L’eugénisme banalisé

Publié le 6 Nov, 2007

Libération revient sur l’autorisation accordée – pour la première fois en Europe – par la Haute autorité britannique en fertilisation et embryologie humaines (HFEA) pour sélectionner un embryon non porteur de la maladie d’Alzheimer (cf. Synthèse de presse du 20/09/07).

Jusqu’il y a quelques temps, le recours au dépistage pré-implantatoire (DPI) était autorisé dans les seuls cas de maladie génétique d’une particulière gravité et incurable. Mais, depuis plusieurs mois, le recours au DPI s’étend, en Grande-Bretagne, à des maladies "dont la survenue n’est pas certaine".

Ainsi, en mai dernier, la clinique londonienne privée de Bridge Center a sélectionné des embryons non porteurs des gènes responsables du strabisme (cf. Synthèse de presse du 15/05/07). En juillet, l’hôpital public d’Eastman, a eu recours au DPI pour sélectionner des embryons qui ne présentent pas de prédisposition au cancer du sein (cf. Synthèse de presse du 25/07/07).

Avec cette autorisation, une nouvelle étape est franchie ! La maladie d’Alzheimer a en effet peu de chances de se développer avant 40 ans et, d’ici là, il est possible que des traitements soient trouvés. Il se peut par ailleurs que le gène ne soit pas transmis par les parents et que l’enfant n’ait aucune chance de développer la maladie pour lequel on l’élimine.

Selon Paul Serhal, directeur de l’unité de reproduction assistée d’Eastman, "d’autres autorisations sont sur le point d’être délivrées". Il se défend toutefois de banaliser le recours au DPI.

Mais, pour le strabisme, s’interroge Libération, "est-ce réellement une sélection sur critère médical ? (…) Le spectre de l’eugénisme, de la sélection de l’enfant parfait, est-il aux portes de ces cliniques ?". "Mais notre métier c’est de l’eugénisme !, répond Paul Serhal. Lorsqu’une femme avorte parce qu’elle apprend que son fœtus est atteint de trisomie 21, c’est aussi de l’eugénisme ! Personnellement, je préfère éliminer un amas de cellules qu’un fœtus de plusieurs semaines".

Jusqu’où aller dans l’autorisation des DPI et à qui revient la décision ? "Dès lors que nous avons un lien clair entre une mutation et une pathologie et que nous pouvons offrir un test de détection efficace, je ne vois pas pourquoi nous refuserions des demandes", répond Alan Thornhill du Bridge Center.

Pourtant, de l’hyperstimulation ovarienne à la naissance (laquelle aboutit dans 25% des cas) en passant par la fécondation in vitro, recourir au DPI n’est pas une démarche banale. De plus, elle coûte cher (jusqu’à 15 000 £ soit 21 600 €) et n’est pas totalement remboursée. "Oui, cela pose un problème évident en termes d’accessibilité. Mais la sécurité sociale réalise qu’avec le DPI elle économise sur les soins futurs et commence désormais à rembourser de plus en plus nos patients", commente Alan Thornhill.

A ce jour, les cliniques britanniques proposent de dépister une cinquantaine de maladies génétiques. Aux Etats-Unis, certains cliniques offriraient jusqu’à plusieurs centaines de tests concernant des prédispositions aux cancers, à l’obésité ou même à l’arthrose, "frôlant l’indication fantaisiste", sans compter celles qui proposent de sélectionner l’enfant selon son sexe.

En France, une trentaine de pathologies sont dépistées, notamment la mucoviscidose, la maladie de Huntington, l’hémophilie, de nombreuses altérations chromosomiques héréditaires et, plus récemment des cancers. A la question "jusqu’où peut on aller ?", Stéphane Viville, qui dirige l’un des trois centres français habilités à pratiquer le DPI, répond : "on devient limite lorsque le handicap de la famille est d’abord un handicap social et non physique ou mental. Le DPI n’est pas là pour régler un problème de société mais pour éviter un handicap sévère de qualité de vie".

[NDLR : Le DPI sélectionne les embryons "sains" pour les réimplanter dans l’utérus maternel. Aucun embryon n’est guéri par le DPI. Ceux qui sont malades sont détruits ou utilisés pour la recherche.]

Libération (Lise Barnéoud) 06/11/07

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