Sabra Klein est microbiologiste[1]. Au cours de sa thèse, elle a étudié l’influence des hormones sexuelles sur le cerveau et le comportement. « Tout le monde sait que les hormones influencent de nombreux processus biologiques – notre métabolisme, notre cœur, notre densité osseuse ». Mais « elles doivent aussi avoir un impact sur notre système immunitaire », pense-t-elle. Pourtant, à l’issue de sa thèse en 1998, quand elle propose de mener une recherche post-doctorale sur le sujet, elle ne trouve « pas un microbiologiste ou immunologiste » pour la laisser étudier cette problématique.
Aujourd’hui Sabra Klein a développé son propre laboratoire de recherche à l’université Bloomberg School of Public Health. Au cours des dernières années, elle et d’autres chercheurs ont pu montrer comment le système immunitaire de la femme et de l’homme répondent différemment au virus de la grippe, du VIH, et à certaines thérapies contre le cancer. Ou encore pourquoi les femmes développent une plus grande immunité après un vaccin, mais sont aussi plus susceptibles de souffrir d’asthme sévère ou de maladies auto-immunes. Des réponses biologiques différentes qui appellent une prise en charge différente, notamment pour une bonne gestion des effets secondaires.
Décryptage du professeur René Ecochard, professeur à l’université Claude-Bernard (Lyon I) et auteur de Homme, Femme : Ce que nous disent les neurosciences paru aux Editions Artège.
Gènéthique : Les chercheurs ont mis en évidence l’influence du sexe biologique sur le système immunitaire. Quels sont les mécanismes mis en jeu ?
René Ecochard : L’immunité défend contre les infections et contre les cancers. Plus généralement, elle protège contre ce qui est « étranger » au corps.
Plusieurs travaux montrent une différence entre les marqueurs de l’immunité des hommes et des femmes [2][3]. En particulier, les maladies liées à l’immunité ne sont pas aussi fréquentes chez les hommes que chez les femmes. C’est le cas de la sclérose en plaque (SEP) et du lupus érythémateux disséminé (LED), tous deux plus fréquents chez la femme que chez l’homme.
Les résultats des travaux récents montrent aussi une variation des capacités immunitaires entre le début et la fin du cycle féminin[4]. Enfin, ils signalent une différence entre les femmes qui utilisent une contraception hormonale et celles qui n’en utilisent pas [5][6].
Parmi les hypothèses les mieux argumentées pour expliquer l’impact des hormones sexuelles sur l’immunité, il y a la nécessité d’une immunité particulière pour rendre la femme apte à tolérer l’implantation de l’embryon dans l’utérus[7]. En effet, alors que tout organisme étranger est normalement rejeté par le corps, l’embryon, dont la moitié du capital génétique n’est pas celui de la mère mais celui du père, est accueilli dans l’utérus pour pouvoir s’y développer jusqu’à la naissance. Ceci est permis par une adaptation de l’immunité de la mère pendant la période post-ovulatoire, au moment où l’enfant conçu vient s’implanter dans l’utérus[8].
G : Vous avez étudié l’impact du sexe biologique sur le cerveau (cf. Neurosciences : « On naît homme ou femme et on le devient »). Y a-t-il des parties du corps qui échappent à cette influence ?
RE : Hommes et femmes ont une commune humanité, et partagent donc un grand nombre de traits corporels et psychiques. Cependant, il n’y a pas d’être humain asexué. Chacun est de sexe masculin ou féminin, homme ou femme. Ceci se traduit en effet par un grand nombre de différences.
La bipolarité des sexes a son origine dans la complémentarité des sexes pour la transmission de la vie. La femme porte le petit et a la capacité de le nourrir. L’homme, comme plus généralement le mâle chez de nombreux autres mammifères, a la capacité de protéger l’enfant et sa mère.
Pour réaliser ces tâches, chacun a un corps et un psychisme dotés de capacités permettant de remplir ces missions spécifiques. Au-delà des organes génitaux eux-mêmes, la charpente osseuse, la répartition des graisses et le fonctionnement endocrinologique, comme celui de l’immunité, sont adaptés pour cela.
Les chromosomes sexuels (XY chez l’homme, XX chez la femme) sont présents dans toutes les cellules du corps, à l’exception des cellules sans noyau (les globules rouges). Ce sont eux qui assurent l’unité de la personne : un cerveau d’homme pour un corps d’homme et un cerveau de femme pour un corps de femme.
Les grandes différences psychiques entre hommes et femmes sont en général plus aisées à décrire en termes de complémentarité.
Citons en 4 qui sont emblématiques :
1) Empathie pour l’entourage et empathie pour le lointain : La femme oriente son attention vers le proche plus que vers les personnes qui n’appartiennent pas à la famille[9][10]. L’empathie de l’homme l’oriente plutôt vers ce qui dépasse le cadre familial.
