) qui défend au contraire un amendement (2) pour supprimer la mention de l’« aide à mourir » dans la formation dispensée aux médecins, initiale comme continue. Plusieurs amendements vont dans le même sens : notamment celui de Corentin Le Fur (Droite Républicaine, 316), de Sandrine Dogor-Such (Rassemblement national, 411), de Charles Sitzenstuhl (483), ou encore de Dominique Potier (Socialistes et apparentés, 696).

Charles Sitzenstuhl fait part de son agacement, interpellant les députés qui veulent introduire l’« aide à mourir » dans le texte dédié aux soins palliatifs. La formation du personnel médical à l’« aide à mourir » pourra être traitée par le texte suivant. « Pourquoi faites-vous cela alors que cela met en péril politiquement la capacité à atteindre le consensus ? » Il appelle à avoir ce débat dans le texte qui est consacré à l’« aide à mourir ». « L’amendement précédemment adopté est en train de radicalement modifier l’esprit du texte », abonde Patrick Hetzel, argumentant sur l’amendement 482, anticipant : « cela pourrait avoir une incidence sur des votes à venir ».

« Il ne serait pas logique de prévoir dans un texte sur les soins palliatifs la formation à un acte qui, à l’heure où on se parle, est illégal » : ces amendements reçoivent l’appui de la rapportrice Annie Vidal et sont adoptés, en incohérence avec le vote de l’amendement de Christophe Marion.

« Vous êtes en train de rompre un consensus potentiellement national sur la question essentielle des soins palliatifs »

« On manie le terme « aide à mourir » beaucoup plus facilement qu’on ne manierait euthanasie », pointe Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine). Il poursuit : « Je ne suis pas sûr que si on avait pris le mot euthanasie ou suicide assisté, on dirait : il faut une formation à l’euthanasie ou au suicide assisté ». « Je pense qu’on aurait pris plus de précautions », considère-t-il. La terminologie choisie « crée une confusion entre les soins palliatifs et l’aide à mourir ». Mais ne serait-ce pas à dessein ? (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »)

Et si les sujets sont mélangés, outre le problème éthique, « il y aura un problème quant à notre capacité ou non à adhérer à l’un ou l’autre texte », analyse Patrick Hetzel. « En réalité nous étions partis pour aller vers un consensus vis-à-vis des soins palliatifs. Ce que vous êtes en train de faire c’est introduire la philosophie du deuxième texte dans le premier texte. Et en faisant cela vous êtes en train de vicier l’ensemble de la démarche légistique que nous avons engagée depuis maintenant plusieurs semaines », dénonce le député.

« Politiquement, vous êtes en train de rompre un consensus potentiellement national sur la question essentielle des soins palliatifs », dénonce Patrick Hetzel. « Il faut que vous en ayez conscience, prenez vos responsabilités chers collègues. »

Une seconde délibération demandée

L’élu effectue un rappel au règlement pour demander une seconde délibération sur l’adoption de l’amendement de Christophe Marion. Elle n’interviendra qu’à la fin du texte précise le président de séance Roland Lescure (Ensemble pour la République), si le gouvernement donne son accord. Les députés poursuivent donc leur examen. Le groupe de la Droite républicaine ne votera pas l’article 8, par « mesure conservatoire » dans l’attente d’une éventuelle seconde délibération, annonce Patrick Hetzel.

Il est rejoint par Yannick Monnet qui s’abstiendra sur l’article 8 : avoir fait cette modification de l’alinéa 3 fait passer les soignants de services de soins palliatifs pour des « spécialistes de l’aide à mourir ». « C’est terrible l’image qu’on renvoie », déplorant que l’avis des soignants de terrain ne soit pas pris en compte. Christophe Bentz abonde : « A ce stade nous sommes en train de vivre une forme de bascule. Il n’y a plus d’étanchéité entre les deux textes ». Il votera contre l’article.

L’article est soumis aux votes des députés. Seuls 73 députés le votent, 80 s’y opposent. L’article 8 n’est pas adopté. Quelques applaudissements retentissent.

Les députés à la recherche d’un retour du consensus

L’amendement (32) présenté par Charles Sitzenstuhl demande ensuite la suppression de l’article 8bis, comme ceux de Thibault Bazin (92), de Fabien Di Filippo (124), de Josiane Corneloup (224), de Corentin Le Fur (260), de Sandrine Dogor-Such (412), de Patrick Hetzel (454), de Brigitte Barèges (UDR, 711), de Joël Bruneau (LIOT, 729). Cet article ajouté en commission prévoyait d’introduire dans les programmes de l’éducation nationale « des séances d’information sur le cycle de la vie et de la mort incluant le témoignage de bénévoles d’accompagnement des associations d’accompagnement reconnues, laïques, apolitiques et aconfessionnelles ».

L’objectif des députés qui portent ces amendements est de retrouver le consensus attendu sur le texte relatif aux soins palliatifs. La rapportrice rend un avis favorable et l’article 8 bis est supprimé à une très large majorité des députés présents (144 sur 182 votants).

Avant que la séance ne soit levée les députés adopteront encore l’article 9. « Je voudrais vous féliciter : on est à 41 [NDLR : amendements] à l’heure. On frôle l’excès de vitesse », déclare Roland Lescure, manifestement content de la métaphore qu’il file depuis la veille. « Ça veut pas dire qu’il faut s’arrêter là », demande-t-il aux députés. Les discussions reprendront vendredi « sur ce joli texte » selon les mots du président de séance.

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