Le scientisme guide de la « bioéthique »

Publié le 24 Juin, 2021

Avec le recul des lois bioéthiques précédentes, il est intéressant de voir combien le processus pour faire adhérer aux nouvelles transgressions est le même : argument d’autorité (scientifique), argument affectif, caricature des contradicteurs. La tactique est imparable. Cela permet de compenser la faiblesse de l’argumentation scientifique. La réponse du chercheur Pierre Savatier, promoteur de la recherche sur l’embryon humain et du mélange animal-homme, à ma tribune « Chimère : une dédiabolisation utilitaire qui abîme l’humanité », est l’illustration de cette combinaison gagnante pour le scientisme et contre l’éthique (cf. Projet de loi bioéthique : « Oui, les chimères ont raison d’effrayer »).

 

« L’intérêt scientifique » versus la bioéthique

 

Depuis que les lois bioéthiques sont nées, on n’a jamais autant entendu parler de l’intérêt scientifique ou médical comme intérêt supérieur à tous les autres. La PMA légalisée en 1994 était présentée comme « l’intérêt » médical pour les couples infertiles. Dix ans plus tard, les embryons surnuméraires créés par la PMA étaient présentés comme « l’intérêt » pour la recherche médicale. Ces promesses thérapeutiques sont sans effet depuis 15 ans. Aujourd’hui c’est l’intérêt scientifique pur qui est invoqué pour rechercher sur l’embryon humain. C’est le leitmotiv de la loi bioéthique de 2021 : la recherche sur l’embryon humain et ses cellules souches va servir « la connaissance de la biologie humaine »[1]la connaissance du « développement » de l’embryon humain, et du « comportement » de ses cellules souches explicite le chercheur Pierre Savatier.

Si les chercheurs portent en eux cette soif de connaissance qui a un intérêt certain, dans le cadre d’une loi de bioéthique, d’autres intérêts sont en présence. C’est l’essence même de la bioéthique : poser les limites aux intérêts scientifiques pour garantir l’intérêt de l’homme, y compris du petit de l’homme.

Placer la connaissance des chercheurs comme intérêt supérieur sans protéger l’embryon humain de la destruction et de la modification de son patrimoine génétique, sans envisager d’alternative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh, recherche qui détruit l’embryon humain), sans renoncer à faire grandir ces embryons jusqu’à 14 jours en éprouvette, sans vérifier le consentement des parents qui donnent leur embryon à la recherche, sans s’interroger sur les conséquences de l’utilisation des CSEh pour créer des gamètes artificiels ou des copies d’embryons humain[2], sans mener de réflexion sur le mélange animal-homme (qui utilise des CSEh)… c’est abandonner la bioéthique.

 

Les arguments affectifs pour repousser les limites

 

Le chercheur Pierre Savatier, vise un « travail de compréhension » pour faire adhérer aux chimères animal-homme[3]. Le député rapporteur Philippe Berta et la ministre de la recherche Frédérique Vidal ont adopté la même technique « pédagogique » qui consiste en réalité à invoquer des arguments compassionnels[4].

M. Savatier balaie rapidement l’objectif de pallier la pénurie de dons d’organes qu’il qualifie  lui-même d’« hypothétique ». Il s’appuie sur d’autres arguments : améliorer les techniques de PMA (entre 80 et 90% d’échecs) et étudier le comportement des CSEh. La PMA est un sujet tabou, puisqu’il donne des enfants à ceux qui les désirent tant. Et la conscience de l’embryon humain n’est plus, alors s’il peut servir à la science… Pour les plus sceptiques, M. Savatier invoque que les chimères seraient une alternative à la recherche sur l’embryon humain. Il faut rappeler que les chimères prévues par le projet de loi prévoient l’utilisation de cellules adultes reprogrammées (iPS) mais aussi de CSEh qui, pour être obtenues, nécessitent la destruction de l’embryon. L’utilitarisme de l’embryon humain est donc tout aussi prégnant.

M. Berta et Mme Vidal, ont quant à eux évoqué la guérison des cancers pédiatriques pour justifier la création d’embryons transgéniques (modification de son génome en laboratoire), les 3 millions d’enfants atteints de maladies rares pour justifier la recherche sur les CSEh, ou encore la maladie d’Alzheimer qui pourrait être soignée grâce aux « cellules souches » (sans d’ailleurs préciser s’il s’agit d’iPS ou de CSEh). Face à ces arguments vitrines aux explications scientifiques faibles mais qui touchent à des situations difficiles, qui oserait opposer les arguments scientifiques contraires au risque de passer pour un sans cœur ? Pourtant il faut le dire, le cancer de l’enfant n’a pas d’origines génétiques, et les rares qui en ont ne sont pas dus aux gènes du développement embryonnaire ; les CSEh sont utilisées pour la thérapie cellulaire et non pour la thérapie génique qui vise à guérir les maladies génétiques. Enfin, la recherche sur la maladie d’Alzheimer porte sur les cellules souches adultes (plus de 14 essais cliniques en cours [5]), ou même sur des cellules iPS, nul besoin des CSEh.

