La ministre des droits des femmes, Laurence Rossignol annonce à l’AFP ce jour que « Le gouvernement va introduire un amendement au projet de loi égalité et citoyenneté, afin d’élargir le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) aux sites internet qui véhiculent des informations “biaisées” sur l’avortement ».
Cette annonce n’était attendue que demain (cf. IVG : Laurence Rossignol souhaite créer un « délit d’entrave numérique) pour la journée internationale sur le droit à l’avortement. Mais sans surprise, comme à son habitude, le gouvernement communique et explique qu’il forcera le débat parlementaire sur ce sujet, dans un texte déjà en cours de discussion.
Le délit d’entrave subrepticement intégré dans le projet de loi égalité et citoyenneté
Le projet de loi égalité et citoyenneté a déjà été discuté à l’Assemblée nationale fin juin, début juillet (voir le dossier législatif), et le Sénat le discutera en séance dans une semaine, le mardi 4 octobre. Le texte est fleuve, 41 articles, et une fois encore, comme dans la loi santé, le gouvernement présentera un amendement in extremis en séance, un amendement qui sera noyé dans un flot de sujets divers et variés.
Il faut noter que le projet de loi égalité et citoyenneté a comme objectif d’« aller plus loin, faire vivre l’égalité, renforcer la citoyenneté, […] chercher sans répit, sans fausses excuses, à nous hisser à la hauteur des exigences des Français. C’est porter toujours plus haut nos ambitions », exposait le Premier ministre, Manuel Valls, au premier comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté (CIEC). Il poursuit aussi l’objectif de réaffirmer et de rassembler « autour des valeurs de la République », d’incarner ces valeurs « dans le quotidien de tous nos compatriotes », enfin, de faire vivre « une République en actes », notamment auprès de « La jeunesse de France [qui] est particulièrement en proie au doute ».
On peut penser que le délit d’entrave numérique pourrait trouver sa place dans plusieurs parties du projet de loi consacré à « l’émancipation des jeunes » (chapitre 1er), ou plus probablement dans le titre III consacré à faciliter « la répression des délits de provocation, de diffamation ou d’injures fondées sur les origines, l’identité ou l’orientation sexuelle ainsi que, plus généralement, la répression de tous les crimes et délits commis pour des raisons racistes ou discriminatoires fondées sur l’identité ou l’orientation sexuelle ».
Même thème, même méthode que la loi égalité femmes/hommes en 2014
La méthode du gouvernement n’est pas très différente de celle employée pour la loi santé, ou encore celle employée pour la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, votée en aout 2014, qui comprenait un article sur le délit d’entrave.
Dans la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui concernait principalement l’égalité au travail, Laurence Rossignol avait modifié, par voie d’amendement, le délit d’entrave à l’IVG (article L2223-2 du code de la santé publique), en l’étendant à l’information.
En effet, le délit d’entrave à l’avortement avait été créé en 1993 par la ministre des droits des femmes de l’époque, Véronique Neiertz, pour sanctionner les entraves à l’IVG à l’intérieur des hôpitaux.
En 2014, Laurence Rossignol, en présentant un amendement in extremis en séance, soutenu par Najat Vallaud Belkacem, alors ministre des droits des femmes, a étendu ce délit d’entrave à l’information pour appliquer les peines de ce délit aux entraves qui avaient lieu à l’extérieur des hôpitaux (Planning familial, centres d’information, centre d’orthogénie…).
Le délit d’entrave à l’IVG est alors devenu le suivant (article L2223-2 du code de la santé publique) :
Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 :
- soit en perturbant de quelque manière que ce soit l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;
- soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières.
