Le Conseil génétique, accompagnement ou guide de décision ? Enjeux de liberté et de soin

Publié le 5 Nov, 2020

La découverte de l’existence d’un patrimoine unique hérité de l’ascendance a propulsé cette discipline sur le devant de la scène. Pour autant, la génétique n’est pas un oracle. Diane Van Haecke – d’Audiffret, titulaire d’une maîtrise de Biologie spécialisée en génétique, ESSEC et Docteur en philosophie pratique, met en perspective le devoir d’information et d’accompagnement des patients qui doivent comprendre en profondeur les implications des données recueillies. Elle est co-fondatrice de UP for Humanness, association dédiée à l’insertion sociale et professionnelle de personnes fragilisées et à la recherche sur des enjeux de société.

 

La génétique connaît un essor spectaculaire depuis une vingtaine d’années : elle permet aujourd’hui d’accéder à l’ensemble de notre génome d’une manière rapide et de plus en plus abordable financièrement. La génétique n’est pas une spécialité médicale, mais fait irruption dans bon nombre d’entre elles sans que les médecins aient été formés à la génétique et à ses mécanismes. Or, nous découvrons que de nombreuses maladies présentent une composante génétique. D’aucuns aimeraient y voir une capacité prédictive généralisée pour maîtriser l’apparition ou l’évolution d’une maladie voire pour éviter sa survenue à venir dans une famille. Mais qu’en est-il dans les réalités singulières des maladies et des personnes ?

Les maladies génétiques sont nombreuses et forment un ensemble extrêmement hétérogène et complexe. Un conseil génétique semble être l’outil indispensable pour accompagner les professionnels de santé non-généticiens et les personnes touchées par une maladie génétique, pour mieux comprendre le mécanisme génétique de la maladie considérée et ses conséquences pour la personne et ses apparentés. Face à la complexité des informations et des situations, comment préserver la liberté des personnes de consentir ou non à un test comme dans la manière d’appréhender les conséquences d’un résultat ?

D’une pratique au métier de conseiller en génétique

Tout médecin connaissant la situation clinique et ses conséquences personnelles et familiales, peut réaliser une consultation de conseil génétique et prescrire un examen des caractéristiques génétiques. Le médecin prescripteur doit néanmoins être capable d’interpréter le résultat de l’analyse prescrite. Il est donc fortement recommandé de travailler en étroite collaboration avec des équipes de génétique clinique[1]. Face à l’augmentation des demandes, conscient de la complexité et de l’hétérogénéité des situations et des enjeux éthiques associés à la génétique, le Pr Jean-François Mattéi, a créé le métier de conseiller en génétique en 2004 en France avec une formation obligatoire dédiée. Le rôle du conseiller en génétique a été défini dans la loi de Santé publique de 2004 (Art. L. 1132-1)[2].

Le conseil génétique se déroule selon des modalités précises[3] : il s’agit de recueillir l’ensemble des informations permettant d’établir un arbre généalogique pour ensuite expliquer les conséquences de la maladie en termes d’état de santé, de soin et de prévention, mais également de transmission de la mutation au sein de la famille et d’obligation d’informer les apparentés en cas de maladies graves pour lesquelles il existe des mesures de prévention et de soin, ou pour des projets parentaux. Cette consultation de conseil génétique peut déboucher sur un prélèvement afin de réaliser une analyse génétique, après recueil du consentement de la personne.

La révision actuelle de la Loi relative à la Bioéthique propose une extension du rôle des conseillers en génétique en réponse à la multiplication des tests génétiques réalisés[4] leur permettant la prescription de tests génétiques et l’annonce des résultats sous la supervision d’un médecin généticien. Mais qu’entend-ton par conseil ?

Conseil et autonomie des patients

Le mot conseil vient du latin consilium utilisé dans le langage juridique pour « l’endroit où l’on délibère ». Par métonymie, il exprime la délibération, la consultation, la réflexion et prend la définition de « l’avis que l’on donne à quelqu’un sur ce qu’il doit faire ». Quelle responsabilité quand il s’agit parfois pour un couple de se trouver face à la décision de « garder » ou non un enfant, quand il s’agit d’accompagner une personne à faire ou non un test pour une maladie invalidante à révélation tardive et pénétrance totale comme la maladie de Huntington… Se vit ici un déplacement du champ décisionnel de la naissance au prénatal, du soin à la prévention et à la prédiction, un déplacement de l’origine de la décision. Est-ce un changement de paradigme de la médecine ?

Le rapport médecin-patient s’est aussi transformé ces dernières années vers une affirmation de l’autonomie et de la liberté du patient dans les décisions de santé qui le concernent[5]. N’est-ce pas contradictoire avec la définition du mot « conseil » ? Comment assurer la liberté de décision des personnes lors d’un « conseil » génétique ? Peut-être tout d’abord en étant conscient des différentes influences qui s’y jouent.

