Ouverture du « droit à l’aide à mourir » : une « profonde et irréparable injustice »

16 Mai, 2025

Alors que les discussions concernant la proposition de loi sur l’instauration d’un « droit à l’aide à mourir » ont débuté à l’Assemblée nationale, 575 juristes dénoncent l’injustice de ce texte et les dangers d’un tel bouleversement de l’ordre juridique.

Depuis plusieurs années, la situation tragique de compatriotes confrontés à des maladies incurables, à de grandes souffrances ou à des fins de vie éprouvantes a légitimement ému l’opinion publique. Face à de tels drames et de telles blessures, qu’elles touchent des proches ou des inconnus, nul ne saurait demeurer insensible. En de telles circonstances, la puissance publique a le choix entre deux solutions : donner au corps médical les moyens satisfaisants pour accompagner la vie souffrante ou finissante et en soulager les douleurs, ce que l’on appelle les soins palliatifs, ou bien permettre que ces vies abîmées soient écourtées, c’est-à-dire que la mort soit administrée au patient, soit par le requérant lui-même (suicide assisté), soit par un soignant (euthanasie). Si la France fut précurseur en matière de soins palliatifs, elle souffre aujourd’hui d’un manque criant de moyens permettant à chacun d’en bénéficier et s’engage sur le chemin de la régression (cf. Soins palliatifs : de nouveaux lits, mais toujours insuffisants face à la demande).

En effet, une nouvelle proposition de loi ouvrant « l’aide à mourir » a été déposée, discutée et adoptée en commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale le 2 mai 2025 (cf. La Commission adopte une proposition de loi « relative au droit à l’aide à mourir » sans contrepoids réel). Le texte est discuté en hémicycle avant d’être envoyé au Sénat. Professionnels du droit – universitaires, magistrats, avocats, notaires, juristes –, nous alertons nos concitoyens sur l’injustice qui consisterait à qualifier la mort de soin, et les graves conséquences qu’un tel bouleversement de notre ordre juridique ne saurait manquer de susciter dans notre société déjà fracturée (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une rupture profonde dans ce qu’est l’éthique de l’engagement soignant »).

« Une aporie majeure »

En son principe, la proposition de loi ouvrant « l’aide à mourir » constitue une rupture sociale et anthropologique majeure (cf. Proposition de loi « fin de vie » : « elle ne protège pas, elle expose ; elle ne soigne pas, elle élimine »). Le suicide assisté et l’euthanasie deviendraient un « droit » opposable. La vocation des médecins et des infirmiers est de soigner, d’accompagner, de soulager ; non de donner la mort (cf. Fin de vie : « médecine de l’accompagnement » ou « médecine de la mort donnée » ?). Ce texte met en péril le caractère irremplaçable et précieux de chaque vie humaine, et modifie la perception que la société a du médecin. En effet, administrer la mort, c’est subvertir le geste médical, en le rendant mortifère (cf. Euthanasie ou suicide assisté : « une brèche dans un rempart de sagesse »).

En outre, cette légalisation du suicide assisté interroge quant aux contours de l’assistance à personne en danger (cf. Euthanasie et prévention du suicide : le paradoxe). Du reste, si la volonté de mourir devient cardinale, au nom de quoi pourrait-on continuer à s’opposer au suicide tout court ? Qu’adviendra-t-il, demain, du délit de provocation au suicide (actuellement puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende aux termes de l’art. 223-13 du Code pénal) ? Pis, deviendrait-on soi-même fautif en tentant de sauver un candidat au suicide, comme quelqu’un se jetant d’un pont, au prétexte que l’on ferait obstacle à l’accomplissement de sa volonté ? Il existe ici une aporie majeure. Et parce qu’il sera avalisé par l’État, ce choix de mourir nous concernera tous.

« Une option « thérapeutique » parmi d’autres »

Nos législateurs sont si conscients de l’injustice de leur proposition qu’ils n’osent nommer ce dont ils parlent (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?). Le terme de mort n’est que très peu employé : une seule fois dans l’exposé des motifs, mais aussi dans un amendement orwellien adopté en commission, réputant « décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir » (cf. L’« aide à mourir » qualifiée de « mort naturelle » : le « mensonge sémantique » poussé « encore plus loin ») ! Quant aux expressions de suicide ou d’euthanasie, réputées effrayantes, elles sont absentes . C’est à pas feutrés que se prépare l’administration de la mort . Mort qui, pourtant, devient une option « thérapeutique » parmi d’autres (cf. Fin de vie : « Vous n’allez pas d’abord légiférer sur une certaine idée de la liberté ou de la fraternité, mais sur des personnes, des personnes bien vivantes ! »).

Certes, en l’état du texte, les médecins ne seraient pas forcés de pratiquer l’euthanasie, l’objection de conscience leur étant garantie aux termes de l’article 14, qui oblige néanmoins le médecin objecteur à orienter le patient vers un médecin pratiquant l’euthanasie. Néanmoins, cette clause de conscience est déniée aux pharmaciens (cf. La clause de conscience refusée aux pharmaciens, au nom de « la souveraineté de la personne sur elle-même, qu’il s’agisse d’une interruption de grossesse ou du droit de mourir dans la dignité »). Concrètement, un pharmacien serait forcé de préparer la substance létale pour un patient. Applaudis il y a peu pour leur dévouement, certains professionnels de santé seront donc privés d’une liberté essentielle dans un État de droit : la liberté de conscience (cf. Les cinq voies de l’objection de conscience en médecine).

