« Le débat n’a pas eu lieu avec les ministres en commission, il doit pouvoir avoir lieu en séance. » La séance publique s’ouvre par un rappel au règlement en ce troisième jour d’examen du projet de loi de bioéthique. Patrick Hetzel regrette l’absence des ministres pleins, une nouvelle fois. Ni Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, ni Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ni Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ne sont présents à l’ouverture de la séance. C’est le secrétaire d’Etat auprès du ministre des Solidarités et de la Santé en charge de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, qui représente le gouvernement. Et, à nouveau, plusieurs rappels au règlement émailleront la séance. Emmanuelle Ménard (non inscrite), Patrick Hetzel (LR), ou encore Xavier Breton (LR) s’insurgent : alors que le temps législatif programmé ne permet pas de prendre le temps de défendre chaque amendement oralement, le rapporteur et le ministre, qui n’y sont pas soumis, n’apportent pas toujours de réponse. « Une manière de procéder scandaleuse » pour Patrick Hetzel (LR).
Contre l’avis « personnel » du rapporteur, rejet de la ROPA et de la PMA post-mortem
L’examen de l’article 1 se poursuit avec le dépôt d’amendements visant à autoriser la ROPA, la « réception d’ovocyte de la partenaire ». Les défenseurs de cette pratique avancent des arguments pour le moins déroutants. Ils estiment en effet que le don dirigé de gamètes existe déjà pour les couples homme-femme. Alors pourquoi le refuser pour un couple de femmes ? « Un homme ne donne pas d’ovocyte à sa femme ! » s’exclame Thibault Bazin (LR). De plus, il s’agirait aussi de limiter la pénurie de gamètes.
Pour le gouvernement il est important de rappeler un « principe fondamental » de la médecine. « Que ne soit pas pratiqué d’acte médical non nécessaire, non justifié ». Et dans le cadre de la ROPA la stimulation ovarienne ne l’est pas. Adrien Taquet en énumère les risques : « thrombose veineuse, embolie pulmonaire, hémorragie interne post-ponction, douleurs pelviennes sévères, insuffisance rénale ». « Le rapport bénéfice-risque de cette pratique est négatif » selon le secrétaire d’Etat. L’autoriser reviendrait à « forcer la main de l’équipe médicale ». Les députés ne l’ont pas souhaité, les amendements sont rejetés. Celui déposé plus tard par le gouvernement pour interdire la ROPA sera, lui, adopté.
Sur la PMA post-mortem, le rapporteur du projet de loi et député LREM Jean-Louis Touraine y préfère le terme d’« AMP de volonté survivante », des arguments de « cohérence » sont avancés. Pour les députés qui l’invoquent, il semble illogique d’interdire la PMA post-mortem quand la veuve pourrait recourir à la PMA en tant que femme seule. Et que les gamètes de son conjoint, voire les embryons qui auront été fabriqués, pourront être donnés à un autre couple. Ainsi, Charles de Courson (Union des démocrates, radicaux et libéraux) soumet un amendement qui voudrait ne l’autoriser que dans le cas où des embryons existent déjà au moment du décès du conjoint. Mais « un enfant est un sujet objecte Annie Genevard (LR), pas un objet de réparation. » La PMA post-mortem est rejetée par les députés.
La « PMA pour toutes » est votée et sera prise en charge par l’assurance maladie
Contrairement à la pratique en vigueur, le double don de gamètes sera autorisé. Des enfants pourront naître de PMA sans aucun lien génétique avec leurs parents, ou leur mère, si c’est une femme seule qui y a eu recours. Les tentatives visant à limiter le nombre d’embryons fabriqués pendant la procédure de PMA échoueront. Bien que Xavier Breton (LR) ait fait valoir les progrès notables dans le champ de la conservation des gamètes et l’« appétit de la recherche » que suscitent ces embryons surnuméraires. « On ne peut pas réduire l’embryon à un matériau pour la recherche » affirme-t-il. Mais ni ses arguments, ni ceux de Bernard Perrut (LR) qui explique que la recherche sur les cellules souches embryonnaires n’a donné aucun résultat probant, contrairement à celle menée sur les cellules souches adultes, ne seront entendus. Les embryons surnuméraires pourront encore être livrés aux chercheurs.
Revenant une fois de plus sur les propositions du Sénat, la prise en charge de la PMA par l’assurance maladie est votée. Les amendements soumis afin de la conditionner à un motif médical sont tous rejetés. Ainsi, il incombera à la « solidarité nationale » de financer la PMA quelle que soit la situation de la femme ou du couple souhaitant y recourir. Un dévoiement des missions de la sécurité sociale pour Thibault Bazin (LR).
Avant de clore l’examen de l’article 1 du projet de loi, la question du diagnostic préimplantatoire (DPI) est abordée, à l’occasion d’amendements soumis pour rejeter le terme de « qualité » appliqué à l’embryon. Julien Aubert (LR) interroge directement le rapporteur : « est-ce qu’un embryon porteur de trisomie 21 a un problème de qualité selon vous ? » Après avoir affirmé que la « qualité » de l’embryon est faite d’un ensemble de caractéristiques, y compris génétiques, Jean-Louis Touraine (LREM) se retranchera derrière les propos d’Olivier Véran qui se veulent rassurants. « Il ne s’agit que d’examen morphologique », pas de diagnostic génétique. Le terme de « qualité » est conservé, et la porte reste ouverte pour le DPI-A[1].
L’examen de l’article 2 débute au pas de course
Après le vote de l’article 1, et de sa mesure « phare », tout juste avant minuit, le rythme s’accélère et les amendements s’enchaînent rapidement. Sans débat. Temps législatif programmé oblige. Avant de clore la séance les députés auront cependant voté l’auto-conservation des gamètes sans motif médical. L’âge à partir duquel cette disposition est autorisée sera fixé par décret, après avis de l’Agence de la biomédecine. Et pour donner ses gamètes, nul besoin ne sera d’avoir déjà procréé ou recueilli le consentement de son conjoint.
Thibault Bazin (LR) aura bien tenté d’interroger : « est-ce dans l’intérêt des femmes ? » ou l’intérêt est-il d’ordre économique ? Pour Blandine Brocard (LREM), c’est à la société de permettre à une femme de travailler et d’être mère, « pas à la technologie scientifique ». A nouveau des questions précises sont posées, mais les réponses restent en suspens.
Au terme de cette troisième journée de débat, le vote de l’article 1 consacre l’accès à la PMA pour toute femme, indépendamment de toute considération médicale. Et la sécurité sociale financera ces « projets parentaux ». Le projet de loi compte encore 33 articles à examiner quand, à ce stade, seulement deux jours supplémentaires de débat sont programmés. Les députés accorderont-ils autant d’attention à la question des chimères, à la recherche sur l’embryon ou à l’extension du diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies ? Le temps législatif programmé leur en laissera-t-il seulement la possibilité ?
[1] Diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies, c’est-à-dire des anomalies du nombre de chromosomes