Poser des cadres aux brevets du vivant

Publié le 20 Fév, 2002

Pour clore la trilogie des articles parus ces derniers jours (cf. revue de presse du 18 et 19/02/02) sur les enjeux et les conséquences de la brevetabilité du vivant, l’article d’aujourd’hui laisse la parole à des experts pour qui ” il est d’urgent d’agir “.

 

Ainsi, Marie-Angèle Hermitte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS, Paris) est étonnée que les politiques et le public découvrent aujourd’hui avec stupéfaction que des gènes humains sont brevetés alors que certains le sont depuis plus de vingt ans. ” Quand vous avez un monde qui fonctionne depuis 25 ans sur une règle du jeu qui lui est commune et qu’il a acceptée, le fait que les politiciens se réveillent maintenant n’y changera rien. D’autant plus que, chez les Américains, on ne détecte pas le moindre frémissement de retour en arrière. Et que, dans la mentalité du monde actuel, si les États-Unis font quelque chose, il faut faire pareil “.

 

Si Marie-Angèle Hermitte ne s’oppose pas catégoriquement à toute forme de propriété intellectuelle dans le domaine des biotechnologies, il lui apparaît quand même que le droit des brevets dans sa formule actuelle est un outil trop puissant. Marie-Angèle Hermitte suggère que chaque inventeur puisse conserver sa capacité d’obtenir des brevets – même si son invention est issue d’un gène breveté ce qui signifie que les brevets soient beaucoup moins étendus et qu’ils ne soient pas dépendants les uns des autres.

 

Concrètement, le chercheur qui améliorerait l’efficacité d’un test diagnostique développé à partir d’une séquence génétique au préalablement identifiée pourrait obtenir un deuxième brevet indépendant du premier sans être obligé de demander l’autorisation et de payer des redevances au titulaire du premier brevet. Par ailleurs, elle travaille à la reconnaissance des personnes qui ” donnent leur ADN ” à des chercheurs qui sont susceptibles de découvrir des gènes importants et de les breveter.

 

Pour Richard Gold, juriste et professeur à la faculté de droit de l’université McGill, “ il est trop tard pour réfléchir aux aspects éthiques relatifs à la brevetabilité des gènes. Il est vrai que le système de propriété intellectuelle [brevets] se concentre trop sur les aspects économiques et pas suffisamment sur les questions morales et sociales, comme la santé de la population. Ces questions sont importantes, mais néanmoins dépassées. Les gènes sont brevetables et il est désormais impossible de renverser la vapeur. On doit l’accepter et songer à ce que l’on peut faire pour s’assurer que ces brevets n’auront pas de conséquences néfastes pour la santé publique “.

 

Il met en avant diverses solutions juridiques visant à préserver l’accès de la population aux tests diagnostiques. Il propose également d’avoir recours à une exemption particulière selon laquelle des brevets ne pourraient être accordés sur une invention dont la commercialisation est susceptible de porter atteinte à l’ordre public et à la morale. Enfin, Richard Gold recommande la création d’un tribunal particulier chargé de juger de la validité des brevets lorsque celle-ci est remise en cause. Composé de spécialistes des biotechnologies et des questions éthiques et sociales et supervisé par les cours de justice, ce tribunal serait également habilité à examiner les poursuites pour contrefaçon.

 

 

Pour le Dr Dominique Stoppa-Lyonnet de l’Institut Curie de Paris, si les brevets sont des moteurs puissants qui font avancer la recherche,  le système actuel de la brevetabilité du vivant ” s’étrangle lui-même ” car ” les droits conférés par les brevets semblent aujourd’hui sans fin et exorbitants “.

La France envisage l’imposition de licences obligatoires qui forceraient les titulaires de brevets sur des gènes, comme Myriad Genetics, à accorder à d’autres laboratoires l’autorisation de pratiquer des tests diagnostiques sur le gène breveté en échange de redevances raisonnables.

Le Devoir (Pauline Gravel) 19/02/02

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