PMA, la consécration du marché du corps humain servie par les dérives du droit

Publié le 4 Juin, 2020

Après l’intermède du Covid-19, que deviendra la loi de bioéthique et sa mesure emblématique, la « PMA pour toutes » ? Avec Olivia Sarton, juriste[1] et auteur du livre PMA : ce qu’on ne vous dit pas[2], Gènéthique s’interroge sur les dessous d’une mesure controversée.

 

Gènéthique : Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

Olivia Sarton : Il m’a paru important d’apporter un éclairage un peu différent dans le débat sur le projet de loi de bioéthique en discussion devant le Parlement depuis juillet 2019, et j’ai cherché à mettre en lumière les faces cachées de ce projet.

Je soutiens la thèse que l’accès à la Procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes ou les femmes seules n’est pas l’enjeu du projet de loi. Le véritable enjeu est la généralisation de la PMA à tous sans condition d’infertilité ou sans nécessité médicale. C’est cette généralisation qui est recherchée à la fois pour les milliards d’euros de profit qu’elle va générer, et pour la réalisation des projets de la technoscience de maîtriser la création et la définition même de l’homme.

Le business que constitue la procréation humaine artificielle n’est pas un secret, et pourtant l’on en parle assez peu, tout comme l’on ne parle pas des défauts majeurs que peut impliquer l’utilisation des techniques de PMA.

 

G : Curieusement votre livre s’ouvre sur les nouvelles technologies, les NBIC. Quel lien faites-vous avec la Procréation médicalement assistée ?

OS : Par NBIC, on désigne les Nanotechnologies, Biotechnologies, techniques de l’Information et sciences Cognitives.

Les biotechnologies sont, selon la définition de l’OCDE, « les applications de la science et de la technologie à des organismes vivants (…) pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services ».

Au sein des biotechnologies, on trouve la biotechnologie dite rouge ou biotechnologie de la santé. Celle-ci comprend notamment toutes les technologies dédiées à la santé des femmes (la Femtech) et toutes celles dédiées à la reproduction artificielle, qui constitue non seulement un marché en pleine croissance du fait de la hausse de l’infertilité dans le monde, mais également un marché volontairement conçu et développé pour créer la demande. L’objectif de ce marché est à moyen terme, c’est-à-dire dans 20 ou 30 ans, de disqualifier la procréation naturelle au bénéfice de la procréation artificielle.

 

G : A vous entendre, on a l’impression qu’il n’y a pas que la « PMA pour toutes » qui soit un problème, la PMA en elle-même semble poser question. Pourquoi ?

OS : La PMA pour les couples de femmes ou les femmes seules soulève des objections particulières liées à des violations spécifiques des droits des enfants, qui ont été maintes et maintes fois dénoncées et qui sont donc bien connues : privation légale de père, établissement d’un acte de filiation irréel, interdiction d’inscription dans sa généalogie biologique, inégalité entre les enfants selon leur mode de conception, exposition plus grande aux risques de précarité et de fragilité face aux aléas de la vie pour les enfants conçus au profit de femmes seules.

Mais, comme vous le soulignez, c’est en réalité la PMA elle-même qui est source de difficultés majeures. C’est le cas bien sûr de la PMA avec tiers donneur et c’est un point sur lequel je tiens à insister : toutes les PMA avec tiers donneur (et non pas seulement celles qui seraient destinées à des couples de femmes ou à des femmes seules) portent atteinte aux droits des enfants puisqu’ils sont privés de l’accès à leurs origines et privés de leur filiation biologique, ce qui génère pour au moins la moitié d’entre eux, un mal-être important.

Par ailleurs, et c’est une réalité méconnue, l’utilisation des techniques de PMA induit des conséquences non négligeables pour la santé des enfants ainsi conçus, pour la santé des femmes et des couples qui y recourent, et pour les fournisseurs de gamètes.

Or ces conséquences sont passées sous silence au profit du développement sans frein de la marchandisation du corps humain.

 

G : La loi de bioéthique s’apprête à autoriser la « PMA pour toutes ». Cet élargissement est-il légitime au regard du droit ? Est-il juste ? Sur quels ressorts joue-t-il ?

OS : Le projet de loi de bioéthique s’appuie sur deux conceptions dévoyées du droit : la réalisation de désirs subjectifs et le droit victimaire.

