« On parle de « pénurie d’organes » comme de pénurie d’essence ».
Dans son dernier livre Tiers-corps, Sylviane Agacinski, philosophe et épouse de Lionel Jospin, veut réveiller les consciences. Elle offre à son lecteur une réflexion à la fois philosophique et juridique sur le don d’organes. Le corps humain peut-il être considéré comme un bien marchand ? Peut-il s’acquérir ? Ou doit-il être considéré comme un bien « à part » du fait de sa spécificité ? L’ouverture d’un marché légal de greffes d’organes est-elle une solution « pour augmenter le nombre d’organes disponibles ? »… Cette dernière question interpelle. Si un tel marché n’a pas toujours été interdit en France (ventes de dents au XVIIIe siècle, ventes de sang jusque dans les années 1950), son principe a régulièrement été remis en cause – par les philosophes notamment – jusqu’à la consécration de la « dignité et de la valeur de la personne humaine » et du « respect dû au corps humain » (DUDH, article 16 du Code civil). « Dès lors que le corps des êtres humains est traité comme un bien marchand, le biomarché repose toujours sur les inégalités économiques entre les acteurs », observe-t-elle. Le scandale des trafics d’organes en Chine, aux Philippines ou encore en Inde en sont malheureusement la preuve. Par ailleurs, en France, le consentement au don n’est plus requis depuis la loi de modernisation de notre système de santé, adopté en 2016 : toute personne est présumée avoir donné son accord tant qu’il ne l’a pas refusé expressément. Pour l’auteur, il s’agit indéniablement d’un « recul de la pratique de don en tant que geste bénévole et volontaire ». Sylviane Agacinski dénonce une « approche quantitative du nombre de vies à sauver, qui risque de faire perdre de vue le sens et la valeur intrinsèque de l’existence humaine ».