Un conseil sous influences

Notre rapport à la génétique est marqué par nombre de peurs et de fantasmes et par une pulsion épistémophilique ou désir de savoir ontologique[6]. En effet, par certaines maladies monogéniques à pénétrance totale, la génétique se présente comme maîtresse de notre destin. Or, de la Pythie grecque, que l’on interrogeait pour connaître son avenir, à nos connaissances actuelles, prédire l’avenir et le maîtriser semble répondre à un désir profond de l’Homme. Prédire son avenir pour le maîtriser ou même le transformer. Nous voilà entre un désir légitime de ne pas souffrir et une utopie de maîtrise guidée par certaines idéologies : mieux soigner ou envisager une santé parfaite et construire Le Meilleur des mondes[7] ?

En parallèle de cette meilleure compréhension moléculaire des mécanismes génétiques, de nombreuses innovations technologiques ont envahi le champ médical. Les NBIC[8] couplées au génie génétique font naître beaucoup d’espoirs en termes thérapeutiques, mais donnent aussi la possibilité d’intervenir sur le génome pour d’autres motifs que le soin. Les courants transhumanistes sont à l’œuvre depuis de nombreuses années avec pour ambition d’augmenter les capacités physiques, cognitives de l’Homme mais aussi l’espérance de vie jusqu’à même « tuer la mort »[9]. La question de la finalité de la recherche et de l’usage des technologies doit être au cœur de la réflexion éthique. Arnold Munnich, pédiatre et généticien, le décrit aujourd’hui avec force : « le hiatus[10] entre les possibilités de prédire qui augmentent rapidement et les possibilités d’attitudes préventives et curatives s’élargit avec l’impatience de la société d’utiliser prématurément les résultats des recherches, soulevant d’importantes questions éthiques »[11].

Enfin, le rapport au handicap et à la maladie s’inscrit dans un contexte sociétal, politique et économique. Le culte de la performance, le manque de structures adaptées et les crises économiques et sociales ne nous conduisent-ils à un eugénisme « rationnel » ?

Le conseil génétique est essentiel pour éclairer, expliquer et c’est pourquoi le cadre réglementaire français est strict sur l’usage des examens des caractéristiques à des fins médicales, sur leur prescription comme sur la délivrance des résultats. Toutefois, le conseil génétique est inévitablement empreint de toutes ces évolutions, nouveaux possibles, ces interrogations, mais aussi des valeurs de la société. Est-il alors un organe d’information, d’explication, d’accompagnement dans la décision des parents ou est-il aide voire guide de la décision des parents ? Comment appréhender l’influence qu’il a obligatoirement sur les parents dans un moment de grande vulnérabilité ?

Réalités du conseil génétique et conditions d’une éthique de l’information en génétique

Conseil préconceptionnel et prénatal, conseil d’accompagnement face à toute question de génétique pour d’autres, acte médical ou encore mesure de prévention, le conseil génétique semble revêtir différents rôles selon la spécialité médicale, mais aussi selon notre conception du soin. Lors de la révision des lois dites de Bioéthique en 2011 et de l’ajout du conseil génétique dans les critères d’application de l’obligation d’informer sa parentèle[12], le conseil génétique a ainsi été intégré dans les mesures de prévention[13]. Or, associer le conseil génétique à un acte de prévention serait doter ce temps d’un pouvoir d’action qui est en principe réservé aux personnes consultantes. Ce sont les personnes qui, bénéficiant d’un conseil génétique, sont invitées à choisir, à agir, à librement consentir aux propositions préventives et thérapeutiques qui leur sont faites, en cohérence avec les principes d’autonomie, de liberté individuelle.

Mais, comment prendre une décision libre et éclairée face à un accès de plus en plus large à des données non élaborées, des probabilités, parfois faibles de surcroît, données que l’on ne sait pas toujours maîtriser et souvent sans thérapeutique associée ? Il est en effet indispensable de faire la différence entre donnée et information génétique[14]. Il convient pour cela de différencier au préalable les différentes natures de tests génétiques pour savoir à quoi sont exposées les personnes et leurs médecins : une susceptibilité (terrain familial) qui n’accroît que peu le risque d’exprimer une maladie ; une prédisposition génétique comme dans le cas des mutations BRCA1/2 qui augmente d’environ 80% le risque de développer un cancer du sein ; ou encore une mutation à pénétrance totale qui permettra le diagnostic d’une maladie monogénique ; ou enfin une mutation à pénétrance totale non encore exprimée pour une maladie génétique à révélation tardive. Or sur le site de l’Inserm, les tests sont tous associés aux qualificatifs diagnostique et prédictifs[15]. L’information doit faire sens pour la personne sur un risque réel pour sa santé tout en prenant en compte son histoire, sa psychologie, ses peurs et ses représentations[16]. Conformément au droit à l’information du patient[17], le médecin ou le conseil génétique a l’obligation de donner une information claire, loyale, appropriée et adaptée. Or « Lire n’est pas comprendre », comme le rappelle le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet. Nombreuses incertitudes jonchent le passage de données génétiques à des informations qui font sens pour la personne testée et beaucoup de variants génétiques sont encore sans signification phénotypique ou clinique[18]. Mais, il n’est malheureusement pas rare d’observer que « nous aimons les certitudes à un point tel qu’il nous arrive d’en préférer de fausses à la vérité »[19].

