Mardi, l’examen de la proposition de loi « relative au droit à l’aide à mourir » a repris dans l’après-midi, à l’issue des questions au gouvernement. Clairsemé au départ, l’hémicycle se remplit au fur et à mesure des débats. Samedi, il a été décidé de n’entendre que deux opinions pour et deux opinions contre à chaque discussion d’amendement. Le temps est en effet compté.
Dépression, autisme, prison : personne n’est écarté du dispositif
Jusqu’à 18h, les députés ont débattu de l’alinéa 9 de l’article 4, concernant l’aptitude du patient à manifester sa volonté de façon « libre et éclairée ». Ce sont majoritairement des amendements visant à restreindre l’accès à l’« aide à mourir » qui sont discutés : exclure les personnes souffrant d’autisme (amendement n°2580 de Philippe Juvin, Droite Républicaine), de dépression sévère (amendement n°2633 de Sophie Ricourt-Vaginay, UDR) ou encore les personnes incarcérées. Des amendements qui génèrent de vives réactions dans l’hémicycle (amendements n°2589 de Philippe Juvin, n°1010 de Gérault Verny – UDR, n°141 de Corentin le Fur – Droite Républicaine et n°1614 de Thibault Bazin – Droite Républicaine).
Tous ces amendements sont rejetés et font l’objet de fortes oppositions, en plus d’avis défavorables de la commission et du gouvernement. Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés) estime que ces propositions introduisent « une forme de discrimination » : « les personnes en situation de handicap sont des citoyens à part entière et pas des citoyens à part » (cf. « Un gros risque en plus » : exclure les personnes handicapées du dispositif légal de mort administrée est « une urgence absolue »). Il est rejoint par le rapporteur général, Olivier Falorni (Les Démocrates), sur les personnes incarcérées : « une personne incarcérée est une personne comme une autre ». La même justification est avancée à chaque fois, semblant ignorer les risques pour les plus vulnérables (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). « La balance que vous souhaitez entre autonomie et vulnérabilité, c’est justement l’équilibre de ce texte », considère le rapporteur général.
Les tentatives visant plus d’encadrement également rejetées
A défaut d’exclure des catégories de personnes vulnérables, certains députés souhaitent encadrer davantage le critère de l’aptitude à manifester sa volonté de manière libre et éclairée. Mais lorsque Thibault Bazin tente de faire préciser la notion de souffrances « insupportables », qu’il juge trop subjective, par un décret du Conseil d’Etat après avis de la HAS, certains de ses collègues, au rang desquels Océane Godard (Socialistes et apparentés), se déclarent « heurtés » de la proposition. La souffrance est personnelle et individuelle et « il y a des moments où on arrive au bout du bout » estime Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République). Au contraire Hanane Mansouri (UDR) n’hésite pas à rappeler fermement : « L’acte qui va être proposé c’est quand même la mort : on ne peut pas se permettre de se tromper sur une souffrance qui va être atténuée à un autre moment ».
En vain, puisque l’amendement sera rejeté, au même titre que l’amendement n°2335 d’Hervé de Lépinau (Rassemblement National) qui souhaite examiner le consentement du patient comme en matière contractuelle, en pouvant lui opposer les vices du consentement. Il est contredit par Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) qui affirme qu’il ne s’agit pas ici de consentement à une proposition qui est faite, mais d’expression de la volonté. Son collègue Christophe Bentz (Rassemblement National) en profite pour rappeler qu’il y a deux « anti-garde-fous » dans ce texte : « le premier est présent dans l’article 4, c’est la phase avancée ; le deuxième est l’article 17, le délit d’entrave ».
Karen Erodi (LFI-NFP) fait quant à elle une tentative pour intégrer l’« aide à mourir » dans les directives anticipées. Elle est largement rejetée et l’article 4 est adopté avec 164 voix contre 103 (cf. « Phase avancée » : l’amendement du Gouvernement « n’apporte aucun élément tangible »).
L’« aide à mourir » ne doit pas « être le symptôme d’un déficit d’accompagnement »
Les députés abordent l’article 5, sur la procédure.
Hadrien Clouet (LFI – NFP) veut s’assurer qu’une personne qui refuserait les soins palliatifs ne serait pas, pour autant, exclue de l’« aide à mourir » et qu’une personne qui aurait fait une demande avant de perdre conscience ne serait pas, pour cela, privée de ce « droit ». Son collègue René Pilato (LFI – NFP) revient sur sa demande de formation à l’« aide à mourir » (cf. « Prenez vos responsabilités ! » : le consensus sur les soins palliatifs préservé dans la douleur).