Des dérives « immédiatement perceptibles »

Injuste en son principe, la proposition de loi ouvrant « l’aide à mourir » démontre par ses modalités qu’il ne saurait y avoir d’« euthanasie éthique ». Quant aux conditions d’accès d’abord (article 4) : pourra être euthanasié un Français majeur souffrant d’une « affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase terminale ou avancée ». Or, une maladie telle que le diabète entre dans le champ de cette définition. Les dérives sont donc immédiatement perceptibles. Par ailleurs, en commission, un amendement tendant à interdire le recours à l’euthanasie ou au suicide assisté aux personnes déficientes intellectuellement a été tout simplement rejeté (cf. « Un gros risque en plus » : exclure les personnes handicapées du dispositif légal de mort administrée est « une urgence absolue »).

Le texte se distingue en outre par le peu de rigueur entourant les modalités de contrôle des euthanasies et suicides assistés. Ubuesque, l’article 12 de la proposition de loi dispose ainsi que « la décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ne peut être contestée que par la personne ayant formé cette demande, devant la juridiction administrative, selon les dispositions de droit commun ». Attend-on que le patient décédé aille ester en justice post-mortem ? D’autant que la commission des affaires sociales a rejeté un amendement tendant à ce que la demande d’euthanasie soit exprimée par écrit (cf. « Aide à mourir » : la Commission termine l’examen des articles dédiés à la procédure). De même, l’article 15 institue un contrôle assumé par une « commission de contrôle et d’évaluation ». Mais ce contrôle est réalisé a posteriori, c’est-à-dire après l’administration de la mort. Espère-t-on que cette commission puisse ressusciter les morts ? En pratique il n’y a aucun garde-fou.

Un « but idéologique et liberticide »

Juristes, nous sommes particulièrement inquiets à la lecture de l’article 17 de la proposition de loi (« Dispositions pénales »). Cet article institue un délit d’entrave qui a été adopté en commission. Celui-ci se distingue par son caractère répressif, un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Surtout, le délit d’entrave est fort largement entendu : « est puni […] le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir ». Concrètement, alerter sur « les conséquences médicales de l’acte », c’est-à-dire sur la mort, serait constitutif d’un délit d’entrave ? Demain, sera-t-on condamné pour avoir osé rappeler que l’euthanasie constitue une mort provoquée ? Ou pour avoir voulu dissuader un être aimé ?

Preuve du déséquilibre de ce texte idéologique et liberticide, le délit d’incitation au suicide assisté est, quant à lui, absent du texte. Proposée par un amendement, son introduction a été rejetée en commission . Preuve supplémentaire d’un libéralisme à géométrie variable, la liberté d’expression ne devrait jouer in fine qu’en faveur des partisans zélés de « l’aide à mourir » (cf. Légaliser l’euthanasie : « une incitation au désespoir »).

« Notre droit ne peut considérer que la vie serait d’une valeur relative »

Ce texte s’inscrit dans un contexte plus large. Depuis une vingtaine d’années, des pays voisins ont ouvert ce « droit à mourir ». Légalisée en Belgique depuis 2002, l’euthanasie a ensuite été ouverte aux mineurs en 2014 (cf. Euthanasie d’un mineur en Belgique : le double abandon). Peuvent y recourir les personnes atteintes de « souffrance physique ou psychique », de sorte que l’on observe une croissance des euthanasies de personnes dépressives (cf. Euthanasie pour « dépression incurable » : la CEDH ne soulève qu’un problème de procédure). Le texte français emboîte d’ailleurs le pas à nos voisins belges, la « souffrance psychologique » étant prévue à l’article 4.

Demain, la vie abîmée ou souffrante pourra être supprimée (cf. « Aide à mourir » : les défenseurs d’une « éthique de la vulnérabilité » face aux promoteurs d’un « droit social »). Quid, après-demain, de la vie jugée improductive ou trop coûteuse ? L’ouverture de ce « droit » constitue ainsi une profonde et irréparable injustice. La cohésion de la société et la dignité de toute personne en sortiraient meurtries . Notre droit ne peut considérer que la vie serait d’une valeur relative, car elle est la condition de tous les autres biens.

Professionnels du droit, attachés à la mesure et à la prudence, défenseurs des plus vulnérables et de la dignité intrinsèque de chaque être humain, il est de notre devoir d’alerter nos concitoyens devant l’ouverture de cette « aide à mourir », dangereuse à tous égards et porteuse d’abus. Plutôt que d’ouvrir la boîte de Pandore, aidons les médecins à demeurer fidèles au serment d’Hippocrate : « je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Donnons-leur les moyens de soigner et de soulager les souffrances, contribuant à la construction d’une société vraiment fraternelle et humaine par l’attention et le soin qu’elle porte à ses membres les plus fragiles (cf. Fin de vie : « aider chacune et chacun à garder le goût de vivre »).

Cette tribune a été initialement publiée par le Figaro. Elle est ici intégralement reproduite.

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