Lois des début et fin de vie : que devient la médecine ?

Publié le 26 Mai, 2025

Quatorze ans après le vote d’une loi portant sur le dépistage prénatal, nos parlementaires légifèrent sur un texte qui validera le suicide assisté ou la mort administrée. Dans les deux cas, au terme de vifs débats et nombreuses polémiques.

Le sujet, ici, n’est pas de discuter des situations humaines et médicales particulièrement délicates et éprouvantes, souvent dramatiques : futurs parents confrontés à un diagnostic de handicap décelé chez leur bébé à venir, ou patient en fin de vie réclamant une euthanasie… On peut cependant tenter d’établir des comparaisons entre deux contextes juridiques apparemment différents mais qui ont en commun l’interruption de la vie et, surtout, appréhender leur retentissement possible sur notre pratique et notre conception de la médecine.

Dépistage prénatal et eugénisme : les contorsions du droit

Les rédacteurs de la loi dite bioéthique du 7 juillet 2011 relative au dépistage prénatal (al. 4, art.20) ont eu manifestement de grandes difficultés pour ne pas être en contradiction avec l’article 16-4 du Code civil qui condamne sans ambiguïté l’eugénisme : « Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ». En effet, dans leur habillage juridique de l’arrêté ministériel de 2009 qui en est le support — et qui recommandait la mise en place de manière systématique d’un test combiné précoce (mesure échographique de la clarté nucale fœtale et dosage de marqueurs sériques maternels) pour dépister la trisomie 21 (T21) nommément citée —, ils ont utilisé des périphrases tout en soulignant l’obligation d’une information de qualité de toute patiente sur « la possibilité de recourir à sa demande à des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la grossesse ».

Hypocrisie évidente d’un texte car il n’existe pas d’autre anomalie chromosomique viable que la trisomie 21 spécifiquement dépistée grâce à un calcul de risque conjuguant « des examens de biologie médicale et d’imagerie ».

Une « maladie viable » devenue « mortelle »

Au terme de l’information normalement due aux futurs parents, une même question est posée systématiquement par le médecin ou la sage-femme lors de la première échographie : Souhaitez-vous réaliser le dépistage de la trisomie 21 ? Ainsi, dans notre société soucieuse de normativité et de performance, poser une telle question revient à susciter de manière quasi systématique la prescription puis enclencher une série d’examens qui aboutiront à l’interruption dite « médicale » de grossesse dans la presque totalité des cas de fœtus diagnostiqués porteurs de la trisomie 21 (96%) (cf. Dépistage et diagnostic prénatal : les techniques évoluent, la trisomie 21 est toujours ciblée). Nous avons donc fait d’une maladie viable une maladie mortelle et tout début de grossesse est ainsi associé à l’hypothèse de son interruption si le fœtus ne franchit pas avec succès une batterie de tests prouvant, entre autres, la normalité de son statut chromosomique.

« Droit à l’aide à mourir » : une nouvelle hypocrisie

Le texte de loi soumis aux députés cette semaine exclut à dessein les termes de suicide assisté et euthanasie. Peut-on être réellement dupe ? (cf. Double peine pour le délit d’entrave, absence de délit d’incitation : les députés concluent l’examen de la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir »)

Par ailleurs une aide implique l’intervention d’un tiers, le médecin. Le législateur a tenté « dédouaner » ce dernier dans l’injection du produit létal. Il lui suffirait de se contenter de faire la prescription et le malade se l’autoadministrerait sauf si ce dernier « n’est pas en mesure physiquement » de le faire. Existe-t-il un acte humain sans nécessité d’une intention initiale, consciente ou non ? Peut-on dissocier l’acte de prescription d’un médicament de celui de son administration, que ce dernier soit réalisé par un tiers ou le patient lui-même ? L’intention initiale rejoint l’objectif final qui est bien la mort du patient. Le médecin prescripteur ne peut pas nier sa responsabilité ou la juger diluée. Il ne peut pas jouer non plus à Ponce Pilate.

Une nouvelle fois encore, hypocrisie d’un texte qui exigerait aussi du médecin un comportement schizophrène.

