Si elle était adoptée, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes remettra profondément en cause le droit de la filiation. Ses partisans, qui brandissent pourtant l’argument de la protection de l’enfant, continuent d’omettre le grave préjudice qui lui sera causé.
La PMA aux couples de femmes pose la question épineuse du droit de la filiation. Lors de l’audition du jeudi 18 octobre, les interventions sont pour le moins contradictoires et inconciliables.
PMA pour toutes et adoption
Après avoir rappelé que le « mariage pour tous » était le sous bassement de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, Laurence Brunet, juriste, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne, estime que le droit français est incohérent s’il ferme les yeux sur le mode de conception de l’enfant pour lui plaquer une filiation issue d’un « montage juridique ». Pour elle, le droit est devenu illisible, et dans la mesure où la technique de procréation sera légitimée et mise en œuvre, il ne sera plus possible d’en rester « au compromis de l’adoption », qui suppose que le couple soit marié et donne son consentement. En cause, le délai entre la naissance de l’enfant et la requête d’adoption. En effet, dans le contexte de la séparation des deux femmes, la mère légale, celle qui accouche, peut refuser de donner son accord à l’adoption par la « mère sociale ». Il n’existe aucun recourt pour cette dernière.
Enfin, sur l’acte de naissance, elle considère que rien ne doit distinguer un enfant né d’un don de gamètes de celui né d’une relation charnelle. Cependant, elle note que l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires rendra nécessaire la levée de l’anonymat du don de gamètes qu’elle considère comme un droit pour l’enfant d’accéder à son identité « à sa majorité, de façon encadrée et dans certaines conditions ». Ainsi d’un côté, on lui cache sur l’état civil son mode de conception, tout en lui donnant la possibilité d’y avoir accès…
Laurence Brunet concèdera plus tard dans la discussion qu’il existe des tensions entre la filiation biologique et la filiation basée sur la volonté. Et dans les cas de contestation, c’est l’expertise biologique qui fonde le droit. Comment concilier ces impératifs logiques ?
Des propositions qui se veulent rassurantes mais ne le sont pas
Caroline Mécary, avocate aux barreaux de Paris et du Québec, ancien membre du Conseil de l’Ordre, soutient que la « filiation est toujours une construction sociale » à « un moment donné, dans une société donnée ». Et comme Laurence Brunet, elle estime que l’adoption n’est pas la solution pour établir la filiation de l’enfant au prétexte de la « protection de l’enfant » qui est pourtant le premier fragilisé et oublié des manipulations qui conduisent à sa naissance. Elle propose quelques modifications qu’elle considère comme mineures. Elle calque ses propositions sur celle du droit commun : deux femmes pourraient s’engager devant un juge pour l’établissement du lien de filiation de l’enfant à naitre. « Petite » innovation, explique l’avocate, le procès-verbal devra être remis à l’officier de l’état civil au moment de l’inscription sur les registres. Toujours calqué sur le droit actuel, la transformation d’un droit de paternité en droit de parenté ou une « présomption de co-maternité » modelée sur le principe de présomption de paternité. Des précédents existent en Belgique, au Quebec ou au Royaume Uni.
Ne pas toucher au droit de la filiation
André Lucas dans son intervention estime qu’aborder ces questions sur la base du principe d’égalité et de son corollaire la non-discrimination est de l’ordre du « slogan » et alimente « une rhétorique médiatique » qui n’a rien de juridique. Il estime que pour plaider ce changement, il faut entrer dans une logique impossible à développer au regard des engagements internationaux de la France.
Dans le cas de l’autorisation de la « PMA pour toutes », la cohérence voudrait que l’ensemble du titre 7 soit réécrit pour mettre en place un autre droit de la filiation uniquement fondée sur la volonté et non plus sur la réalité biologique. Elle suppose d’abandonner la possibilité de recherche de filiation qui pourtant protège l’enfant, tout en responsabilisant le géniteur.
Et il interroge : si la volonté suffit à créer une filiation, pourquoi ne la limiter qu’à deux personnes ? Dans la province de l’ouest canadien, la filiation peut d’ores et déjà s’établir entre le géniteur et les deux femmes.
