« L’IA [intelligence artificielle] ne remet pas en cause la mort elle-même ; elle crée une autre manière de la “gérer”. » explique Cynthia Fleury, philosophe et professeur titulaire de la chaire Humanité et santé au Conservatoire national des arts et métiers. « Aujourd’hui, vous pouvez léguer à vos héritiers une clé algorithmique pour qu’ils continuent à discuter avec vous comme si vous étiez toujours là. Le cerveau fait encore la différence entre une image et le réel, mais demain ? Quand la réalité virtuelle atteindra une résolution proche de celle de la vision humaine et qu’il ne pourra plus faire la distinction, que se passera-t-il ? »
Malgré ses craintes, Cynthia Fleury repousse l’hypothèse d’un bouleversement civilisationnel actuel par l’apparition de l’IA : « nous avons affaire à une intelligence artificielle basse qui ne concurrence pas l’Homme sur ses spécificités : la capacité à appréhender le monde dans sa globalité et la puissance de synthèse ».
Pour autant, elle ne nie pas ses conséquences sur la vie sociale : les gens « font l’expérience de la remplaçabilité dans l’univers affectif de manière plus forte que par le passé. […] En vérité, beaucoup d’hommes et de femmes vivent aujourd’hui dans une grande solitude. L’intelligence artificielle vient combler ce déficit. Elle ne remplacera jamais l’autre. Elle ne remplace que le vide. »
Enfin, elle pointe une évolution du vivant : « La frontière entre la réparation thérapeutique et l’augmentation deviendra mouvante. […] Cette quête de l’immortalité et de la jeunesse éternelle n’est pas nouvelle. Sauf que ce n’est plus l’imaginaire qui s’empare de ces questions, mais la technologie et le marché. »
Source : Sciences et Avenir (20/06.2021) – Photo : iStock