L’avortement est-il vraiment libre et à la demande en Europe ?

Publié le 23 Sep, 2021

L’adoption récente de la Résolution Matić au Parlement européen continue d’alimenter de fausses affirmations sur le statut légal de l’avortement. Une de ces fausses affirmations les plus répandues serait que l’avortement soit un droit de l’homme au titre du droit à la santé. Cela est faux et les lois des pays européens reflètent bien que l’avortement n’est pas un droit de l’homme, mais bien une exception circonscrite en principe à certaines situations définies.

L’étude précise des législations actuellement en vigueur dans les 47 États membres du Conseil de l’Europe montre que 13 États interdisent l’avortement à la demande[1], n’autorisant l’avortement que dans de très rares cas exceptionnels (par exemple, viol de la mère, risque pour la vie de la mère, etc.).

Parmi les États où l’avortement à la demande est légal, huit ne l’autorisent que pendant les dix premières semaines de la grossesse[2], l’Estonie jusqu’à onze semaines[3] et vingt autres États jusqu’à douze semaines[4]. Ainsi, sur les trente-quatre États membres du Conseil de l’Europe qui autorisent l’avortement sur demande, vingt-neuf (85 % d’entre eux) ne l’autorisent que dans les douze premières semaines de la grossesse.

Cinq autres pays autorisent l’avortement à la demande plus tard. Il est autorisé pendant les quatorze premières semaines en Espagne et en Roumanie[5], jusqu’à dix-huit semaines en Suède, jusqu’à vingt-deux semaines en Islande et jusqu’à vingt-quatre semaines aux Pays-Bas[6].

Dans la plupart de ces pays, les avortements peuvent encore être pratiqués après l’expiration du délai légal, mais ils ne sont autorisés que dans des circonstances particulières. Les principales de ces exceptions sont les suivantes : malformation grave du fœtus, grossesse résultant d’un viol et grossesse mettant en danger la santé physique et psychologique de la femme enceinte. Cependant, même dans ces conditions, dix pays européens interdisent toujours ces procédures d’avortement exceptionnelles après vingt-quatre semaines de grossesse[7].

Ainsi, dans 29 États membres du Conseil de l’Europe, l’avortement n’est légal qu’en dessous de 12 semaines de grossesse. D’après une étude publiée par l’Institut Européen de Bioéthique[8], cette limite se fonde sur des raisons techniques et médicales, tant physiques que psychologiques. Selon un collectif de plus de 2 600 gynécologues, psychologues, médecins généralistes, et autres professionnels de la santé s’exprimant en juillet 2019 : « au-delà de 3 mois de grossesse, l’avortement est un geste bien plus lourd pour la femme, son entourage, mais aussi pour les soignants qui y participent de près ou de loin[9] ». L’avortement après 12 semaines implique le plus souvent le morcellement du fœtus et cet acte est psychologiquement difficile pour le praticien.

Des méthodes d’avortements différentes en fonction de l’avancée de la grossesse

Au cours du premier trimestre de grossesse, deux méthodes existent pour effectuer un avortement. Avant 7 semaines, c’est la pilule abortive qui est le plus souvent prescrite. Au-delà de 7 semaines de grossesse et jusqu’à la 12e semaine, c’est la méthode d’aspiration de l’embryon ou du fœtus[10] à l’aide d’une canule introduite dans l’utérus qui est en principe employée.

Au cours du deuxième trimestre de grossesse, le fœtus grandit considérablement. En trois mois, sa taille passe de 8 à 35 cm. À 18 semaines de grossesse, il mesure déjà 20 cm. Sa taille ne permet plus l’usage d’une canule d’aspiration pour l’avortement. Les médecins ont donc recours à deux autres méthodes. L’avortement par déclenchement ou l’avortement par embryotomie[11].

L’avortement par déclenchement aussi appelé « accouchement provoqué » se déroule généralement par l’administration de Mifépristone© à la femme. Cet agent bloque l’action de la progestérone qui est nécessaire à la grossesse et provoque, au bout de quelques jours, l’expulsion du fœtus. Il se peut cependant que la méthode par déclenchement n’aboutisse pas[12]. Il faut alors recourir à l’avortement instrumental par morcellement.

L’avortement par embryotomie ou « dilatation et évacuation » est une méthode chirurgicale de morcellement du fœtus. Cette méthode est la plus utilisée puisqu’elle est plus rapide et ne nécessite pas d’hospitalisation sauf cas de complications.

Des conséquences psychologiques pour les médecins

Les études montrent que la méthode de morcellement et d’extraction du fœtus est lourde à porter pour les gynécologues[13]. La technique est souvent vécue comme brutale voire insupportable. Selon David A. Grimes, professeur de gynécologie-obstétrique aux États-Unis et qui pratique des avortements, « La méthode de dilatation et évacuation déplace le fardeau émotionnel de la procédure de la femme vers le médecin[14] ». En effet, la femme ne voit pas le fœtus être extrait en morceaux de l’utérus. C’est le médecin qui, en plus de voir le fœtus mort, doit lui-même le démembrer.

