« Nos actes et notre biologie se renforcent pour nous aider à “devenir ce que l’on est” »

Publié le 30 Sep, 2024

Des chercheurs ont révélé avoir observé le « changement chorégraphié » du cerveau maternel tout au long de la grossesse. Ainsi, au-delà des modifications visibles du corps de la femme enceinte, son cerveau est également transformé par la grossesse. Des changements qui persistent, pour certains, bien après l’accouchement. Le professeur René Ecochard, professeur à l’université Claude-Bernard (Lyon I) et auteur notamment de Homme, Femme : Ce que nous disent les neurosciences et de Ce que l’homme doit à son chromosome Y, Les révélations des neurosciences, parus aux Editions Artège [1], décrypte cette recherche pour Gènéthique.

La grossesse de la femme concerne en premier lieu son utérus, la « maison du bébé ». L’enfant y trouve « le gite et le couvert ». Cependant, une grossesse ne concerne pas que l’utérus de la femme, loin s’en faut. C’est une mère qui est donnée à l’enfant, pas simplement un logement et de la nourriture. Par la grossesse, la femme devient mère. L’article [1] de Laura Pritschet, chercheuse à l’Université de Californie, Santa Barbara, décrit ce qui se passe au niveau de son cerveau.

Un rappel sur le cerveau et sa plasticité

Le cerveau compte des milliards de cellules appelées neurones. Ces neurones se comportent comme des fils électriques doués de capacité de tri de l’information. Ils sont faits d’un corps cellulaire et de longs prolongements. Ces corps cellulaires sont disposés en couches à la surface du cerveau, formant le ‘cortex’. En profondeur du cerveau, ils forment des agglutinats appelés noyaux. Sur une imagerie du cerveau (IRM), le cortex et les noyaux apparaissent en gris (substance grise), les longs prolongements en blanc (substance blanche).

Les neurones ont une formidable capacité de transformation appelée plasticité. Ceci permet d’acquérir des compétences. C’est ce qui se passe, par exemple, lorsqu’on apprend à lire. De telles transformations permettent la formation du cerveau jusqu’à la fin de l’émergence de l’âge adulte vers 22-24 ans. Elles permettent aussi l’adaptation aux nécessités de la vie à l’âge adulte. L’IRM permet de voir ces transformations.

Ce que l’on savait déjà sur la grossesse : une transformation du corps et une préparation de l’esprit

Lors de la grossesse, les transformations du corps de la femme sont multiples. Ses réserves de graisse augmentent pour garantir un apport nutritif suffisant à l’enfant pendant la grossesse et ensuite pendant l’allaitement. Ses muscles, ligaments et tendons s’assouplissent, permettant à l’enfant de faire sa place en elle. Ses seins se développent pour le nourrir après la naissance.

Les scientifiques ont également décrit les phénomènes qui se produisent pour aider la femme à accueillir l’enfant en elle, faciliter son attachement et augmenter son désir de prendre soin de lui. Au cours de la grossesse, la quantité d’hormones féminines [2] dans le sang augmente progressivement pour atteindre des niveaux 100 à 1000 fois supérieurs aux taux habituels. Ces hormones ont un grand effet au niveau du cerveau. Elles participent à la transformation de la femme en mère. Ceci se ressent à son contact. Les scientifiques parviennent à mesurer certaines de ces transformations : elle devient plus sensible aux traits de visages craintifs ou en colère dans son entourage ; elle devient plus sensible aux pleurs des nourrissons, etc.

Les révélations de cette nouvelle étude

Grâce à l’imagerie de précision, Laura Pritschet a cartographié les changements de la substance grise et de la substance blanche d’une mère de 38 ans, à 26 reprises, depuis le cycle qui précède la conception jusqu’à deux ans après l’accouchement.

L’auteur exprime que « la diminution du volume de la substance grise peut refléter le “réglage fin” du cerveau par les estrogènes et la progestérone dans le cadre de la préparation à la parentalité ». Les zones profondes du cerveau se transforment elles aussi, notamment les zones CA1, CA2/CA3 de l’hippocampe, sans que l’on sache encore l’impact de tels changements. Plusieurs transformations observées dans le cerveau de la femme pendant la grossesse persistent encore deux ans après l’accouchement.

Ainsi, le temps de la grossesse et les mois de soins donnés à l’enfant après la naissance transforment la mère. Les sociologues ont montré depuis bien longtemps ce que chacun constate : la mère a acquis un grand nombre de capacités qu’elle gardera toute sa vie [2].

