Malgré un nombre record d’avortements en 2023, le Sénat s’inquiète d’un accès « fragile »

Publié le 22 Oct, 2024

Réunie le mercredi 16 octobre 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller (LR), la Commission des Affaires sociales du Sénat a adopté le rapport relatif à l’accès à l’avortement et les recommandations présentés par Alain Milon (LR), Brigitte Devésa (Union Centriste) et Cathy Apourceau-Poly (Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste), rapporteurs.

Considérant que « malgré la consécration constitutionnelle du 8 mars 2024, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France demeure fragile et inégal », la Commission formule 10 propositions [1] pour « assurer un accès effectif à l’IVG pour l’ensemble des patientes et dans tous les territoires ».

Des disparités régionales

Les données montrent des écarts significatifs selon les territoires en termes de recours à l’avortement. Les départements et régions d’outre-mer affichent les taux les plus élevés, avec une situation particulièrement critique en Guyane, où le taux s’élève à 46,7%. En France métropolitaine, les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Ile-de-France présentent également des chiffres élevés (cf. France : 243 623 avortements en 2023, un chiffre encore en hausse).

La majorité des avortements sont réalisés dans les premières semaines de grossesse, et la méthode médicamenteuse a pris le pas, représentant la majorité des IVG pratiquées. En outre, en 2023, 41% des IVG ont été effectuées en dehors des établissements de santé, contre moins de 10% en 2008. D’un point de vue régional, les disparités dans « l’offre » d’IVG en ambulatoire sont marquées : par exemple, l’activité de ville ne représente que 10% des IVG dans les Pays de la Loire, contre 43,5% en PACA. Ces différences s’expliquerait en partie par l’« engagement variable » des professionnels dans la pratique de l’IVG.

Une opposition des professionnels ?

En 2023, « seulement » 19% des gynécologues et 14% des sages-femmes exerçant en cabinet de ville ont réalisé au moins un avortement. Cela ne concerne qu’1,5% des médecins généralistes. Le rapport s’inquiète en outre qu’un certain nombre de femmes se situent à plus d’une heure d’un endroit où il est possible d’avorter, omettant de rappeler que l’avortement par téléconsultation a été autorisé jusqu’à sept semaines de grossesse depuis la crise du Covid-19. Une mesure pérennisée en 2022 sans recourir à la représentation nationale (cf. Olivier Véran auditionné par la délégation aux droits des femmes : promouvoir l’IVG par tous les moyens).

Par ailleurs, le rapport souligne que, d’après un sondage IFOP réalisé pour le Planning familial, 27% des femmes ayant avorté ont été confrontées à un refus de la part de professionnels de santé. Est-ce une question de délai ? De clause de conscience exercée par ces soignants ? (cf. Loi Gaillot : réaction d’un gynécologue) La Commission relève ce chiffre comme étant problématique. La liberté des professionnels de santé aurait-elle moins de valeur que celle des femmes ? (cf. IVG dans la Constitution : la « liberté » des femmes au détriment de la liberté de conscience ?) Ce chiffre concerne d’ailleurs des femmes qui ont, in fine, eu recours à l’avortement.

Peut-on parler de « tabou » pour l’avortement ?

D’autre part, 41% des femmes ayant récemment eu recours à un avortement déclarent que « le droit à l’avortement est tabou ». Une majorité d’entre elles indiquent ressentir la peur d’être jugées et 37% parlent de « pressions sociétales » sur celles qui souhaitent avorter. Pourtant des femmes témoignent, au contraire, des pressions qu’elles ont subies, les poussant à avorter cf. IVG : une femme témoigne « ce n’était pas “mon choix”, mais “ma peur”» ; « Deuil caché » : « une réhabilitation de la souffrance » des femmes qui ont avorté). En dépit de leurs témoignages devant les Parlementaires [2], le rapport du Sénat n’en fait aucune mention.

Le rapport met en outre en exergue l’impact des discours en ligne qui s’opposent à l’avortement et de la présence de sites qu’il qualifie de « désinformation » (cf. Contraception, IVG, genre : un site de Santé Publique France pour informer ou militer ?). Un passage d’un rapport de la Fondation des femmes est cité sur le sujet. Il évoque des « opérations très médiatisées menées par des organisations anti-avortement, dont la récente campagne coordonnée d’autocollants apposés sur des Vélib’ à Paris ». L’accès à l’avortement serait menacé par la pose d’autocollants ? La justice ne semble pas le penser puisque qu’aucune condamnation sur le fondement du délit d’entrave n’a été recensée depuis 2014.

Alors que ce « droit » a été érigé dans la Constitution au rang de « liberté garantie » depuis l’année dernière (cf. La France inscrit l’avortement dans sa Constitution. Et ensuite ?), et que la France a enregistré en 2023 le niveau le plus élevé d’avortements depuis 1990, l’« accès » à l’avortement est-il vraiment la priorité ?

 

[1] Les 10 propositions du rapport sont :

  1. Fixer aux Agences Régionales de Santé (ARS) des objectifs de croissance du nombre de professionnels de ville contribuant à l’offre d’IVG médicamenteuse, favoriser l’accès des professionnels à une formation de qualité et simplifier les procédures de conventionnement
  2. Rendre systématique l’ouverture de centres périnataux de proximité susceptibles de maintenir localement une offre hospitalière d’IVG en cas de fermeture de services de gynécologie-obstétrique
  3. Soutenir au niveau régional la formation des sages-femmes et, plus largement, des équipes hospitalières à la technique instrumentale
  4. Renforcer le suivi de l’accès à l’IVG, par la mise en place d’indicateurs (distance entre le lieu de réalisation et le domicile de la patiente, délai de réalisation, libre choix de la méthode retenue) supervisés par les ARS
  5. Améliorer le recensement des évènements indésirables graves et analyser les difficultés d’accès qu’ils révèlent
  6. Exiger des ARS l’identification des structures permettant, dans leur ressort territorial, la réalisation d’IVG tardives et un appui renforcé à la formation des professionnels et à l’équipement des établissements dans les territoires en étant dépourvus
  7. Demander à la HAS de mettre à jour ses recommandations de bonnes pratiques relatives à l’IVG pour tenir compte de la dernière extension du délai légal
  8. Faciliter la réalisation d’IVG médicamenteuse en téléconsultation dans le cadre de la prise en charge hospitalière
  9. Finaliser la mise en place des répertoires régionaux et favoriser leur actualisation en permettant aux ARS de prendre connaissance des conventions conclues entre les établissements de santé et les professionnels exerçant en ville
  10. Conduire régulièrement des campagnes de communication grand public sur les modalités d’accès à l’IVG, sensibilisant les patientes au risque de désinformation en ligne

[2] ECLJ, Elles ont avorté et témoignent

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