Samedi soir, après le vote de l’article 3, les députés ont commencé l’examen des critères pour accéder à l’« aide à mourir ».
Un débat récurrent sur la sémantique
La sémantique est réapparue dans le débat à l’article 3 (cf. Fin de vie : le poids des mots, le choc des positions). « La forme révèle le fond » pointe Christophe Bentz (Rassemblement National). Justine Gruet (Droite Républicaine) souligne que puisque l’euthanasie est redevenue l’exception avec l’adoption d’un amendement gouvernemental (cf. Les députés adoptent le « droit à l’aide à mourir » : une « trajectoire vertigineuse »), il serait plus pertinent de parler de suicide assisté. Tous ces amendements de sémantique sont, comme plus tôt dans la journée et la veille, rejetés.
La question reviendra encore à l’article 4, via, notamment, un amendement (537) d’Annie Vidal (Ensemble pour la République) défendu par sa collègue Joséphine Missoffe (Ensemble pour la République). Il vise à insérer l’adjectif « active » dans le terme « aide à mourir » : « le terme employé entretient un flou » insiste-t-elle. Le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) ironise : « Je vais commencer à faire des petits bâtons sur le nombre d’amendements sémantiques auxquels je vais apporter un avis défavorable. Je suis pour la 14e fois défavorable au même amendement ». Interpellant ces députés déterminés à employer les mots justes, il « salue leur constance », mais aussi « leur obstination déraisonnable ».
L’absence de données chiffrées
« Est-ce que vous êtes en capacité de donner à la représentation nationale et donc à l’ensemble des Français, des données d’évaluation sur le nombre de nos compatriotes qui pourraient avoir recours à l’« aide à mourir » si ce texte venait à être adopté par le Parlement dans quelques mois ? », interroge pour la troisième fois Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République). Il s’adresse à la ministre Catherine Vautrin, car sa précédente réponse ne portait que sur une pathologie donnée qui peut être prise en charge par une sédation selon un échange que le député a pu avoir avec un médecin. Cette fois-ci il ne recevra pas de réponse.
L’amendement 337 d’Océane Godard (Socialistes et apparentés) veut ensuite introduire le fait que le « droit » du patient à accéder à l’« aide à mourir » inclue le fait de « recevoir une information, délivrée sous une forme compréhensible de tous, concernant cette aide ». Pour « rassurer », elle promet d’appeler son groupe à voter l’amendement de Frédéric Valletoux (Horizons et Indépendants) qui vise à introduire un « délit d’incitation » à l’« aide à mourir ». Les promesses n’engagent-elles que ceux qui les écoutent ? Ce « délit d’incitation » avait été rejeté en Commission des Affaires sociales à laquelle appartient la députée.
Son amendement est adopté, l’article 3 également.
Des critères aux « failles majeures », « aussi bien sur le plan médical que sur le plan juridique »
Les députés passent à l’article 4. Les appels se font pressants pour que l’attention portée aux critères soit forte.
Gaëtan Dussausaye (Rassemblement national), favorable à l’« aide à mourir », appelle à la « prudence » : « Si demain et dans les prochains jours qui vont suivre, car on va rester un petit moment sur cet article 4, il y a un certain nombre de critères qui tombent ou qui sont trop profondément modifiés, cela pourra impacter le vote d’un certain nombre d’élus dans cet hémicycle. » L’objectif est clair : ne pas trop brusquer pour faire passer le texte.
Pour Hadrien Clouet (LFI-NFP), les critères seraient très « stricts », et s’apprêteraient à l’être encore plus avec un ajout inspiré du dernier avis de la HAS (cf. Pronostic vital engagé à « moyen terme », « phase avancée » d’une maladie : aucun « consensus médical » selon la HAS). Au contraire, pour Patrick Hetzel (Droite Républicaine) ces critères souffrent d’un « certain nombre de failles majeures, aussi bien sur le plan médical que sur le plan juridique ». La notion de phase « avancée ou terminale » est « scientifiquement floue » : « dans les faits, cela ouvrirait la possibilité à une large possibilité de patients chroniques ou en situation de dépendance d’y prétendre sans limitation restrictive », alerte le député.
