Le « parent biologique », un pas de plus vers l’artificialisation de la filiation

Publié le 16 Nov, 2018

La Cour d’appel de Montpellier vient de trancher en accordant le statut de « Parent biologique » a un homme devenu femme qui voulait être reconnu comme Mère (cf. Un homme « devenu femme » réclame le statut de mère de son enfant et Ni père ni mère mais « parent biologique »). Une nouvelle contorsion du droit dont Aude Mirkovic souligne pour Gènéthique les impasses juridiques et les conséquences humaines.

 

Gènéthique : Pouvez-vous rappeler les faits à l’origine de cette décision et la solution retenue par la Cour d’appel ?

Aude Mirkovic : Un homme et une femme se sont mariés et ont eu deux enfants. Dix ans après le mariage, le mari demande le changement de la mention de son sexe à l’état civil. Cependant, comme la loi le permet désormais, il conserve la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins, et sa femme se trouve à nouveau enceinte de ses œuvres.

Le mari devenu femme reconnait l’enfant avant la naissance, dans une reconnaissance dite « de nature maternelle, non gestatrice ». A juste titre, l’officier d’état civil refuse sa transcription sur l’acte de naissance de l’enfant car elle doterait l’enfant d’une double filiation maternelle, ce qui est incohérent et que la loi interdit. La filiation existante fait en effet obstacle à l’établissement d’une filiation qui la contredirait, tant qu’elle n’a pas été contestée. Comme l’enfant a déjà une filiation maternelle, il ne peut être reconnu par une seconde femme pour établir une seconde maternité (la double maternité ne peut être qu’une filiation adoptive).

Après le tribunal de grande instance de Montpellier, la Cour d’appel refuse à son tour de mentionner dans l’acte de naissance l’intéressé comme « mère non gestatrice », ce qui « aurait pour effet de nier à [l’enfant] toute filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle ». Cependant, elle retient la mention de « parent biologique », cette mention étant selon la Cour « de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établie la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Madame V de voir reconnaitre la réalité de son lien de filiation avec son enfant et le droit au respect de sa vie privée ».

 

G : Cette décision était-elle conforme au droit français de la filiation ?

AM : Non, bien entendu. L’acte de naissance est là pour indiquer à chacun de qui il est né, qui est à l’origine de sa naissance. La réalité en l’espèce est que le père de l’enfant est un homme qui a changé de sexe. Ce changement de sexe n’a aucune raison d’impacter l’état civil d’autrui, en l’occurrence l’enfant. La seule solution valable ici était d’indiquer le géniteur comme tel, en tant qu’homme et en tant que père. Evidemment, il est quelque peu artificiel qu’une même personne soit désignée comme homme sur certains actes d’état civil et comme femme sur d’autres. Mais c’est déjà le cas lorsque cette personne a eu des enfants avant de changer de sexe : la modification n’a pas d’effet sur les filiations déjà établies. La loi aurait dû prévoir la même solution pour les enfants nés après mais, visiblement, le législateur ne s’est pas soucié d’eux. Et, quitte à innover, la Cour d’appel aurait dû étendre la solution relative aux enfants déjà nés au moment du changement de sexe à ceux nés après. D’ailleurs, la Cour d’appel a constaté qu’une telle solution était envisageable, mais elle a estimé qu’elle ne pouvait l’imposer sous prétexte de respecter la vie privée de la personne ayant changé de sexe. Pourtant, elle invoque l’intérêt supérieur de l’enfant, à juste titre, pour refuser la mention de « mère non gestatrice ». Elle aurait dû tirer les conséquences logiques de la supériorité de l’intérêt de l’enfant pour lui assurer un état civil complet, clair et lisible. En outre, l’intérêt général vient aussi en renfort car quelle peut être l’utilité de l’état civil s’il comporte des indications ambiguës ou incomplètes ?

 

G : Comment peut-elle être contestée ?