Pour Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés), l’« aide à mourir » ne doit pas « être le symptôme d’un déficit d’accompagnement ». Dans ce cadre, il demande que l’accompagnement psychologique soit plus largement proposé pour aider le patient à discerner (cf. « Droit à l’aide à mourir » : « c’est une capitulation, pas une compassion »). Anne-Laure Blin (Droite Républicaine) est également inquiète : les soins palliatifs risquent d’être désormais réservés aux personnes riches, les plus modestes n’ayant accès qu’au suicide assisté ou à l’euthanasie. Dans le même registre, Dominique Potier (Socialistes et apparentés) pointe l’essor de « courants libertariens très forts ».
Patrick Hetzel (Droite Républicaine) observe que l’acte étant irréversible, il ne devrait pas être décidé par un seul médecin. Il propose d’établir une triple vérification : dans le temps (que le patient puisse traverser sereinement cette période d’ambivalence), par un véritable collège médical (et non un seul médecin), et dans l’expression de la volonté du patient (qui devrait être réitérée à plusieurs reprises).
« Au combat, au débat, mais dans le respect ! »
Le ton montant entre les opposants et les promoteurs de l’euthanasie, plusieurs rappels au règlement se succèdent, dont l’un, demandé par Hanane Mansouri (UDR), entraîne même une suspension de séance. La députée dénonce l’attitude d’Olivier Falorni : « A chaque fois que des amendements de la gauche ou en tout cas de personnes qui sont pour son texte sont défendus, il souligne à quel point c’est formidable. Quand ce sont des personnes contre ce texte, et c’est tout à fait honorable aussi, il essaie de tourner en ridicule nos amendements ! »
Christophe Bentz appelle au calme après la suspension de séance : « Au combat, au débat, mais dans le respect ! »
L’« aide à mourir » serait-elle un soin ?
Deux débats s’ouvrent ensuite : l’un pour examiner si l’« aide à mourir » constitue un soin et l’autre pour savoir si, dans le cas où il s’agirait d’un soin, elle serait correctement référencée dans la première partie du Code de la santé publique.
Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) affirme que 75% des médecins sont favorables à l’« aide à mourir ». Ce à quoi Patrick Hetzel rétorque qu’à aucun moment dans le sondage auquel elle fait allusion les critères de l’euthanasie n’ont été évoqués. Un autre sondage fait sur un échantillon plus important de médecins (1400 contre 400) donne d’ailleurs un résultat contraire, souligne-t-il.
Philippe Juvin s’indigne de son côté de ce que certains amendements aient été suggérés par la MGEN, considérant que les mutuelles devraient davantage se préoccuper de rembourser les médicaments que de militantisme idéologique (cf. « Aide à mourir » : une mutuelle propose des amendements aux députés).
« Ce n’est plus un pied dans la porte, mais carrément la jambe entière ! »
Alexandre Allegret-Pilot (UDR) s’inquiète des tentatives de plusieurs promoteurs du texte de permettre l’euthanasie des personnes dans le coma. « Ce n’est plus un pied dans la porte, mais carrément la jambe entière ! », s’offusque-t-il. Plus tard dans la soirée Philippe Juvin reviendra sur le sujet à propos d’un amendement de Michel Lauzzana (Ensemble pour la République) : « Une des raisons pour lesquelles l’aide à mourir est créée, c’est pour éviter les situations de douleur. Or quand on est dans un état végétatif on n’a pas de douleur, donc la question ne se pose pas. » « Mais surtout, il est dit dans l’amendement de M. Lauzzana qu’on inclut les patients en état de mort cérébrale. Les patients en état de mort cérébrale, en réalité, ils sont morts. On peut appliquer l’aide à mourir à quelqu’un qui est mort mais ce n’est pas très utile… »
Nicolas Sansu (Gauche Démocrate et Républicaine) évoque lui aussi la « politique des petits pas ». Alors Olivier Falorni lui répond, grandiloquent : « Je ne suis pas dans une logique de petits pas, mais de grand pas humaniste ».
Il serait « difficile d’imaginer qu’on demande plus de papiers pour acheter un téléphone portable que pour demander la mort »
Après le dîner les députés ont retrouvé leur calme. Ils poursuivent la discussion relative à la procédure. Plusieurs amendements demandent que la volonté de mourir du patient soit manifestée par écrit. Les paroles s’envolent, les écrits restent, rappelle Philippe Juvin. Alexandre Portier (Droite Républicaine) remarque à ce propos avec un certain humour qu’il serait « difficile d’imaginer qu’on demande plus de papiers pour acheter un téléphone portable que pour demander la mort ». Philippe Juvin abonde : on signe par écrit pour une opération chirurgicale, il serait logique qu’il en aille de même pour l’« aide à mourir ».