 

La science et le droit 

 

Pour définir le légal et l’illégal, la loi est obligée d’être précise et intelligible. Lorsque M. Savatier explique qu’il n’y a « aucun fondement scientifique » à nommer les chimères animal-homme ou homme-animal, il faut rappeler qu’il y a un fondement juridique à cela. Mal nommer les choses, c’est rendre la frontière floue entre ce qui est permis de ce qui ne l’est pas. Le projet de loi est clair : l’adjonction de cellules animales dans l’embryon humain est interdite (chimères homme-animal). L’inverse est rendu possible.

M. Savatier invoque la légalité des chimères animal-homme en s’appuyant sur le Conseil d’Etat. Mais il faut être précis. La loi pose un principe absolu d’interdiction de créer des embryons chimériques[6]. En évoquant l’insertion des seules cellules iPS dans un embryon animal « pour [en] vérifier la pluripotence »[7], ou l’utilisation des cellules pluripotentes (iPS ou CSEh) « pour les xénogreffes[8] », le Conseil d’Etat n’est pas catégorique sur la légalité de ces pratiques « étrangères[9] » sur le sol français. Il précise que ces recherches « ne semblent pas couvertes par l’interdit actuel[10] ». Il qualifie en outre la perspective des xénogreffes de « très hypothétique ». Outre le fait que le régime de recherche sur l’embryon humain et les cellules souches ne prévoie aucune possibilité d’un tel mélange avec l’animal, la loi n’a pas à entériner des perspectives scientifiques « très hypothétiques[11] », à moins de manquer de « pertinence scientifique » ou encore de « finalité médicale », conditions à la recherche sur l’embryon humain et ses cellules souches.

Enfin, la fondation Lejeune, respectueuse de la vie humaine dès son commencement, présente au juge les autorisations de recherche sur l’embryon ou les CSEh qui lui semblent illégales. Contrairement à ce qu’affirme M. Savatier, le juge administratif a, à plusieurs reprises, annulé des autorisations de recherche sur l’embryon humain ou sur les CSEh, et ainsi donné raison à la fondation. Les motifs sont multiples : absence de motivation de l’ABM[12], absence de preuve de vérification du recueil du consentement des parents dont l’embryon est donné à la recherche[13], absence de traçabilité des CSEh[14], absence de pertinence scientifique du protocole de recherche autorisé[15].

 

La caricature des protecteurs de la vie humaine

 

Enfin, la carte qui reste aux promoteurs des transgressions bioéthiques est la caricature. M. Savatier comme M. Berta n’hésitent pas à prendre de haut les défenseurs d’une recherche éthique, comme si le débat était réservé aux scientifiques.

Cette méthode est l’aveu même d’une fragilité scientifique et éthique. En réalité, ce qui est en jeu ici n’est pas le progrès scientifique, qui se passe de l’embryon humain depuis des années. Ce qui est en jeu c’est l’emprise, la mainmise sur l’embryon humain, l’obsession de percer ses secrets pour donner raison à ceux qui, il y a 40 ans, l’ont abandonné aux filières juteuses de la procréation artificielle et il y a 15 ans, à celle de la recherche scientifique.

[1] Article 14 du projet de loi bioéthique alinéas 7 et 24 du texte issu de la 3ème lecture de l’Assemblée nationale n°677
[2] Articles 14 et 17 du projet de loi bioéthique
[3] Adjonction de cellules de l’embryon humain dans un embryon animal avec transfert chez la femelle – Article 14 alinéa 25 et Article 15 alinéa 4 du texte issu de la 3ème lecture de l’Assemblée nationale n°677
[5] ClinicalTrials.gov.
[6] Article L2151-2 du code de la santé publique : « La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite. »
[7] Conseil d’Etat « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », 28 juin 2018, p 186 et 187
[8] La xénogreffe désigne la transplantation d’un greffon où le donneur est d’une espèce biologique différente de celle du receveur.
[9] Conseil d’Etat « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », 28 juin 2018, p 186 et 187
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Conseil d’Etat, 23 décembre 2014, Agence de la biomédecine, pourvoi n° 360958
[13] Conseil d’Etat, 28 septembre 2020, Agence de la biomédecine, pourvoi n°419303
[14] Tribunal administratif de Paris, 17 décembre 2015, Kerr Conte, jugement n° 1317597/6-3
[15] Cour administrative d’appel de Versailles, 12 mars 2019, n°17VE02492
Photo : iStock
Lucie Pacherie

Lucie Pacherie

Expert

Lucie Pacherie est titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Elle s’est spécialisée en droit de la santé et responsabilité médicale et est juriste de la fondation Jérôme Lejeune depuis 2010. Elle est co-auteur du livre Les sacrifiés de la recherche publié en 2020.

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