L’obligation des Etats de prévenir le recours à l’avortement

Publié le 25 Juin, 2017
A l’occasion du séminaire européen, qui s’est tenu à Bruxelles à la COMECE[1] le 22 juin dernier sur « La prévention de l’avortement en Europe », Grégor Puppinck, docteur en droit et Directeur du Centre Européen pour le Droit et la Justice (ECLJ-Strasbourg), a rappelé qu’il était du devoir des Etats de prévenir l’avortement et d’en réduire le recours.

 

À ce jour, on estime à plus d’un milliard le nombre d’avortements réalisés dans les pays qui disposent de données statistiques. Chaque année, l’avortement met un terme à un tiers des grossesses européennes, avec 4,5 millions d’avortements contre 8,5 millions de naissances dans les pays du Conseil de l’Europe. Au regard de l’ampleur du phénomène, de ses causes et de ses conséquences, notamment démographiques, l’avortement est un problème social de santé publique majeur auquel la société peut et doit répondre par une politique de prévention.

 

Il faut d’emblée souligner que la cause première de l’avortement n’est pas la grossesse, mais le contexte dans lequel elle survient. Une femme avorte non pas à cause de la grossesse – qui n’est qu’un facteur déclencheur, mais en raison des circonstances particulières, et la même femme, placée dans d’autres circonstances, n’aurait pas nécessairement recours à l’avortement. L’avortement est donc largement le résultat d’un ensemble de circonstances dont la société est en partie responsable.

 

En effet, 75 % des femmes qui ont avorté indiquent y avoir été poussées par des contraintes sociales ou économiques[2]. Ce constat met en doute l’existence et l’efficacité des politiques de prévention de l’avortement, qui devraient en principe chercher à répondre de manière adéquate aux causes de ce phénomène.

 

La prévention de l’avortement, un engagement des Etats

 

Les gouvernements ont l’obligation juridique de prévenir le recours à l’avortement, sur la base notamment de leurs obligations générales de protéger la famille, la maternité et la vie humaine.

 

S’agissant de la protection de la famille, les Etats ont pris l’engagement international de garantir le « droit de se marier et de fonder une famille », lequel implique « la possibilité de procréer ». Ils se sont engagés à accorder une « protection et une assistance aussi larges que possible à la famille », « aussi longtemps qu’elle a la responsabilité de l’entretien et de l’éducation d’enfants à charge ». L’Etat a donc l’obligation de porter assistance aux femmes et aux couples qui ne se sentent pas capables d’accueillir un enfant.

 

Les Etats ont aussi pris l’engagement de protéger la maternité, avant comme après la naissance. Ainsi, par exemple, en ratifiant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les États reconnaissent qu’une « protection spéciale doit être accordée aux mères pendant une période de temps raisonnable avant et après la naissance des enfants »[3].

 

De façon plus précise, les Etats ont pris l’engagement de réduire le recours à l’avortement. Ainsi, lors de la Conférence internationale sur la population et le développement de 1994, dite Conférence du Caire[4], les gouvernements se sont engagés, je cite, à « réduire le recours à l’avortement » et à « prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l’avortement ». Le Conseil de l’Europe a également invité les Etats européens « à promouvoir une attitude plus favorable à la famille dans les campagnes d’information publiques et à fournir des conseils et un soutien concret pour aider les femmes qui demandent un avortement en raison de pressions familiales ou financières » (APCE, 2008).

 

Une politique de prévention de l’avortement doit répondre aux causes sociales et économiques par lesquelles une grossesse en vient à être dite « non désirée » : immaturité affective, fragilité des familles, précarité économique, exigüité du logement, difficultés et contraintes professionnelles, etc. Or, à la plupart de ces causes devraient, en principe, répondre les différents « droits sociaux » que les Etats se sont engagés à garantir. Ainsi, la Charte sociale européenne et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels garantissent notamment le droit au logement, la protection de la famille, la protection de la maternité, la protection de la vie avant la naissance ou encore la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, etc.

 

L’avortement n’est pas une fatalité ; de nombreux pays sont parvenus à en réduire le recours par des politiques de prévention

 

En Italie par exemple, le nombre d’avortements a chuté de 56 % entre 1982 et 2013, atteignant 102 000, soit moitié moins qu’en France pour une population à peine moindre. Les taux d’avortement et de contraception y sont parmi les plus faibles d’Europe. Aux États-Unis, le taux de grossesse adolescente a été réduit de moitié entre 1990 et 2010 grâce à une campagne visant à la responsabilisation et à la valorisation de la sexualité et de la vie humaines. Le nombre d’élèves de terminale se déclarant abstinents a doublé, passant de 33 % à 66 %, provoquant une réduction des deux tiers des avortements chez les jeunes, un recul des maladies sexuellement transmissibles et une amélioration de leur équilibre affectif et psychologique.

 

De nombreuses mesures concrètes de prévention méritent ainsi d’être mises en œuvre, visant en particulier à mieux éduquer les jeunes, à aider les femmes et à responsabiliser les pères. L’éducation sexuelle et la contraception ont longtemps été présentées comme les meilleurs moyen de prévenir l’avortement. Pourtant, dans les pays qui ont généralisé la contraception et l’éducation sexuelle dès l’école primaire, le nombre d’avortements ne baisse pas, en particulier chez les mineures. D’ailleurs, le but de la contraception n’a jamais été de prévenir l’avortement, mais de réduire la fertilité des femmes et la croissance démographique.