Autre exemple de glissement « entre ce qui nous est annoncé et ce qui se passe » : la souffrance « physique ou psychologique ». En effet, cette notion introduit « une subjectivité extrême dans l’accès à une procédure létale », souligne Patrick Hetzel. « En l’état, et ce sont des psychiatres qui nous le disent, le texte pourrait conduire à autoriser le suicide assisté pour des patients atteints de maladies psychiatriques qui sont stabilisables et traitables, ce qui va évidemment à l’encontre de toute éthique de prévention du suicide. »
Une porte entrouverte aujourd’hui « qu’on ne refermera jamais »
Plusieurs amendements sont présentés afin de supprimer l’article 4. Dominique Potier (Socialistes et apparentés) évoque le « cri anti-validiste qui monte » (cf. Fin de vie : « Députés de gauche, nous vous demandons de faire barrage à cette proposition de loi, par fidélité à ce que la gauche a de plus précieux : la défense indiscutable de la solidarité et de la dignité humaine »). Thibault Bazin rappelle que plusieurs personnes auditionnées par la Commission spéciale ont indiqué que ce projet n’était qu’« une étape qui en appellerait d’autres ». Des députés ont d’ailleurs d’ores et déjà déposé des amendements pour autoriser l’euthanasie des mineurs. « C’est très inquiétant. »
Répondant à Hadrien Clouet qui s’insurge devant l’invocation de l’expérience des pays étrangers car il s’agirait de construire « un modèle français », Vincent Trébuchet (UDR) répond : « Des pays qui ont commencé avec des critères très stricts ont connu une accélération de l’ouverture de ces critères de manière inévitable », transformant la vision de la société. Ainsi, désormais, « 28% des Canadiens pensent que le fait d’être sans-abri est une condition suffisante pour bénéficier d’une aide à mourir. »
« Je vous le redis, insiste Christophe Bentz. [Les garde-fous] sauteront un à un dans le temps. La preuve : le pronostic vital engagé à court ou moyen terme a sauté dès 2024, dès la première commission. Et ce n’est qu’un exemple. C’est la théorie du pied dans la porte, poursuit-il. Si on entrouvre la porte, alors demain elle sera à moitié ouverte et après-demain elle sera entièrement ouverte. Et le pire dans tout ça c’est qu’on ne la refermera jamais. »
Les amendements de suppression sont tous rejetés.
Le refus de se confronter à la réalité
Philippe Juvin (Droite Républicaine) interpelle Catherine Vautrin sur un cas concret : celui des patients hémodialysés trois fois par semaine ou dialysés à domicile tous les soirs. Des patients qui seraient éligibles à l’« aide à mourir » selon les critères définis à ce jour. Des protestations se font entendre.
« Je me fais le porte-parole d’un certain nombre de médecins qui me soumettent ces sujets : je vous pose la question, dites-moi en quoi vous n’êtes pas convaincu avec l’exemple que je vous ai donné ! » La ministre de la Santé se défend en déclarant que ces personnes ne présentent pas de « souffrances réfractaires », et qu’elles bénéficient d’un traitement. Elle assure que la loi s’adressera seulement à celles pour qui il n’y en a pas. « Incurable ce n’est pas intraitable, incurable c’est inguérissable », rétorque Philippe Juvin. « On reçoit des traitements, mais on n’en guérit pas. » « Ne me dites pas : il prend des traitements donc il ne répond pas au critère de l’incurabilité, ça ne veut rien dire ! », s’agace l’élu.
Le gouvernement entend faire voter un amendement qui ajouterait la notion de « processus irréversible » suite à l’avis de la HAS. Là encore, l’argument ne convainc pas. « Irréversibilité et incurable, c’est pareil », affirme Philippe Juvin. « On se paye de mots. »
Patrick Hetzel apporte son soutien à son collègue : « Votre argumentation ne tient pas madame la Ministre ». Il rappelle en effet que l’alinéa 8 de l’article 4 dispose que le patient doit présenter « une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle‑ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement ». Il ne s’agit donc pas uniquement de « souffrances réfractaires », le patient peut refuser un traitement.
« Si vous ne voulez débattre qu’entre personnes favorables… »
« Ce qui m’inquiète, c’est que depuis le début de nos débats vous n’avez aucune incertitude », pointe Justine Gruet.
Alors qu’elle tente d’argumenter, l’élue regrette l’attitude de certains députés : « Je vous trouve très intolérants. Si vous ne voulez débattre qu’entre personnes favorables… » « On ne peut pas parler sans que vous nous coupiez la parole ! On vous écoute, nous ! » Devant les invectives, elle jette finalement l’éponge.
Alors que la séance s’était ouverte par un satisfecit général sur la tenue des débats, les esprits s’échauffent en fin de soirée. Le ton monte, les députés s’interpellent.