AM : Le procureur, ou encore le mandataire ad hoc désigné pour représenter les intérêts de l’enfant, peuvent se pourvoir en cassation.

 

G : Sera-t-elle contestée ?

AM : Je n’ai pas de boule de cristal, mais j’espère que oui.

 

G : Que remet-elle en cause ?

AM : Elle remet en cause le fait que chacun est issu d’un homme et d’une femme, tout simplement. A vrai dire, ce fait demeure quoi qu’en disent les décisions de justice, mais cette décision refuse d’en tenir compte. Elle déconnecte l’état civil de cette réalité première et, une fois la filiation déconnectée de cette référence à l’engendrement de l’enfant par un homme et une femme, il n’y a plus de limite. Pour ne prendre qu’un exemple : c’est la référence à l’engendrement de l’enfant qui désigne les parents au nombre de deux. Même si l’enfant n’a que sa mère, le simple terme de mère évoque le père et contient l’évocation de ce « deux ». La Cour d’appel a tenté de limiter des dégâts en retenant le concept de « parent biologique » qui, à lui tout seul, est très incomplet mais n’est pas « faux ». Mais déjà ce concept permet d’imaginer un troisième parent biologique, lorsque l’enfant sera issu d’un ovocyte (un parent biologique) fécondé par spermatozoïde (deux parents biologiques) et porté par un troisième candidat à la parenté (faut-il dire il ou elle, on n’en sait rien car ce pourra être une femme devenue homme à l’état civil..), qui peut se présenter elle/lui aussi comme parent biologique car la gestation établit un lien charnel avec l’enfant. Et que dire du cas où l’ovocyte sera lui-même la combinaison d’un ovocyte énucléé, et d’un noyau transféré venant d’un autre ovocyte (pratique de la FIV trois parents) ? Nous voici déjà à quatre parents biologiques potentiels, sans compter que ce concept de « parent biologique » ouvre la possibilité de parents non biologiques… A vrai dire, on commence à réaliser l’artifice qu’il y a à faire prévaloir le ressenti des personnes, leur volonté, sur la réalité. Ici nous avons un homme devenu femme qui engendre un enfant, nous avons ailleurs un homme de 60 ans qui veut devenir à l’état civil un homme de 40, attendons qu’il se retrouve alors plus jeune que ses propres enfants… L’état civil comme miroir de la façon dont la personne se voit ou se désire ne dit plus rien d’objectif et ne présente plus guère d’utilité sociale. En outre, il est faux de penser que cette question relèverait de la seule vie privée : elle entraine des conséquences, graves, sur autrui, les enfants, et sur la société en général.

 

G : L’enfant avait un avocat pour le représenter qui semble considérer que le juge n’est pas allé assez loin : les droits de l’enfant ne sont-ils pas particulièrement malmenés dans cette décision ?

AM : Les droits de l’enfant sont comme d’habitude invoqués mais la portée qui leur est reconnue est bien trop limitée. Le choix d’une personne de changer de sexe ne devrait pas pouvoir impacter l’état civil d’autrui, et certainement pas celui d’un enfant en le rendant illisible.

 

G : A quelques mois des discussions à l’Assemblée nationale, cette décision n’est-elle pas un moyen supplémentaire de faire pression sur le gouvernement ?

AM : En effet, cette décision peut paradoxalement se révéler utile car elle montre les dégâts collatéraux causés par la volonté individuelle toute puissante. Ici l’état civil d’un enfant est bricolé pour correspondre au projet de changement de sexe d’un des parents. Dans le projet de PMA sans père, la branche paternelle est tout simplement effacée pour permettre la réalisation du projet de la mère et le cas échéant sa conjointe… Ce genre de décisions peut servir d’élément déclencheur pour une prise de conscience de la nécessité, et de l’urgence, de poser des limites légales à la volonté individuelle.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Expert

Maître de conférence en droit privé, Porte-parole et Directrice juridique de l'association Juristes pour l'Enfance

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