2) Prise de décision en donnant plus ou moins de place à la dimension émotionnelle de la situation. Il n’est pas rare que, dans le couple, l’épouse donne plus de place aux dimensions émotionnelles et affectives que son époux. Cela vient du fonctionnement de l’amygdale cérébrale, dont la place est centrale pour la gestion des émotions : les messages émotionnels provenant de cette amygdale sont moins transmis aux centres de prise de décision chez l’homme que chez la femme[11].
3) Prise de décision en tenant compte des étapes intermédiaires… On dit volontiers que l’homme prend des décisions sans en peser les conséquences. En effet, bien souvent il semble se lancer dans une aventure sans penser aux étapes intermédiaires ni aux ‘détails’ nombreux qui vont paver le chemin. Trois différences biologiques connues peuvent expliquer ces différences :
- L’intérêt et l’aptitude à mémoriser les détails sont souvent plus grands chez la femme, l’homme, quant à lui, s’intéressant et mémorisant plus aisément la globalité. Ceci est une différence innée[12], mais aussi maintenue par les hormones masculine et féminine[13].
- La conscience des phases successives pour atteindre un but serait activée par les informations provenant des amygdales cérébrales[14][15][16]. Ces informations parviennent moins aux centres de décision en présence de testostérone, donc moins chez l’homme.
- L’aversion au risque est augmentée par les estrogènes (hormone féminine) et diminuée par la testostérone (hormone principalement masculine) [17].
4) Femme changeante, homme qui ne change pas : La femme est volontiers d’humeur plus changeante, l’homme souvent plus stable. Les hormones de chacun participent à cet état de fait. La testostérone, hormone masculine par excellence, varie moins fortement que les hormones sexuelles féminines (estrogènes et progestérone). La femme quant à elle doit faire face aux précieux changements d’humeur qui accompagnent son cycle menstruel. Les hormones du cycle féminin développent en effet les caractéristiques psychiques propres à la femme. C’est le cas par exemple de l’ocytocine, hormone de l’attachement et de l’empathie, qui est plus élevée pendant la période fertile[18].
L’homme peut se saisir de cette connaissance et se mettre en position d’accueil et d’attention : par sa délicatesse et son regard favorable, il permet à la femme d’accueillir ses dynamismes psychiques avec leur richesse mais aussi leur vulnérabilité.
Homme et femme sont complémentaires dans l’accueil du mystère du masculin et du féminin, richesse à découvrir.
G : Dans les années 1990, les différences observées avaient été attribuées au « genre » plutôt qu’au « sexe ». Comment expliquer cette prise en compte tardive ? Assiste-t-on au retour du biologique ?
Certains tenants des ‘études de genre’ affirment que la connexion entre sexe et genre n’est pas naturelle mais fruit de la culture[19]. Selon eux, seuls les corps de l’homme et de la femme diffèrent, les différences de psychisme entre eux étant seulement, selon leur hypothèse, le fruit de l’éducation et de la culture ambiante. Ils font reposer leurs conclusions principalement sur les études sociologiques du siècle passé, non sur la science biologique, en particulier neuroscientifique, plus récente.
Les observations scientifiques biologiques des deux dernières décennies n’orientent pas vers les conclusions des sociologues du siècle dernier. Les neurosciences montrent en effet que le psychisme a un support génétique. Dès la naissance, des traits psychologiques propres à la masculinité et à la féminité sont présents. Il est vrai qu’ils se développent ensuite, sous l’effet de l’éducation et du mode de vie[20], mais ce développement culturel se fait à partir de données naturelles. On peut donc écrire : « On naît femme et on le devient. On naît homme et on le devient »[21].
Une meilleure connaissance de l’apport spécifique de l’homme et de la femme permet une juste compréhension de leur complémentarité, si nécessaire pour des relations apaisées et fructueuses dans la famille et la société.