La réalisation de désirs subjectifs d’abord : il existe aujourd’hui une confusion entre désirs et droits. Le désir est libre, il fait partie de l’essence même de l’être humain, c’est un moteur de vie. En revanche, la réalisation du désir n’est pas libre. Désirer une chose ne donne pas le droit d’accéder à cette chose. Or, est diffusée désormais l’idée que tout désir entraîne un droit à la réalisation de ce désir. Nous assistons ainsi à l’élaboration de lois non plus générales mais particulières, fondées sur les désirs des uns ou des autres. Lors des débats parlementaires relatifs au projet de loi de bioéthique, on a pu entendre un sénateur se féliciter de ce que la loi adoptée en première lecture consacrait le droit au désir d’enfant. Or, la loi n’a pas consacré un droit au désir. Le désir étant par définition une abstraction, un droit au désir ne signifie rien. Mais la loi a en revanche mis le doigt dans l’engrenage de la consécration d’un droit à l’enfant. Au prétexte que le désir d’enfant est légitime et que l’absence de réalisation de ce désir entraîne une souffrance authentique, le projet de loi va créer un droit à l’enfant, pour justifier la réalisation de PMA pour des femmes seules ou des couples de femmes. C’est une injustice.

Cependant comme je l’ai dit plus haut, ce qui est caché derrière ce projet de loi de bioéthique, c’est la généralisation de la PMA à tous, c’est-à-dire surtout à tous les couples hommes-femmes qui sont fertiles naturellement ; ce sont eux la véritable cible du marché. En effet, la conception naturelle dans le lit du couple ne rapporte rien au business de la procréation. Alors que la conception d’un enfant par insémination artificielle, c’est un chiffre d’affaires d’environ 7 000 euros pour une clinique. La conception d’un enfant par fécondation in vitro, c’est un chiffre d’affaires d’environ 14 000 euros (selon les chiffres donnés par la Cour des Comptes dans son rapport sur la Sécurité Sociale 2019). A ces chiffres d’affaires profitant aux cliniques, il faut ajouter les gains engrangés par les laboratoires pharmaceutiques qui fournissent les produits accompagnant le processus de PMA, les gains des industries équipant les centres de PMA avec des outils technologiques sans cesse renouvelés, les gains des banques de gamètes… Le business peut donc être colossal. Or, en France aujourd’hui, la législation est contraignante pour ce business puisqu’elle conditionne la PMA à l’infertilité diagnostiquée ou au risque de transmission d’une maladie grave. Le marché ne peut donc pas se développer comme il le souhaiterait car il est lié à la courbe de l’infertilité.

Il a donc été nécessaire pour les acteurs de ce marché de chercher les moyens de faire sauter les verrous de la législation française. Il était impossible pour eux de s’avancer démasqués en exposant de but en blanc leur objectif d’enrichissement à partir du corps humain et leur volonté transgressive de maîtriser la création et la définition de l’être humain. Ils ont donc usé d’un stratagème, en s’appuyant sur le courant victimaire qui traverse notre société.

C’est René Girard[3] qui a identifié le mécanisme victimaire à l’œuvre dans les groupes humains. Il a en particulier montré que, dans notre société occidentale, nous sommes prisonniers d’une conception judéo-chrétienne de la victime qui s’est dévoyée au fil des temps. Cette conception aboutit à l’idée que « les victimes ont des droits » et que, dès lors que l’on est victime, on peut réclamer, exiger des droits. Et quiconque s’oppose à ces droits passe immédiatement dans la catégorie du bourreau persécuteur. La conséquence est facile à deviner : pour se voir reconnaître des droits, il suffit de se voir attribuer le statut de victime. Et aujourd’hui, on peut aisément constater en France la création incessante de normes législatives assises sur un « droit victimaire ».

Les acteurs du marché de la PMA se sont servis de ce courant victimaire pour préparer ce projet de loi de bioéthique, en utilisant à leur insu les femmes seules ou couples de femmes présentées comme des victimes de la société qui leur interdit de réaliser leur désir d’enfant, alors que la technoscience leur en offre la possibilité. Et on voit bien comment tous ceux qui s’opposent au projet de loi de bioéthique sont présentés comme des bourreaux (des homophobes, des réactionnaires, des tenants d’un droit patriarcal etc.). L’ouverture de la PMA à ces femmes victimes paraît alors comme la réparation d’une prétendue inégalité.