Le juriste rappelle que dans toutes les décisions concernant l’enfant, y compris celles prises au niveau législatif, la Convention internationale du droit de l’enfant impose la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant qui inclut le droit de connaitre ses parents et d’être élevé par eux.
Pour lui, « au regard des objections soulevées », il serait bon de ne pas toucher du tout au droit de la filiation. Si le législateur veut garder une certaine cohérence, le travail nécessaire à une refonte du droit de la filiation basée sur le consentement sera considérable et constituera une évolution bien plus grande que celle qui a fixé les règles actuelles en la matière en 1972.
Une boite de pandore
Enfin Maitre Goeffroy de Vries, soulève l’existence de nombreux obstacles éthiques, juridiques et politiques. Et comme l’ont montré les états généraux de la bioéthique « il n’y a pas de consensus sur ces questions ». Sur le principe d’égalité, il rappelle que la PMA pour les couples homme/femme fertiles n’est pas autorisée, sans pour autant générer d’inégalités, de même pour les couples âgés. S’il n’y a pas d’inégalité entre les couples, il y en a cependant vis-à-vis des enfants privés de père par la loi. L’amour ne justifie pas l’absence d’un père, celui-ci est irremplaçable. Cette absence commanditée viole les droits de l’enfant. Il souligne la différence existante entre des enfants privés de père par les circonstances de la vie et l’institution d’enfants privés ab initio. Si le lien biologique était indifférent, pourquoi parlerait-on de préjudice quand les gamètes sont accidentellement échangés dans un processus de PMA ? A terme, il dénonce un risque de marchandisation non seulement du sperme, mais des éléments du corps humain, en contradiction avec les principes actuels du droit français, la gratuité n’étant plus tenable face à une demande croissante.
Multiparentalité, utérus artificiel, la filiation en danger
A la question de Xavier Breton, Président de la mission parlementaire, sur la multiparentalité que risque d’occasionner une modification du droit de la filiation basée sur la seule volonté, Caroline Mécary répond qu’elle pense, à titre personnel, que c’est une richesse d’avoir plus de deux parents, que c’est un facteur de protection de l’enfant ! Mais si la parenté n’est plus basée que sur la volonté d’être parent, que se passe-t-il quand ils changent d’avis ? Geoffroy de Vries évoque le marché du « rehoming » américain, le cas de ces enfant adoptés rejetés par leurs parents d’origine (cf. Les enfants nés par GPA auront-ils le même sort que ces enfants adoptés, abandonnés, réadoptés ? ), mis en vente sur des site internet, à l’occasion de défilés qui s’apparentent à des foires…
Plus tard dans la discussion, le député Jean Louis Touraine estime qu’avec les perspectives de l’utérus artificiel, le principe qui établit que la mère est toujours celle qui accouche justifie la refonte du droit de la filiation. Preuve s’il en était que la PMA pour toutes n’est qu’une étape avant la GPA qui ne sera pas la dernière entourloupe dans cette entreprise de déstructuration de l’humain au seul profit du marché. L’autorisation à l’accès à la GPA, préparée à grands renforts médiatiques, n’est plus qu’une question de temps. Ce qui fera dire à André Lucas, que « ce n’est pas parce que des techniques sont disponibles qu’elles doivent être prises en charge par le droit ». Il considère qu’il sera nécessaire « de faire le tri à l’avenir ». Geoffroy de Vries quant à lui interroge : utérus artificiel, GPA, mariage à plusieurs, si des demandes existent dans ce sens, faut-il les accepter parce que ça existe ? Il rappelle in fine que si l’esclavage, le crime existent, ils ne sont pas pour autant acceptés.
Beaucoup de discussions mais comme l’indiquait Me Geoffroy de Vries, avocat à la Cour, secrétaire général de l’Institut Famille & République, la question de la déréglementation en fonction de la PMA est d’abord une question anthropologique avant d’être une question juridique. Quel homme voulons-nous pour demain ?