[1] MIT Technology review, The quest to show that biological sex matters in the immune system (15/08/2022)
[2] Jacobsen H, Klein SL. Sex Differences in Immunity to Viral Infections. Front Immunol. 2021;12:720952. Published 2021 Aug 31. doi:10.3389/fimmu.2021.720952
[3] Shakhar K, Shakhar G, Rosenne E, Ben-Eliyahu S. Timing within the menstrual cycle, sex, and the use of oral contraceptives determine adrenergic suppression of NK cell activity. Br J Cancer. 2000;83(12):1630-1636. doi:10.1054/bjoc.2000.1490
[4] Souza SS, Castro FA, Mendonça HC, et al. Influence of menstrual cycle on NK activity. J Reprod Immunol. 2001;50(2):151-159. doi:10.1016/s0165-0378(00)00091-7
[5] Quinn KM, Cox AJ, Roberts L, et al. Temporal changes in blood oxidative stress biomarkers across the menstrual cycle and with oral contraceptive use in active women. Eur J Appl Physiol. 2021;121(9):2607-2620. doi:10.1007/s00421-021-04734-0
[6] Masama C, Jarkas DA, Thaw E, et al. Hormone contraceptive use in young women: Altered mood states, neuroendocrine and inflammatory biomarkers. Horm Behav. 2022;144:105229. doi:10.1016/j.yhbeh.2022.105229
[7] Robertson SA, Moldenhauer LM, Green ES, Care AS, Hull ML. Immune determinants of endometrial receptivity: a biological perspective. Fertil Steril. 2022;117(6):1107-1120. doi:10.1016/j.fertnstert.2022.04.023
[8] Alvergne A, Högqvist Tabor V. Is Female Health Cyclical? Evolutionary Perspectives on Menstruation. Trends Ecol Evol. 2018;33(6):399-414. doi:10.1016/j.tree.2018.03.006
[9] Christov-Moore L, Simpson EA, Coudé G, Grigaityte K, Iacoboni M, Ferrari PF. Empathy: gender effects in brain and behavior. Neurosci Biobehav Rev. 2014 Oct;46 Pt 4(Pt 4):604-27. doi: 10.1016/j.neubiorev.2014.09.001. Epub 2014 Sep 16. PMID: 25236781; PMCID: PMC5110041
[10] Brandner P, Güroğlu B, Crone EA. I am happy for us: Neural processing of vicarious joy when winning for parents versus strangers. Cogn Affect Behav Neurosci. 2020 Dec;20(6):1309-1322. doi: 10.3758/s13415-020-00839-9. Epub 2020 Oct 14. PMID: 33058012; PMCID: PMC7716820.
[11] Heany SJ, van Honk J, Stein DJ, Brooks SJ. A quantitative and qualitative review of the effects of testosterone on the function and structure of the human social-emotional brain. Metab Brain Dis. 2016 Feb;31(1):157-67. doi: 10.1007/s11011-015-9692-y. Epub 2015 Jun 16. PMID: 26073231; PMCID: PMC4718938.
[12] Cahill L, Gorski L, Belcher A, Huynh Q. The influence of sex versus sex-related traits on long-term memory for gist and detail from an emotional story. Conscious Cogn. 2004;13(2):391-400. doi:10.1016/j.concog.2003.11.003
[13] Nielsen SE, Ertman N, Lakhani YS, Cahill L. Hormonal contraception usage is associated with altered memory for an emotional story. Neurobiol Learn Mem. 2011;96(2):378-384. doi:10.1016/j.nlm.2011.06.013
[14] Dolan RJ, Dayan P. Goals and habits in the brain. Neuron. 2013 Oct 16;80(2):312-25. doi: 10.1016/j.neuron.2013.09.007. PMID: 24139036; PMCID: PMC3807793.
[15] Leitão J, Burckhardt M, Vuilleumier P. Amygdala in Action: Functional Connectivity during Approach and Avoidance Behaviors. J Cogn Neurosci. 2022 Mar 31;34(5):729-747. doi: 10.1162/jocn_a_01800. PMID: 34860249.
[16] Guitart-Masip M, Talmi D, Dolan R. Conditioned associations and economic decision biases. Neuroimage. 2010 Oct 15;53(1):206-14. doi: 10.1016/j.neuroimage.2010.06.021. Epub 2010 Jun 20. PMID: 20600994; PMCID: PMC2923756.
[17] Orsini CA, Truckenbrod LM, Wheeler AR. Regulation of sex differences in risk-based decision making by gonadal hormones: Insights from rodent models. Behav Processes. 2022 Aug;200:104663. doi: 10.1016/j.beproc.2022.104663. Epub 2022 Jun 2. PMID: 35661794.
[18] Engel S, Klusmann H, Ditzen B, Knaevelsrud C, Schumacher S. Menstrual cycle-related fluctuations in oxytocin concentrations: A systematic review and meta-analysis. Front Neuroendocrinol. 2019 Jan;52:144-155. doi: 10.1016/j.yfrne.2018.11.002. Epub 2018 Nov 17. PMID: 30458185.
[19] Éric Fassin, « L’empire du genre. L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », L’Homme, vol. 3-4, nos 187-188, 2008, p. 375-392
[20] Homme, femme… ce que nous disent les neurosciences. Artège 2022.
[21] Proposant ainsi une correction d’affirmations du passé (« On ne naît pas femme : on le devient », citation extraite d’un livre de Simone de Beauvoir, publié en 1949 : Le Deuxième Sexe)