 

Dans les pays, comme le Royaume Uni, la Belgique ou la France, où le recours à la contraception a été le plus généralisé, le nombre d’avortements n’a pas baissé car les femmes recourent plus souvent à l’IVG en cas de grossesse non prévue. Alors que quatre grossesses non prévues sur dix (41%) se terminaient par une IVG en 1975, c’est le cas de six sur dix aujourd’hui (62%). C’est le résultat de la « mentalité contraceptive ». A cet égard, il est frappant que 72 % des femmes qui avortent en France utilisent un moyen de contraception, selon l’Inspection générale des affaires sociale.

 

Le droit de ne pas avorter

 

Il est donc urgent de réfléchir à une véritable prévention de l’avortement, pour réduire celui-ci notamment chez les jeunes, pour que les femmes n’y soient plus contraintes par leur situation économique ou sociale. Cette politique de prévention doit être renouvelée jusque dans ses prémisses et être élargie : comme toute véritable prévention, elle doit être fondée sur un progrès de la responsabilité personnelle.

La prévention passe d’abord par une meilleure éducation sexuelle et affective, mais aussi physiologique, qui informe en vérité sur le cycle féminin et le développement de l’enfant, sur la dimension relationnelle de la sexualité, ainsi que sur la réalité concrète de l’avortement et de ses conséquences. Cette éducation aiderait les jeunes, les femmes et les couples à agir de façon plus responsable et plus humaine.

 

Avant même l’obligation de prévenir et réduire le recours à l’avortement, il existe pour toute femme un « droit de ne pas avorter » dont la garantie doit être assurée par la prévention non seulement des comportements sexuels irresponsables et des « grossesses non désirées » qu’ils engendrent mais aussi de l’avortement lorsque la femme est déjà enceinte. Cette politique implique non seulement une éducation adéquate mais aussi une lutte déterminée contre les avortements contraints et forcés. Si l’éducation peut considérablement contribuer à la prévention lorsque la grossesse ou l’avortement sont causés par l’immaturité, l’ignorance ou l’irresponsabilité, il est des causes contre lesquelles l’éducation reste largement impuissante : lorsque la femme est forcée ou contrainte d’avorter. Certes, l’avortement « forcé » est pénalement prohibé dans la plupart des pays européens ; l’avortement « forcé » est même qualifié de crime contre l’humanité depuis les procès de Nuremberg. Mais qu’en est-il des avortements « contraints » ? La différence entre la force et la contrainte est ténue, ce n’est qu’une différence de degré. Or, la décision d’avorter résulte bien souvent d’une contrainte qui peut prendre diverses formes : il y a les contraintes et pressions sociales et médicales, les pressions et l’irresponsabilité du père, les pressions exercées par la famille, en particulier sur les filles mineures ; il y a encore les pressions de l’employeur et toutes les pressions matérielles (chômage, logement, finances). Ces contraintes s’exercent directement sur la liberté des femmes et des couples ; elles entravent le « droit fondamental » des femmes, reconnu à la Conférence de Pékin, « d’être maîtresses de leur sexualité, y compris leur santé en matière de sexualité et de procréation, sans aucune contrainte, discrimination ou violence, et de prendre librement et de manière responsable des décisions dans ce domaine »[5]. De même, ces contraintes s’opposent à l’invitation faite aux Etats par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « à respecter la liberté du choix de la femme et à offrir les conditions d’un choix libre et éclairé, sans promouvoir particulièrement l’avortement »[6].

 

Les droits sociaux des femmes au cœur de la prévention de l’avortement

 

Il est possible de se fonder sur le droit international des droits de l’homme et sur les droits sociaux pour bâtir une politique plus ambitieuse de prévention de l’avortement. En effet, à chaque fois qu’une femme ou un couple avorte pour un motif économique ou social, ce sont ses droits sociaux et fondamentaux, qui sont violés. Plus encore, c’est une violence. La société ne peut pas se contenter de proposer l’avortement comme réponse aux difficultés des femmes et des familles.

 

Affirmer, comme une vérité officielle, que l’avortement est une liberté individuelle est un aveuglement idéologique qui écarte la question de ses causes réelles et conduit finalement à culpabiliser la femme, puisque cette violence résulterait de sa seule volonté, de sa seule liberté. Si l’avortement n’est qu’une liberté, un choix individuel, alors la femme est pleinement responsable. C’est la laisser seule face à une violence : coupable et victime à la fois, dans une situation psychologique inextricable, alors que cette violence est largement générée, structurellement, par la société. Il ne faut pas s’étonner que l’avortement provoque tant de troubles psychologiques, de dépressions et d’idées suicidaires, en particulier chez les jeunes.

 

C’est donc d’abord à la société qu’il appartient de prévenir l’avortement, comme les Etats s’y sont formellement engagés, notamment lors de la Conférence du Caire. Certains y parviennent, et il faut prendre exemple sur eux. C’est l’objet de ce séminaire d’étudier ensemble les conditions d’une telle politique de prévention de l’avortement en Europe afin de servir d’inspiration aux politiques nationales.

 

 

 

Pour aller plus loin :

Droits et prévention de l’avortement en Europe sous la direction de Grégor Puppinck, LEH Editions.

 

[1] La Commission des Episcopats de la Communauté européenne.

[2] Selon l’Institut Guttmacher, < http://www.guttmacher.org/pubs/fb_induced_abortion.html >.

[3] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, article 10.2.

[4] La Conférence du Caire, Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire (Egypte), 5-13 septembre 1994.

[5] Nations-Unies, Rapport de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, 4-15 septembre 1995.

[6] APCE, Résolution 1607 de 2008, §§ 7.3 et 7.8.

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Expert

Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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