L’enfant in utero, dont le père décède d’un accident avant sa naissance, souffrira toute sa vie de l’absence définitive de son père : la jurisprudence incarnée et salutaire de la Cour de Cassation

Publié le 25 Fév, 2021

Le 10 novembre 2020[1], la Cour de Cassation a confirmé l’analyse juridique formée en 2017 : l’enfant simplement conçu qui perd avant sa naissance son père dans un accident, souffrira toute sa vie de son absence définitive. Même s’il n’était pas né au moment du décès, il subit des dommages notamment psychiques et psychologiques[2]. Il peut donc voir son préjudice moral réparé sur la base du pretium doloris (ou pretium affectionis) [3].

Cette décision a été rendue grâce à l’existence de l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de comodo ejus agitur” : l’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage”. Ce qui permet, dans certains cas et dans l’intérêt de l’enfant exclusivement, de lui reconnaître une personnalité juridique dès sa conception. Cette règle est notamment utilisée pour admettre, dans les héritiers, un enfant simplement conçu au moment de l’ouverture de la succession, en le reconnaissant comme déjà existant (article 725 du Code Civil).

Mais le point saillant de cette décision n’est pas tant cette reconnaissance d’une personnalité juridique anticipée que l’affirmation qu’un enfant qui n’a jamais connu son père, souffrira pourtant toute sa vie de son absence définitive.

Cette jurisprudence de la Cour de Cassation, qui confirme aussi bien en 2017 qu’en 2020 les décisions rendues par les juridictions du fond, ne constitue pas une abstraction juridique : elle est faite de « chair et d’os » car les juridictions ont, au vu des pièces des dossiers qui leur ont été transmises, constaté que les enfants concernés souffraient effectivement de l’absence de leur père quand bien même ils ne l’avaient jamais connu.

Ces décisions qui apprécient in concreto la situation et l’intérêt de l’enfant mettent en relief la négation du réel et l’injustice pour les enfants découlant des dispositions relatives à la PMA envisagées dans le projet de loi de bioéthique.

Négation du réel : l’esprit du projet de loi est de créer une filiation d’intention qui légitime la conception et la naissance d’un enfant en même temps qu’elle est proclamée comme suffisante pour l’enfant. Ainsi, selon les promoteurs du projet de loi, l’enfant né d’une PMA au profit d’une femme seule ou d’un couple de femmes sera nécessairement satisfait de la filiation d’intention (dans le cas d’un couple de femmes) ou de la filiation unique (dans le cas d’une femme seule) qui lui aura été imposée puisqu’il est le fruit de cette intention. Et il ne souffrira pas de l’absence de père puisque l’homme qui aura fourni ses spermatozoïdes n’avait pas l’intention d’être son père.

On le voit bien, par contraste avec les décisions citées ci-dessus, il s’agit d’une fiction au profit des intérêts des adultes, mais qui ne tient pas compte de l’enfant pour qui l’intention des auteurs de ses jours est indifférente. Dans les dossiers de décès accidentel du père avant la naissance, les magistrats n’ont pas examiné si le père avait, lors de la conception, eu l’intention d’avoir un enfant. D’ailleurs dans l’arrêt du 10 novembre 2020, les parents n’étaient pas mariés et il ne semble pas que les magistrats aient conditionné l’appréciation des faits à l’existence d’une reconnaissance prénatale qui aurait prouvé l’intention du défunt d’établir un lien de filiation avec l’enfant. Même si l’enfant est « un bébé surprise » ou s’il doit l’intention de sa conception à sa mère désirant un enfant malgré un conjoint réticent, l’enfant va objectivement souffrir toute sa vie de l’absence de son père.

L’on voit bien toute l’inanité et l’indigence des arguments du type « Les enfants conçus et nés dans le cadre d’une PMA sans père n’en souffriront pas puisque qu’ils ne savent pas ce que c’est qu’un père ». L’enfant né après le décès accidentel de son père ne sait pas ce que c’est d’avoir un père. Et pourtant sa souffrance est constatée par des expertises et indemnisée par les tribunaux.

Injustice pour les enfants : Si le projet de loi est adopté, il créerait une nouvelle rupture d’égalité entre les enfants puisque certains d’entre eux auraient le droit de voir reconnue et indemnisée la souffrance résultant de l’absence définitive de leur père auprès d’eux tandis que les autres auraient l’interdiction de faire valoir une quelconque douleur morale et d’en demander réparation. Le seul fondement de cette inégalité serait que dans un cas, la privation de père n’était pas voulue par la mère ni organisée par la loi, elle résulte du fait dommageable d’un tiers. Alors que dans l’autre cas elle est organisée par la mère et autorisée par la loi. Mais pourtant la souffrance de l’enfant est objective, elle existe en soi !

Cela ne trouble pas les prises de position idéologiques des parlementaires qui s’autorisent à aller toujours plus loin dans la négation de la souffrance de l’enfant, comme ils l’ont fait par exemple pour justifier le vote inattendu au Sénat le 2 février 2021 d’un amendement autorisant la PMA post-mortem. Dans le débat précédant le vote, les parlementaires ont brandi des arguments niant l’expérience et la douleur de millions de personnes. Ainsi ce sénateur qui a cru bon de soutenir que des enfants étaient nés pendant la 1ère guerre mondiale, leur père étant mort alors que leur mère en était au tout début de sa grossesse et que « ce n’était pas si traumatisant », ou cet autre qui a allégué que naître d’un père décédé « faisait partie des aléas de la vie »[4].

Or, comme l’a rappelé le sénateur Philippe Bas, « Il est évidemment malheureux d’être orphelin, même si cela n’empêche pas de s’épanouir dans la vie. (…) Mais quand on est orphelin, on a une faille au fond de soi-même ». La Cour de Cassation a l’immense mérite de le dire encore une fois par sa décision du 10 novembre 2020.

[1] https://www.actu-juridique.fr/civil/personnes-famille/accident-mortel-du-pere-et-prejudice-moral-pour-lenfant-ne-seulement-apres-le-deces/

[2] Cass. Civ. 2e, 14 décembre 2017, n°16-26.687

[3] CAA Nantes, 7 juin 2017, n°16NT01005 ; Cass. Civ. 2e, 14 décembre 2017, n°16-26.687

[4] http://www.senat.fr/seances/s202102/s20210202/s20210202.pdf

Olivia Sarton

Olivia Sarton

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Avocat de formation, elle a exercé près d’une quinzaine d’années au barreau de Paris. Elle a rejoint Juristes pour l’enfance à l’automne 2019, en qualité de Directrice scientifique.

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