Selon les travaux d’Emmanuel Farge, (UMR 168, CNRS/institut Curie) récemment publiés dans la revue Current Biology, certains gènes du développement de la mouche drosophile sont mécano-sensibles. Au cours de son développement, tout embryon subit des déformations mécaniques qui définissent la forme physique que va prendre l’organisme adulte. Ces mouvements sont aujourd’hui bien connus pour être contrôlés par l’expression de certains gènes dits « du développement ».
La question totalement nouvelle et résolue par ces travaux est la suivante : les changements de forme physique actifs de l’embryon sont-ils en retour, susceptibles de moduler l’expression des gènes du développement, par le biais des contraintes mécaniques générées par ces mouvements ?
Ces travaux montrent que 5 gènes du développement précoce de la drosophile sont mécano-sensibles, c’est à dire qu’il est possible de modifier profondément le modèle d’expression de ces gènes en réponse à une déformation mécanique uni-axiale appliquée à l’embryon tout entier. L’un de ces gènes, Twist, codant pour la formation du tube gastrique antérieur, est normalement exprimé uniquement dans la partie ventrale de l’embryon. Or on le trouve exprimé de façon homogène tout autour de l’embryon en réponse à la déformation mécanique.
La formation du tube gastrique antérieur pourrait bien être induite mécaniquement par un mouvement morphogénétique naturel de l’embryogenèse. La forme physique de l’embryon est donc susceptible d’être, par elle même, un signal inducteur de l’expression de gènes codant pour le développement de morphologies physiques appartenant aux étapes suivantes du développement, au cours du processus naturel de l’embryogenèse.
Les implications de ces travaux
L’induction mécanique de l’expression de gènes du développement en réponse au mouvement artificiel qui est appliqué à l’embryon montre que même le programme génétique du développement est extrêmement plastique, lorsque l’embryon échange avec l’extérieur. Il n’y a donc pas de déterminisme génétique absolu. Le système est potentiellement plastique, même aux premières heures de son développement, à condition qu’il ne soit pas isolé, et qu’il échange avec l’extérieur.
Reprogrammer l’embryon ?
Ces travaux ont démontré pour la première fois qu’on peut reprogrammer un embryon, changer l’expression de son programme génétique, par un changement de sa forme physique. Au stade de développement étudié, l’embryon de drosophile partage de nombreuses similitudes avec celui de vertébrés comme la grenouille ou le poisson et certains des gènes architectes présents chez la mouche, se retrouvent dans tout le règne animal.
D’autres études, sur d’autres espèces, doivent désormais vérifier si ce mécanisme est universel ou propre à certains invertébrés.
E. Farge, Current Biology (vol 13, 1365-1377, 19 August 2003)