« Pour une décision aussi grave, aussi lourde et totalement irréversible, oui, deux jours ça nous parait insensé »

23 Mai, 2025

Jeudi, les députés ont adopté les articles 6 et 7, toujours relatifs à la procédure d’« aide à mourir ». Avec des dispositions qui seront toutefois rediscutées à l’issue de l’examen du texte.

Une brèche dans la « volonté libre et éclairée »

Alors que tout au long des débats, les amendements visant à introduire la possibilité d’effectuer une demande via des directives anticipées ou la personne de confiance avaient été systématiquement rejetés, Christophe Marion (Ensemble pour la République) fait adopter le fait que le médecin puisse notifier sa décision à la personne de confiance « si la personne n’est pas apte à recevoir cette décision » (amendement 2308).

« Je pense qu’on commence peut-être à fatiguer », réagit Agnès Firmin Le Bodo (Horizons et Indépendants) alors que l’examen de l’amendement suivant a déjà débuté. « Là on a accepté que la volonté libre et éclairée du patient n’est plus un critère », alerte-t-elle ses collègues. Philippe Juvin (Droite Républicaine) fait de même : « Nous venons d’introduire les directives anticipées et donc nous venons d’introduire une situation où le patient n’est pas apte à donner son consentement ». Des voix s’élèvent pour demander une nouvelle délibération.

Le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) abonde, espérant que le président de la commission des Affaires sociales, Frédéric Valletoux (Horizons et Indépendants), demandera une seconde délibération. Ce qu’il fait, en raison d’un vote manifestement contradictoire avec la ligne adoptée par l’hémicycle depuis 11 jours de débat. La présidente de l’Assemblée nationale le confirme : cette nouvelle délibération aura lieu à la fin de l’examen du texte.

C’est le deuxième amendement de Christophe Marion qui sera rediscuté à l’issue des débats (cf. « Prenez vos responsabilités ! » : le consensus sur les soins palliatifs préservé dans la douleur). Le député s’est-il fait rappeler à l’ordre ? Il ne défendra pas les autres amendements sur le même sujet.

Ne pas perdre de temps

Les élus en arrivent à la question des délais de la procédure. Le texte prévoit que le médecin doive rendre sa décision sous 15 jours. Pour Camille Galliard-Minier (Ensemble pour la République), il convient que le délai de 15 jours concerne également la notification de cette décision, « pour éviter tout allongement excessif de la procédure » (amendement 2131). A l’inverse, Thomas Ménagé (Rassemblement National) veut instaurer un délai minimum de 48h avant que le médecin ne rende sa décision (amendement 1058). Elle obtient gain de cause, lui non.

Emeline K/Bidi (Gauche Démocrate et Républicaine) veut aller encore plus loin en supprimant le délai de réflexion du patient, pourtant seulement de 48h et pouvant être raccourci « à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de cette dernière telle qu’elle la conçoit ». Elle invoque le délai de réflexion qui a été supprimé dans les procédures d’IVG mais son amendement est rejeté.

Au contraire, d’autres députés, nombreux, veulent introduire un délai de réflexion plus important et de multiples amendements proposent divers délais plus longs. « Pour une décision aussi grave, aussi lourde et totalement irréversible, oui, deux jours ça nous parait insensé », argumente Christophe Bentz (Rassemblement national). Marie-France Lorho (Rassemblement national) poursuit : « Le délai de rétractation pour un crédit à la consommation va désormais être plus long que le délai de réflexion dans le cadre d’une demande de suicide assisté ou délégué. » Suscitant moins la polémique, Philippe Juvin pointe également : « Obtenir une consultation contre la douleur c’est 2 à 9 mois ».

« J’ai le sentiment que vous voulez aller vite », s’inquiète Justine Gruet (Droite Républicaine). La notification du médecin doit déjà intervenir « dans les 15 jours » rappelle-t-elle, pointant au passage ne pas avoir obtenu de réponse quand elle a interrogé si ce serait possible « dans la demi-heure ». Et vous voulez que ce soit « sans trace », relève la députée : « Vous ne souhaitez pas qu’il y ait une demande écrite ». En réponse aux interpellations qui rappellent le vote de l’amendement gouvernemental rédigé au cours d’une suspension de séance -et que certains présentent comme l’instauration d’une demande écrite- Justine Gruet insiste : « non, elle est écrite ou sous toute forme d’expression ». Le terme « à défaut » n’apparait pas, souligne l’élue.

Le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) ressort alors la carte de l’« équilibre » de son texte et tous les amendements sont rejetés. La ministre de la Santé Catherine Vautrin souhaite toutefois que le délai de 48h soit incompressible. Elle parviendra à faire adopter l’amendement du gouvernement (2648) qui supprime la possibilité de réduire ce délai « à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de cette dernière telle qu’elle la conçoit ».

Le refus d’un contrôle a priori

Thibault Bazin (Droite Républicaine) souhaite instaurer un contrôle a priori de la commission, et élargir son pouvoir de contrôle. Mais pour le rapporteur Laurent Panifous (LIOT), « le contrôle a priori serait un frein à la procédure alors que le temps compte pour le patient ». Il considère que les dispositions prévues sont suffisantes. L’amendement 1657 est rejeté.

« Nous avons tous intérêt à ce que cela soit le plus sécurisé et le plus sécurisant », réagit Justine Gruet. « Notre rôle de législateur est de protéger les plus vulnérables », rappelle-t-elle, interpellant : « n’ayez pas peur de tous ces contrôles ! »

L’article 6 est adopté par 82 voix contre 49.

