Neurotechnologies : l’urgence d’instaurer des « neurodroits »

Publié le 17 Juil, 2024

Alors que le marché des neurotechnologies devrait atteindre plus de 21 milliards de dollars d’ici à 2026 et qu’il augmente de plus de 10% en moyenne chaque année, Rafael Yuste, neurobiologiste, professeur à l’université de Columbia à New York et cofondateur de la NeuroRights Foundation, appelle à instaurer des « neurodroits » au plus vite. Ces « nouveaux droits de l’Homme » auront pour objectif de protéger cinq domaines qui seraient menacés par les neurotechnologies.

Cinq domaines à protéger

Le premier d’entre eux est le « droit à la vie privée mentale » afin d’éviter que le contenu de notre activité cérébrale puisse être décodé sans notre consentement (cf. Interfaces cerveau-ordinateur : une menace pour notre vie privée ?). Selon Rafael Yuste, il s’agit du « plus urgent » car, à l’heure actuelle, aucun cadre ne protège nos données des nouveaux appareils que vendent les entreprises de neurotechnologie. Le deuxième domaine menacé est celui de « l’identité mentale » pour préserver les patients dotés d’une technologies neuronale implantable de tout changement de personnalité (cf. Un premier implant Neuralink chez l’homme, le « spectre d’un nouvel esclavage » ?).

Le troisième droit concerne le droit au libre arbitre sans interférence avec la neurotechnologie. L’objectif étant d’empêcher la manipulation de la perception et des souvenirs et la prise de contrôle sur le comportement d’un être humain (cf. Neurotechnologies : une vigilance éthique s’impose pour préserver la liberté de penser). Des laboratoires sont déjà parvenus à le faire chez l’animal dans le cadre d’expérimentations sur des rongeurs. Le quatrième droit est le « droit à l’égalité d’accès à l’augmentation neurologique » (cf. François-Xavier Bellamy : « Le transhumanisme est d’abord une détestation de l’humain »). Pour Rafael Yuste, ce n’est pas un problème urgent, mais « il pourrait devenir majeur à l’avenir ». Enfin, le dernier droit est le droit à la protection contre les préjugés et la discrimination (cf. Patrick Hetzel : « Les neurotechnologies doivent, d’abord et avant tout, servir à guérir et à réparer »).

L’IA générative comme vecteur de développement des neurotechnologies

Rafael Yuste identifie l’intelligence artificielle générative comme un vecteur de développement exponentiel des neurotechnologies. Il souligne le fait qu’aujourd’hui il est possible de décoder des informations neuronales qui étaient encore indéchiffrables il y a deux ans. Selon une étude parue en décembre 2023, des chercheurs australiens de l’université de technologie de Sydney sont parvenus à retranscrire une partie du monologue interne des participants avec une précision de 40%.

En tant que neuroscientifique, il explique que grâce aux neurotechnologies, on sait désormais déchiffrer l’activité mentale. « Il est urgent d’agir » pour éviter de perdre le contrôle de nos données cérébrales, estime Rafael Yuste imaginant le stockage et la vente de nos données à des entités tierces sans notre consentement. Il soulève l’absence de protection de nos données cérébrales qui sont déjà vendues à des tiers par des entreprises comme le prouve un rapport publié en avril dernier par la NeuroRights Foundation (cf. « Neurodroits » : l’alerte d’une ONG américaine). Ce rapport examine les accords conclus par 30 entreprises commerciales de neurotechnologie avec les consommateurs et, comme le montrent les résultats, la quasi-totalité d’entre elles ne prévoient aucune limite à l’accès aux données cérébrales des utilisateurs.

Des mesures pour protéger les données neuronales

Actuellement, la NeuroRights Foundation travaille avec le Mexique, la Colombie et l’Uruguay pour inscrire la protection des données neuronales dans leur loi (cf. Le Chili veut garantir les droits du cerveau). Elle œuvre également avec l’Union européenne pour inclure ces données dans le règlement général sur la protection des données (RGPD) (cf. Intelligence artificielle en santé : les recommandations de l’OMS). En Californie, une loi « Neurorights » a été votée à l’unanimité. Elle vise à protéger les données neuronales des citoyens contre toute exploitation abusive.

Malgré ces travaux, Rafael Yuste souligne que « les gens ne sont pas inquiets » et que les scientifiques qui peuvent se projeter dans dix ou vingt ans et « prédire les pires scénarios » ne sont pas écoutés. « Si nous ne faisons rien, nous aurons le même problème qu’avec Internet, les réseaux sociaux, la robotique, le métavers et l’IA : nous aurons pris trop de retard pour prévenir les pires dérives » explique-t-il. Outre la constitutionnalisation des neurodroits, il propose d’instaurer une sorte de serment d’Hippocrate appliqué aux entreprises. L’objectif étant de s’assurer que les progrès numériques n’interfèrent pas avec les droits neuronaux, il propose que les Big Techs du monde entier, comme Meta et Google, fassent le serment de respecter les cinq piliers des neurodroits.

Complément du 03/10/2024 : Le gouverneur Gavin Newsom a promulgué un projet de loi modifiant la loi californienne sur la protection de la vie privée des consommateurs [1], qui s’inspire du règlement européen RGPD, afin de classer les « données neuronales » parmi les informations personnelles protégées, au même titre que la géolocalisation précise, la génétique et la biométrie.

En revanche, il a opposé son veto à un projet de loi visant à réglementer les modèles d’intelligence artificielle, « suite aux pressions exercées par les géants de la technologie et les détracteurs de la loi, qui estimaient que celle-ci allait trop loin » (cf. xxxxxxxx).

[1] California Consumer Privacy Act

 

Source : Usbek et Rica, Emilie Echaroux (15/07/2024) ; Tech Xplore (30/09/2024) ; Tech Xplore (01/10/2024) – Photo : iStock

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