Accès aux traitements : « un filet de sécurité supplémentaire serait le bienvenu »
Plusieurs députés de la Droite Républicaine défendent ensuite des amendements visant à s’assurer qu’une personne n’accède à l’« aide à mourir » que si « l’accès aux traitements adaptés et aux soins palliatifs lui est effectivement garanti » (amendement 164 de Corentin Le Fur, amendement 249 de Josiane Corneloup, amendement 638 d’Anne-Laure Blin, amendement 1604 de Thibaut Bazin).
Philippe Juvin défend l’amendement d’Anne-Laure Blin sur le sujet. « Pour que le consentement soit libre et éclairé, il faut absolument que ne pèse aucune contrainte ». Parmi les potentielles contraintes, il peut s’agir de ne pas avoir accès au traitement nécessaire. « Cette disposition risque de devenir absolument clé dans les années à venir puisque nous assistons actuellement à une révolution dans le traitement d’un certain nombre de maladies à pronostic grave qui sont les cancers multi-métastasés qui, encore hier, étaient de pronostic extrêmement sombre à très court terme », précise Philippe Juvin. Aujourd’hui les patients « peuvent espérer vivre plusieurs années grâce aux immunothérapies », indique-t-il. Des traitements qui sont toutefois « extrêmement couteux ». « Il ne faudrait pas qu’il y ait un risque de non-accès aux traitements pour des raisons de prise en charge, et, pour ces cas-là, un filet de sécurité supplémentaire serait le bienvenu », prévient l’élu.
Brigitte Liso (Ensemble pour la République), rapportrice du texte, qui « voudrait bien qu’on ne continue pas à opposer systématiquement aide à mourir et soins palliatifs » donne un avis défavorable. Le gouvernement fait de même, au motif que ces amendements seraient satisfaits à l’article 5 qui traite de la procédure. Les amendements sont rejetés.
« Oui il y aura d’autres lois qui seront votées dans cette Assemblée nationale après nous »
Les derniers amendements examinés samedi soir concernent le critère d’âge.
Elise Leboucher (LFI-NFP) voudrait autoriser les mineurs émancipés à accéder à l’« aide à mourir », au-delà du critère d’« âge biologique » (amendement 2233). Etant donnée la gravité de la décision en jeu, le rapporteur général est défavorable à cet amendement qui inaugure une série portant sur le même thème .
Thibault Bazin rappelle quant à lui les propos de Sandrine Rousseau (Ecologiste et social) : « Aucun pays n’ayant légalisé l’aide à mourir ne l’a ouverte d’emblée aux mineurs, dont les droits ont été acquis ultérieurement. Je propose de faire de même. Je ne doute pas que nous parviendrons à ouvrir l’aide à mourir aux mineurs. » Les Pays-Bas ont autorisé l’euthanasie des moins de 12 ans, rappelle le député. « Est-ce que finalement les limites et les critères posés par cet article 4 ont vocation à évoluer irrémédiablement à partir du moment où on a ouvert la porte ? », interroge-t-il. « Il faut qu’on soit très clair », enjoint l’élu, car, dès lors, il ne s’agira bientôt plus de « quelques cas rares en phase agonique et en fin de vie ».
« Oui il y aura d’autres lois qui seront votées dans cette Assemblée nationale après nous », répond Sandrine Rousseau. Patrick Hetzel la remercie pour sa clarté qui ne cache pas la stratégie mise en œuvre. Il pointe « l’effet domino, typique des lois sociétales ». « Nous pouvons ce soir en prendre acte. »
Dans la foulée de ce premier amendement dédié à l’âge, Stella Dupont (Non inscrite), Hadrien Clouet et René Pilato (LFI-NFP), veulent autoriser l’euthanasie des mineurs, dès 16 ans. Hadrien Clouet évoque l’existence à 16 ans, d’« un certain nombre de droits à l’usage et à la propriété de son propre corps » « très proches du droit qu’on est en train d’ouvrir collectivement ici ». Louis Boyard (LFI-NFP) défend l’amendement de René Pilato, un amendement de repli qui inclut le consentement parental : « les maladies ne regardent pas l’âge et la liberté non plus » tente-t-il de faire valoir.
Les députés favorables à l’« aide à mourir » ne veulent pas aller trop loin. Pas pour le moment. Les amendements sont rejetés par les quelques députés encore présents. La séance est suspendue. L’examen du texte reprendra lundi, dès 9h.