Alors que la littérature, abondante sur le sujet, s’inquiétait ou se félicitait déjà des sanctions qui tomberaient sur les sites informant sur les conséquences de l’IVG, la lettre de la loi ainsi que son esprit, ne les visaient en réalité pas. Mme Rossignol le précisait d’ailleurs à l’époque :
« Le présent article a pour objet de renforcer la protection offerte aux femmes qui souhaitent recourir à l’interruption volontaire de grossesse et d’éviter les manœuvres pour entraver l’exercice de ce droit des femmes. » (Exposé des motifs de l’amendement de Laurence Rossignol (n°91 rect de l’article 5 quinquies nouveau). Laurence Rossignol insistait en séance :
« Il faut bien distinguer ce qui relève de l’opinion et ce qui relève de l’entrave à l’IVG. On peut tout à fait exprimer son opposition à l’IVG dans des manifestations ou dans le cadre d’ouvrages divers. […]
Cependant, comme je le précisais hier, le mouvement de contestation de l’IVG est très mobile ; la résistance à l’évolution et à l’égalité entre hommes et femmes est une guérilla qui se déplace. Ainsi, ces groupes ont jugé utile, toujours pour faire pression sur les femmes se rendant en consultation, de s’installer à l’extérieur des hôpitaux.
C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, d’étendre le délit d’entrave à l’IVG à l’accès à l’information sur l’IVG. Ainsi, nous visons à la fois les hôpitaux, les centres d’orthogénie diffusant de l’information, les institutions comme le Planning familial ou les centres d’information sur les droits des femmes et des familles, qui ne pratiquent pas d’IVG mais sont habilités, par convention, à délivrer de l’information sur le sujet.
Pour qu’il n’y ait pas de confusion, je précise que cet amendement ne concerne pas les actions pouvant être menées sur internet. […]. Notre proposition est restreinte aux seules manifestations physiques ayant lieu hors des murs des hôpitaux. »
La ministre des droits des femmes de l’époque, Najat Vallaud Belkacem avait insisté elle aussi lors des débats :
« L’objet de l’article […] est d’étendre ce délit d’entrave à ces mêmes commandos anti-IVG, qui ne vont pas simplement devant des cliniques ou des centres d’IVG, mais aussi devant des lieux où les femmes pourraient juste s’informer, des plannings familiaux, par exemple, des centres d’information sur les droits des femmes. Eh bien, nous estimons qu’empêcher les femmes d’accéder à une information sur l’IVG, c’est une entrave : il convient donc de poursuivre comme telle ce type d’action. Vous savez aussi bien que moi à quel point c’est un enjeu d’autant plus majeur que le droit à l’IVG, on ne cesse de répéter, est enfermé dans un délai légal. Les femmes ont donc peu de temps pour prendre les informations utiles. Tous ceux qui cherchent à les empêcher d’accéder à ces informations utiles dans le délai légal seront désormais, grâce à cet article, passibles de poursuites. »
Elle annonçait aussi d’autres actions du gouvernement :
« J’ajoute qu’outre l’intégration de cette disposition dans notre projet de loi le Gouvernement s’est engagé à renforcer l’information publique et neutre sur l’interruption volontaire de grossesse, loin de la pratique de certains sites qui, sous couvert de neutralité (cf. IVG : Le « délit d’entrave numérique n’est que l’expression d’une radicalisation idéologique »), ne font pas autre chose que de la propagande contre le droit à l’IVG ».
L’idée de brider les sites internet informant différemment sur l’IVG était donc bien dans les projets du gouvernement.
Après avoir créé des sites internet « neutres », créé un numéro vert « neutre », etc… il ne restait plus au gouvernement, pour rester maître de l’information sur l’avortement, qu’il sanctionne ceux qui en délivre une autre.
On peut s’interroger sur la raison pour laquelle la loi de 2014 n’est pas allée directement jusqu’à viser les supports numériques. Incapacité technique à le faire, volonté du gouvernement d’exister auparavant sur la toile ? L’exposé des motifs de l’amendement déposé cette semaine nous le dira peut-être.
Pour l’heure, il faut espérer que quelques sénateurs se préparent à contrer cet amendement Mardi en séance.