Or, et c’est là où l’ambition réelle des acteurs du marché se révèle, alors qu’il est question de réparer une supposée injustice envers une catégorie de population précise, le projet de loi de bioéthique présenté à l’Assemblée nationale et adopté en première lecture par les députés, ouvre la PMA à tous sans condition. Et non content de cette première extension du marché, le projet de loi prépare soigneusement la clientèle de demain, en adoptant une disposition poussant à l’autoconservation des ovocytes, de sorte que les jeunes filles et jeunes femmes d’aujourd’hui n’aient guère d’autre choix, le jour où elles souhaiteront avoir un enfant, que de passer par la procréation médicalement assistée.

 

G : Vous parlez de dégâts collatéraux. A écouter ceux qui en font la promotion ils sont inexistants. De quoi parlez-vous ?

OS : Il est surprenant de constater qu’en France, les risques liés à la PMA sont niés, alors que dans d’autres pays où pourtant la PMA est très développée, des études sérieuses sont menées et diffusées.

Les risques liés à la PMA touchent en premier lieu les enfants qui peuvent présenter des désordres médicaux dus à la manipulation des gamètes et des embryons, ou encore à l’effraction des cellules nécessaire à la conception in vitro. Les études réalisées à l’étranger montrent par exemple une augmentation de 40% du risque pour l’enfant de présenter une malformation congénitale non chromosomique, une multiplication par 2 du risque de malformation cardiaque, une multiplication par 2,43 du risque de développer des cancers infantiles, etc.

Les risques concernent aussi les femmes qui subissent ces parcours en y abimant leur santé physique et bien souvent psychologique. Sont également exposés les couples dont l’intimité ne ressort pas indemne de cette quête absolue d’enfant.

Enfin, et c’est une population dont on parle beaucoup moins, les donneurs de gamètes sont également exposés à des risques. Ce sont des risques juridiques d’une part, car même si l’on promet aujourd’hui à un donneur de gamète qu’il ne subira jamais aucune conséquence de son don, il s’agit là d’une promesse bien légère. La loi évolue et nul ne peut prédire ce qu’elle sera dans 30 ans. Ce sont d’autre part, pour les donneuses d’ovules, des risques pour leur santé puisque l’utilisation massive d’hormones pour les amener à produire 10 à 20 ovocytes dans un mois, et ce plusieurs fois dans leur vie, n’est pas sans conséquence.

 

G : Quand on évoque la PMA pour toutes, on dénonce le plus souvent la consécration de l’absence du père. Mais que devient la maternité ? Comment l’enfant va-t-il se situer par rapport à sa/ses mère(s) ?

OS : Dès lors qu’il y a dissociation entre plusieurs femmes de l’origine génétique (ovocyte), de la gestation, et de la fonction maternelle quotidienne, on crée une impossibilité réelle pour l’enfant de désigner sa mère. Quel sens peut avoir ce mot pour cet enfant ? Qui est sa mère ? Celle qui lui a donné son patrimoine génétique ? Celle qui l’a porté et qui lui a transmis pendant 9 mois ses émotions et l’environnement qui a façonné son cerveau ? Celle qui s’occupe de lui au quotidien depuis sa naissance ?

Aujourd’hui, nul ne peut dire quelles vont être les conséquences pour l’enfant et pour l’adulte qu’il va devenir, de cet éclatement de la maternité. La technoscience nous pousse à nous conduire comme des apprentis sorciers incapables d’appréhender les conséquences des décisions gravissimes que nous prenons pour autrui.

 

G : Echappera-t-on à la Gestation par autrui ? Y a-t-il tout de même des raisons d’espérer ?

OS : La gestation pour autrui est en germe dans le projet de loi de bioéthique. Les arguments utilisés pour ce projet sont déjà repris pour justifier la GPA. On voit d’ailleurs dans les médias ces jours-ci, le processus de présentation victimaire des commanditaires, empêchés de se rendre à l’étranger pour récupérer les bébés commandés.

Mais il n’y a pas de fatalité. Pour résister à la marchandisation du corps humain, nous devons d’abord nous convaincre que cela est possible, et nous libérer de la peur.

Pour la juriste que je suis, un des chemins d’avenir consiste à rebâtir un droit fondé sur la justice, protégeant les plus faibles que sont les enfants.

 



[1] Et directrice scientifique de l’association Juristes pour l’enfance.

[2] Publication avril 2019, Editions Téqui.

[3] Ancien élève de l’Ecole des Chartes, René Girard a enseigné pendant toute sa carrière aux Etats-Unis comme professeur de littérature comparée. Il se définissait comme un anthropologue de la violence et du religieux.

 

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