Cette incertitude relative aux conséquences d’une mutation génétique, à l’histoire humaine qui poursuivra sa route malgré l’annonce et lesdites prédictions qui en découlent, est aussi le reflet d’une révélation de la génétique. La génétique nous révèle l’irréductibilité de notre destinée humaine à un génome. En effet, le génome est vulnérable, perméable à son environnement, au mode de vie de la personne, le génome est vivant. C’est ce qui est appelé l’épigénétique. N’est-ce pas le signe du mystère de nos existences uniques et un appel à l’acceptation de l’incertain dans nos vies[20] ? La crise actuelle n’est-elle pas aussi révélatrice par son caractère inédit et imprévisible d’une impossible maîtrise ?

Ainsi, considérer la personne consultante dans toutes ses dimensions, prendre conscience des influences et représentations en vigueur, assumer les différentes natures de tests génétiques comme l’incertitude qui persiste dans toute information génétique, développer la pluridisciplinarité en orientant vers des professionnels libéraux et des associations de patients pour un consentement réellement libre de la personne, respecter le temps d’appropriation des informations et accepter la répétition, voilà quelques fondements possibles d’une éthique de l’information en génétique humaine. La personne ainsi considérée sera infiniment plus disposée à comprendre, d’une part les conséquences de l’anomalie génétique pour elle-même et à consentir à un protocole thérapeutique et, d’autre part les conséquences pour ses apparentés et l’importance de la transmission d’information, exercice de sa responsabilité pour autrui, « suprême dignité de l’unique » [21].

[1] Zordan C. et al., Aspects réglementaires du diagnostic génétique en France, médecine/sciences 2018 ; 34 (hors série n° 2) : 13-5.

[2] http://www.senat.fr/rap/l19-237/l19-23714.html#fn357

[3] Zordan C. et al., op.cit.

[4] http://www.senat.fr/rap/l19-237/l19-23714.html#fn357

[5] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

[6] Vacquin M., Frankenstein aujourd’hui, Égarements de la science moderne, Paris, Editions Belin, 2016.

[7] Huxley A., Le Meilleur des Mondes, Paris, Plon, « Pocket », [1932 – 1946] 2005.

[8] NBIC : Nanotechnologies Biotechnologies Informatique et Sciences Cognitives.

[9] Alexandre L., La mort de la mort, Paris, Editions JC Lattès, 2016.

[10] Ce hiatus révèle la fragilité de l’affirmation de Bacon « Savoir, c’est pouvoir ».

[11] CCNE, avis N° 25 (1991) : Avis sur l’application des tests génétiques aux études individuelles, études familiales et études de population.

[12] LOI n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, Art. L. 1131-1-2 du code de santé publique.

[13] Sénat, Amendement 28 mars 2011 proposé par le Rapporteur Milon, http://www.senat.fr/amendements/commissions/2010-2011/304/Amdt_COM-127.html

[14] Van Haecke d’Audiffret D., Génétique : révolutions, révélations. Aux sources de l’humanité et du soin. Univ. Gustave Eiffel, Thèse, mai 2018, p.109.

[15] https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/tests-genetiques, mai 2015, consultation le 30 oct. 2020.

[16] Philip N. et Malzac P., « Conseil génétique et éthique », in Génétique, biomédecine et éthique, op. cit., p. 54.

[17] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé / Art. R.4127-35 du code de la santé publique.

[18] Stoppa-Lyonnet D. et Maathjis G., « Révolutions médicales : les tests génétiques », in France Culture, http://www.franceculture.fr/emissions/revolutions-medicales/les-tests-genetiques#

[19] Malherbe J.-F., L’incertitude en éthique, perspectives cliniques, Montréal, Editions Fides, coll. « Les grandes conférences », 1996, p. 11.

[20] Van Haecke d’Audiffret D., Thèse, op.cit., p. 141.

[21] Levinas E., Éthique et Infini, Paris, Fayard, coll. « Livre de Poche », [1982] 2004, p. 97.

Diane Van Haecke – d’Audiffret

Diane Van Haecke – d’Audiffret

Expert

Diane Van Haecke – d’Audiffret est titulaire d’une maîtrise de Biologie spécialisée en génétique, ESSEC et Docteur en philosophie pratique

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