Levée de l’anonymat des gamètes : un problème insoluble ?

Publié le 24 Oct, 2010

La proposition du projet de loi sur la bioéthique de lever l’anonymat du don de gamètes continue de diviser (cf. Synthèse de presse du 20/10/10).

Pour Charlotte Dudkiewicz, psychologue au Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme), rien ne permet de justifier cette proposition : ni le rapport de la mission parlementaire, ni les contributions des citoyens lors des Etats-Généraux de la bioéthique. “Serait-ce que le projet de loi veut répondre à la souffrance singulière exprimée par quelques individus dont on peut repérer qu’ils ont appris soit très tard, soit très mal comment ils ont été conçus, et qui croient que connaître l’identité des donneurs leur permettra de répondre à leurs questions existentielles et résoudra tous leurs problèmes ? […] C’est un leurre“. Elle estime en effet que dans les pays où l’anonymat a été levé, les enfants sont plus tenus dans l’ignorance de l’histoire de leur conception par peur des parents de voir une tierce personne s’introduire dans la vie familiale.

Xavier Mirabel, président de l’Alliance pour les Droits de la Vie, considère au contraire que “maintenir dans le secret définitif l’origine biologique d’une personne est injuste et inhumain“. Il justifie sa position par trois raisons principales :

-dans la réalité, il y a bien paternité biologique du donneur. On ne peut donc l’exonérer de sa responsabilité. “De quel droit nier la réalité de la filiation biologique“, s’interroge Xavier Mirabel face à l’affirmation répétée que la filiation n’a pas de rapport avec la biologie.

-au plan psychologique, ce déni de la paternité biologique constitue une “grave injustice” pour l’enfant, qu’on lui cache son mode de conception ou qu’on le lui révèle.

-enfin, au plan strictement sanitaire, cacher ses origines biologiques à une personne peut le priver de la capacité de prévenir et soigner à temps certaines maladies héréditaires.

Autant de raisons qui rendent “inéluctable” la levée de l’anonymat du don de gamètes. Et pourtant, cette solution elle-même reste insatisfaisante, car le problème se trouve plus haut : dans le don de gamètes lui-même. Pour Xavier Mirabel, “les gamètes, par leur potentiel, qui est de rendre parent, devraient être incessibles. Le trouble généré aujourd’hui par le débat sur la levée éventuelle de l’anonymat du don de gamètes ne fait que confirmer qu’il n’aurait pas fallu les traiter sur le même mode que les organes (sang, rein,…) dont le don ne pose pas ces problèmes éthiques“.

Elizabeth Montfort, ancien député européen, fait le même constat. Si elle reconnaît que la levée de l’anonymat du don aurait le double avantage de permettre à l’enfant de connaître ses origines et de responsabiliser le donneur, elle fait remarquer que cela n’est pas sans poser d’autres difficultés. Elle note notamment que la levée de l’anonymat “institutionnaliserait” une “pluriparentalité” et répartirait “les rôles de chaque adulte ayant un lien avec l’enfant, selon qu’il est géniteur ou père (mère) biologique, père intentionnel (mère intentionnelle) ou père social (mère sociale)…” Par ailleurs, elle s’interroge : “La révélation du secret de ses origines risque de compliquer encore plus l’enfant qui ne saura plus ‘à quel parent se vouer’. Aura-t-il gagné en sécurité affective et psychique ?” Enfin, la non rétroactivité prévue de la levée de l’anonymat du don de gamètes instaurerait une inégalité entre les enfants nés d’un don de gamètes.

Elle conclut donc : “Cette proposition qui tente de répondre à une question bien réelle montre bien qu’aucune réponse ne peut satisfaire les imbroglios nés de la procréation assistée. Si les conséquences sont si terribles, c’est que l’AMP en tant que telle pose problème. Tout ceci montre l’impossible réponse satisfaisante à la dissociation de la procréation entraînant la dissociation de la filiation, elle-même remplacée par la traçabilité”.

De son côté, Jean-Pierre Winter, psychanalyste, pense qu’il conviendrait de “se demander si la science ne travaille pas au service de nos fantasmes les plus archaïques pendant que les démocraties, soucieuses de ne pas déplaire aux faiseurs d’opinion, s’ingénient à offrir un cadre légal visant à décréter qu’il n’y pas de différence entre nos rêves et la réalité“. Il s’inquiète des dangers de cette confusion : “Si les fantasmes de l’origine viennent à dominer la scène juridique et sociale, si par exemple l’abandon sur l’ordonnance venait à être légalisé, il sera difficile d’anticiper les conséquences. Sauf sur un point non négligeable que nous enseigne la pratique de la psychanalyse : les bricolages généalogiques qui président à la conception d’un sujet le lient à une quête de son origine qui ne cesse pas d’obscurcir son avenir“.

Le Monde 23/10/10 – Liberté Politique (Elizabeth Montfort) 22/10/10 – Zenit 24/10/10

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