Comme tout travail scientifique, celui-ci devra être renouvelé par d’autres équipes avant d’être accepté comme généralisable. Cependant, il s’ajoute aux travaux effectués chez la femme ou chez des femelles de mammifères pour étudier ce que la biologie fait pour aider la maternité.

Laura Pritschet rappelle que des transformations similaires du cerveau ont été montrées chez d’autres espèces de mammifères : les estrogènes et la progestérone favorisent le comportement parental en remodelant le cerveau. L’ensemble de ces travaux convergent vers une même conclusion : la biologie est au service de la mère. C’est une règle générale : il y a une « synchronie comportementale », c’est-à-dire un cercle vertueux dans lequel nos actes et notre biologie se renforcent pour nous aider à « devenir ce que l’on est » [3].

La grossesse, une période de transformation de l’être

La grossesse n’est pas que la présence d’un enfant dans l’utérus de la femme. C’est une période de transformation de l’être : la femme devient mère et cela concerne toute sa personne. L’arrivée d’un enfant au sein de la famille est une phase de progression de chacun dans le développement de sa personne. La mère en premier lieu, bien entendu. Et le père, qu’en est-il ? Lui aussi est transformé. Ses hormones changent à l’approche de la naissance de son enfant. Son cerveau changera plus encore s’il s’occupe activement de leur enfant (cf. Tu seras un père mon fils). C’est une autre histoire, belle et importante.

L’équipe de recherche dont Laura Pritschet est membre s’attelle à l’étude des transformations de l’homme. Une première publication sur l’évolution du cerveau de l’homme vient de paraître [4]. Espérons qu’une publication future décrira l’évolution du cerveau du père pendant la grossesse de son épouse et les premiers mois de leur enfant.

 

[1] Egalement auteur de Les neurosciences répondent à 26 questions sur le sexe, le genre, la famille, les hormones, paru chez Ellipses, 2024

[2] estrogènes et progestérone

[1] Pritschet L, Taylor CM, Cossio D, Faskowitz J, Santander T, Handwerker DA, Grotzinger H, Layher E, Chrastil ER, Jacobs EG. Neuroanatomical changes observed over the course of a human pregnancy. Nat Neurosci. 2024 Sep 16.

[2] de Lange AG, Kaufmann T, van der Meer D, Maglanoc LA, Alnæs D, Moberget T, Douaud G, Andreassen OA, Westlye LT. Population-based neuroimaging reveals traces of childbirth in the maternal brain. Proc Natl Acad Sci U S A. 2019 Oct 29;116(44):22341-22346.

[3] Pratt M, Apter-Levi Y, Vakart A, Kanat-Maymon Y, Zagoory-Sharon O, Feldman R. Mother-child adrenocortical synchrony; Moderation by dyadic relational behavior. Horm Behav. 2017 Mar;89:167-175.

[4] Murata EM, Pritschet L, Grotzinger H, Taylor CM, Jacobs EG. Circadian Rhythms Tied to Changes in Brain Morphology in a Densely Sampled Male. J Neurosci. 2024 Sep 18;44(38):e0573242024.

Photo : iStock

René Ecochard

René Ecochard

Expert

René Ecochard, marié avec Isabelle, ils ont 4 enfants et 15 petits-enfants Médecin, épidémiologiste, professeur Emérite de l’Université Claude Bernard à Lyon (France) Il est titulaire d’une thèse de biostatistique et démographie à Cambridge (Grande Bretagne) Spécialiste de la biologie de la reproduction, il est co-auteur de 30 articles scientifiques dans ce domaine et au total de 275 articles. Il a participé au développement de la Fédération Africaine d’Action Familiale. Avec son épouse, il travaille à la promotion d’une écologie humaine. Ils ont écrit notamment le Petit Manuel d’Ecologie Humaine aux éditions du Centurion, du livre Intimité, sexualité, fécondité chez Tequi et en 2022 de l’Encyclopédie sur la sexualité humaine, l’amour et la fécondité chez Tequi. Il est responsable à l’Université Claude Bernard de la formation Restauration de la Fertilité destinée en particulier aux médecins et aux sages-femmes. Depuis trois ans il se consacre aux fondements neuroscientifiques de l’anthropologie et a publié en 2022 le livre Homme, Femme, ce que nous disent les neurosciences, chez Artège.

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