Malgré de supposés garde-fous, une fois votée, cette loi subira à l’instar de la loi Veil d’autres élargissements juridiques futurs et sera source de dérives comme on les observe depuis plusieurs années en Suisse, Belgique, aux Pays-Bas ainsi qu’au Canada (cf. Canada : le groupe à l’origine de la dépénalisation de l’« aide à mourir » désormais inquiet).

Retour des morticoles ?

Ce vocable est emprunté au roman éponyme de Léon Daudet (1867‒1942). Après avoir échoué au concours de l’internat, l’auteur se consacrera à l’écriture et deviendra un virulent polémiste, homme politique et antisémite notoire. Son roman oublié, Les morticoles, publié en 1894, est une fable satirique construite sur la trame des Voyages de Gulliver. Daudet y brocarde un monde médical (celui de son époque) où dominent les sentiments de toute puissance, cynisme, fausse compassion ou absence d’empathie, hypocrisie, inhumanité…

N’exagérons pas ! Il n’y a pas de parallélisme possible même si, au début du XXe siècle, des médecins ont adhéré aux thèses eugénistes et, un peu plus tard, sans scrupule au programme hitlérien de la mort miséricordieuse. Notre société médicale actuelle n’a strictement rien à voir avec celle décriée par Daudet. Mais nous sommes en droit de nous demander si, à terme, la conséquence de ces deux lois est de nous faire admettre qu’un geste d’interruption de vie est assimilable à un geste d’humanité. Car nous savons que toute loi finit en général par ancrer et banaliser ses impératifs dans les esprits et notre subconscient avec la conséquence ultime de créer une confusion entre loi et morale. Le risque est bien celui d’une abrasion de nos consciences.

Une société mortifère ?

Disons-le sans ambiguïté, ces deux lois nous font pleinement entrer dans une culture de la mort car, sur elles, planent l’ombre de l’eugénisme et de l’euthanasie. Certes ces derniers ne sont pas voulus par le législateur au sens violent des termes mais il s’agit bien de l’orientation prise par notre société. Que valent désormais la vie handicapée et la vie diminuée ? Quel regard notre société porte-t-elle sur elles ? Comment considérons-nous notre propre métier de médecin puisqu’il nous est demandé d’être les agents principaux et essentiels des interruptions de la vie à ses deux extrémités ?

Notre société décide de privilégier une culture évidente de la mort quand le système de soins finance près de 700 000 tests de dépistage par an mais aucun projet public de recherche thérapeutique de la trisomie 21 ; quand la sécurité sociale rembourse les IVG sans limite de quota chez une même patiente mais aucun programme public pour leur prévention ; quand le Parlement accepte un amendement sur le délit d’entrave au suicide assisté mais non sur celui relatif à son éventuelle incitation par autrui ; quand il vote la loi sur l’aide à mourir en se cachant derrière le paravent des  soins palliatifs qui attendent depuis vingt ans de voir leur accès rendu effectif…

Georges Canguilhem, à la fois médecin et grand philosophe, qualifiait la médecine de vitaliste par essence. Hippocrate écrivait dans son fameux serment : Je ferai tout pour soulager les souffrances… Je ne provoquerai jamais la mort délibérément, termes repris presque mot pour mot vingt-cinq siècles plus tard dans notre Code de déontologie médicale (art.38).

Ce paragraphe n’est-il pourtant pas complètement remis en cause par ces deux lois encadrant les début et fin de vie ? Elles engagent en effet gravement l’avenir de notre profession.

Photo : iStock

Patrick Leblanc

Patrick Leblanc

Expert

Le docteur Patrick Leblanc est gynécologue obstétricien à Béziers. Depuis 2011 il coordonne le Comité pour Sauver la médecine prénatale, qui regroupe plus d’un millier de professionnels de la grossesse (gynécologues et obstétriciens, sages femmes, généticiens…).Ce Comité s’est créé en 2010 afin que le corps médical puisse prendre la parole sur le sujet du diagnostic prénatal qui impacte structurellement les métiers de la grossesse. Le dépistage précoce et systématique de certaines pathologies, ainsi qu’une responsabilité accrue des professionnels de la grossesse conduisent à poser des questions éthiques importantes quant à l’avenir de la médecine mais aussi de la société. Au nom de ce comité, le Docteur Patrick Leblanc alerte sur l’évolution eugénique de la médecine prénatale en France et dans le monde.

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