La défense d’une « illusion de la liberté »

Après l’article 6 Dominique Potier (Socialistes et apparentés) défend un amendement (1045) qui « dit que personne ne doit dans ce pays accéder à une demande de mort parce que sa situation sociale, relationnelle, économique est entravée par la misère du monde ». « J’insiste sur ce point au vu de la situation des autres pays qui démontre que la prévalence des personnes exclues n’a rien à voir avec l’illusion de la liberté qui est défendue ici », poursuit le député : « il y a une prévalence des plus pauvres » (cf. Fin de vie : l’angle mort des questions économiques et sociales).

Patrick Hetzel (Droite Républicaine) le rejoint, citant une tribune de l’Union Communiste : « L’euthanasie n’est pas une réponse à la souffrance, mais un aveu d’échec de la société à protéger dans certains cas les plus démunis ». « Cette loi envoie un message clair à des personnes vulnérables : leur vie coûte trop cher, est trop lourde à porter pour la société. »

Des prises de parole qui énervent René Pilato (LFI-NFP) : « Nous faire des leçons sur la pauvreté, ce n’est pas sérieux ! » « Reprenez-vous et arrêtez votre cinéma », s’agace le député sous les applaudissements de ses collègues (cf. Fin de vie : « Députés de gauche, nous vous demandons de faire barrage à cette proposition de loi, par fidélité à ce que la gauche a de plus précieux : la défense indiscutable de la solidarité et de la dignité humaine »). L’amendement de Dominique Potier est rejeté.

Choisir où, quand et avec qui

Les députés abordent l’article 7. Toujours sur la procédure, il concerne le choix de la date, du lieu et des personnes présentes lors du geste létal. « En votant contre cet article, vous priveriez les derniers instants de cette personne de la moindre humanité », considère Michel Lauzzana (Ensemble pour la République). « Cet article est un article d’humanité, de fraternité, vous ne pouvez pas voter contre. »

Thibault Bazin est à l’inverse interpellé par la « programmation » de l’acte. N’existe-t-il pas un risque qu’une fois la date fixée la personne n’ose plus remettre en cause sa décision ?

En outre, le simple fait d’assister au suicide d’un proche peut être très traumatisant, alerte le député citant une étude menée en Suisse : 13 % des personnes ayant assisté à un suicide assisté présentent un syndrome de stress post-traumatique, 16% sont en dépression. Des chiffres très supérieurs à ce qui peut se passer en cas de mort naturelle.

Justine Gruet évoque quant à elle le cas des mineurs qui peuvent faire partie des proches : « Que pensez-vous de notre rôle de législateur de venir protéger les enfants ? »

Des lieux qui changent de paradigme

Alors que Karen Erodi (LFI-NFP) et Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) proposent de pouvoir choisir l’heure « pour respecter l’esprit d’humanité et de liberté de cette loi », Dominique Potier veut supprimer cet article. « Lorsqu’une personne entre aujourd’hui à l’hôpital ou en EHPAD, il y a une sorte de code de déontologie qui est implicite : c’est un lieu où l’on va l’accompagner jusqu’au bout en accompagnant sa souffrance ». Il pointe le « changement de paradigme » : « ce lieu qui était pour la vie, pour la vie jusqu’au bout va devenir le lieu où potentiellement, en 5 minutes on reçoit la mort ». Or, « le lieu dit la société où nous vivons » et « l’aide à mourir implique toute une communauté, elle n’est pas un acte individuel ».

Le seul amendement adopté sera celui de Sandrine Runel (Socialistes et apparentés) défendu par Océane Godard (Socialistes et apparentés) : il vise à exclure les « voies et espaces publics ». Les services de soins palliatifs, eux, ne seront pas exclus, en dépit des amendements qui le proposaient.

« Depuis le début, je vous dis que ce n’est pas une loi de fin de vie »

Tentant de rassurer une nouvelle fois, l’adoption d’un amendement (2652) du gouvernement prévoit que le médecin réévaluera la « volonté libre et éclairée » du patient si la date retenue intervient plus de trois mois après la validation de la demande, contre un an dans le texte voté en commission.

« Depuis le début, je vous dis que ce n’est pas une loi de fin de vie, que ce n’est pas l’ultime recours », en profite pour pointer Philippe Juvin. « Vous avouez que le patient peut avoir un an à attendre, ce qui montre par définition qu’il n’est pas en fin de vie. »

Avant d’achever l’examen de l’article, Fabien Di Filippo (Droite Républicaine) propose d’affirmer que les personnes présentes à l’acte « ne peuvent matériellement contribuer à l’administration de la substance létale » (amendement 95). Car faire porter sur un proche la responsabilité de l’administration da la substance létale n’existe dans aucun autre pays. Les conséquences psychologiques, notamment en termes de culpabilité, en sont inconnues. Son amendement est rejeté.

Reconnaissant cet impact sur les proches, l’amendement 2132 de René Pilato précise que le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne informera les proches et les orientera si nécessaire vers les dispositifs d’accompagnement psychologique existants.

Son amendement est adopté, et, à minuit passé, l’article 7 est voté par 87 voix contre 45. « Tout au long de ce texte, j’ai cherché à quel moment nous privilégions le soin, j’ai cherché à quel moment la vie pouvait triompher, et je n’ai jamais trouvé », regrette Christophe Bentz. « On avance » se réjouit au contraire la présidente de l’Assemblée nationale Yael Braun-Pivet (Ensemble pour la République) qui présidait aussi la séance et soutient la proposition de loi. Elle remercie ses collègues pour « cet excellent débat ». Les députés ont encore trois jours devant eux avant le vote solennel prévu mardi prochain. Et 13 articles à examiner.

 

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