La ministre Catherine Vautrin considère que les députés sont unanimes sur le sujet et demande une suspension de séance pour proposer un sous-amendement adapté au mieux à toutes les situations de patient (2702). Il est adopté. La demande sera « écrite ou par tout autre mode d’expression adapté à ses capacités ».
Philippe Juvin interpelle le rapporteur. En effet ce dernier a décidé de sous-amender l’amendement de Geneviève Darrieussecq (Les Démocrates), pourtant placé après ceux, sur le même sujet, de la Droite Républicaine. « Vous n’avez jamais, jamais, lâché un millimètre, sur rien, rien, tance-t-il. Y compris quand cela n’aurait absolument pas bouleversé le texte. »
« En miroir à la liberté du patient qui est tant mise en avant dans cet hémicycle, nous réclamons celle du médecin »
Patrick Hetzel défend ensuite un amendement pour que la demande soit recueillie par un médecin « volontaire ». Justine Gruet (Droite Républicaine), Annie Vidal (Ensemble pour la République) et Dominique Potier ajoutent la mention : « inscrit auprès de la commission mentionnée à l’article L. 1111‑12‑13 »[1]. Annie Vidal explique : l’objectif est d’inverser le principe de « j’émets une clause de conscience » à « je me signale comme volontaire ». « En miroir à la liberté du patient qui est tant mise en avant dans cet hémicycle, nous réclamons celle du médecin », ajoute Dominique Potier. Le rapporteur Laurent Panifous (LIOT) est défavorable, la ministre également : les amendements sont rejetés, de peu : 122 voix pour contre 137.
Gérault Verny propose ensuite que le médecin suive « régulièrement » le patient depuis au moins 6 mois (amendement n°1801). Son amendement est rejeté. Christine Pirès Beaune souhaite, elle, que les médecins retraités soient autorisés à pratiquer le geste létal (amendement n°657). « On est bien contents de trouver ces médecins quand il s’agit de prescrire, je ne vois pas pourquoi on leur interdirait de pratiquer l’aide à mourir. » Pour Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République), cet amendement a le mérite d’être clair : l’objectif est d’« élargir ». Il n’est pas adopté.
Lui au contraire veut « protéger le corps médical » contre ce geste qui n’est « pas anodin », en recommandant que les médecins aient au moins 20 ans de pratique médicale. Le député explique d’ailleurs ne pas comprendre cette volonté d’élargir : on compte déjà plus de 200 000 médecins pour pratiquer une activité qui, « si je vous comprends », restera « marginale », observe-t-il. « C’est déjà considérable. »
Thibault Bazin préconise que le médecin qui recueille la demande soit « le médecin traitant de la personne, ou bien un médecin qui suit la pathologie en cause ». L’amendement n°1619 est lui aussi rejeté.
Pas de témoins : une demande sous « secret médical »
Geneviève Darrieussecq (amendement 420) et Gérault Verny (amendement 1416) demandent ensuite que la demande soit effectuée devant témoins. Le rapporteur et la ministre sont défavorables, au nom du « secret médical ». Philippe Juvin vient en renfort de ses collègues : le secret médical est partagé avec la personne de confiance. Il évoque en outre une étude faite en réanimation qui montre que 25% des familles ne comprennent pas les propos du médecin. Les amendements sont cependant rejetés.
Suivent différents amendements des groupes Socialistes et apparentés, Ecologiste et Social, et LFI-NFP pour, une nouvelle fois, introduire la possibilité de faire des demandes via les directives anticipées ou la personne de confiance. Patrick Hetzel pointe l’enjeu éthique de ces amendements qui ignorent le fait que la volonté est fluctuante. Le rapporteur n’a pas changé d’avis, il reste défavorable aux amendements. Ils ne sont pas adoptés.
Dernier amendement discuté ce mardi : Charles de Courson (LIOT) propose de faire valider la demande par un notaire (amendement n°462), s’inspirant de la législation autrichienne. Pour Olivier Falorni, ce n’est pas au notaire de se prononcer sur le caractère libre et éclairé de la demande. Pourtant Philippe Juvin cite le cas des greffes intra-familiales où c’est bien cette procédure qui est mise en œuvre. L’amendement 462 est rejeté.
Une journée de débat supplémentaire s’achève, celle-ci a été mouvementée. A cette heure tardive, les bancs se sont un peu vidés : parler de mort des heures durant peut être éprouvant. Demain mercredi les députés reprendront leurs travaux après les questions au gouvernement. Ils sont loin d’être achevés.
[1] L’article L1111-12 du Code de la Santé publique dispose : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de directives anticipées mentionnées à l’article L. 1111-11, il recueille le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches. »