En outre, d’après le Collège National des Gynécologues Français (CNGOF), l’interruption médicale de grossesse – toutes méthodes confondues – « demeure par essence une transgression brutale, pour le fœtus mais aussi pour la mère. Les soignants ressentent aussi l’ambivalence et le malaise qui peuvent retentir sur les soins, voire la sécurité[15] ».

Des conséquences psychologiques et physiques pour la mère

Psychologues et psychiatres s’accordent à dire que l’entrée dans le 4e mois de la grossesse marque une étape fondamentale dans le rapport de la femme à sa grossesse et à l’enfant à naître, tant sur le plan physique que psychologique[16]. Les avortements postérieurs ont donc des conséquences psychologiques plus fortes et impliquent une période de deuil plus fréquente.

En outre, avant 12 semaines, les avortements présentent des risques moindres pour la santé de la femme. En effet, les études montrent que la mortalité maternelle à la suite d’un avortement augmente à chaque semaine de gestation. Le taux de mortalité, qui reste très faible, est multiplié par 89 entre une intervention à 8 semaines et une intervention à 21 semaines ou plus de grossesse (8,9 pour 100,000[17]). Les complications associées aux avortements du deuxième trimestre sont principalement les hémorragies, les lésions cervicales, les infections précoces ou tardives et la perforation ou la rupture de l’utérus. C’est en raison des possibilités de complications graves que les avortements après 12 semaines de grossesse doivent être pratiqués dans des établissements pourvus d’un accès rapide à la transfusion sanguine et à la laparotomie d’urgence[18].

La question de la douleur chez le fœtus après 12 semaines de grossesse

Malgré l’idée encore répandue qu’un fœtus ne peut ressentir la douleur qu’à partir de la 24semaine de grossesse, les études récentes, bien que n’apportant pas encore de réponses définitives, tendent à prouver que cette limite n’est pas scientifiquement fondée.

Une étude scientifique de 2020 « Reconsidering Foetal Pain », publiée dans le Journal of Medical Ethics, montre que le fœtus peut ressentir la douleur dès le quatrième mois de la grossesse. Le Professeur Stuart Derbyshire, de l’Université Nationale de Singapour, ayant travaillé comme consultant pour le Pro-choice forum au Royaume-Uni et le Planned Parenthood, et le médecin américain John Bockmann, y soutiennent que : « Même si on considère le cortex nécessaire à l’expérience de la douleur, il y a maintenant assez de preuves que les projections thalamiques (ndlr: informations sensitives) dans la sous-plaque, qui surviennent autour des 12 semaines de gestation, sont fonctionnelles et équivalentes aux projections thalamocorticales qui apparaissent autour des 24 semaines de gestation[19] ». Le médecin néonatal Carlo V. Bellieni explique aussi, dans une étude parue en 2020 dans Nature, que le cortex cérébral n’est pas indispensable pour la douleur chez le fœtus, dès lors que les structures subcorticales pour la perception de la douleur sont présentes[20].

Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il est donc impossible d’écarter la possibilité d’une perception fœtale de la douleur dès sa 13e semaine de gestation comme les études les plus récentes tendent à le montrer.

Article rédigé et publié initialement par l’ECLJ: L’avortement est-il vraiment libre et à la demande en Europe ?

Annexes : http://media.aclj.org/pdf/Abortion-on-Demand-in-the-European-States-Legality-and-Time-Limits-2021-ECLJ.pdf

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[1] Annexe 1 : Albanie, Andorre, Bulgarie, Hongrie, Italie, Liechtenstein, Macédoine, Malte, Monaco, Pologne, Royaume-Uni, Saint-Marin, Suisse.

[2] Annexe 2 : Bosnie-Herzégovie, Croatie, Irlande, Monténégro, Portugal, Serbie, Slovénie, Turquie.

[3] Annexe 3 : Estonie.

[4] Annexe 4 : Allemagne, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Chypre, Danemark, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, République de Moldavie, République tchèque, Russie, Slovaquie, Ukraine.

[5] Annexe 5 : Espagne, Roumanie.

[6] Annexe 6 : Suède, Islande, Pays-Bas.

[7] Cases grises dans les annexes.

[8] IEB, Étendre l’avortement au-delà de 3 mois de grossesse : quels enjeux ? https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/debut-de-vie/avortement/nouveau-dossier-de-l-ieb-etendre-l-avortement-au-dela-de-3-mois-de-grossesse-quels-enjeux-2015.html.

[9] « Nous professionnels de la santé, sommes opposés à l’extension de la loi sur l’avortement », La Libre Belgique, 1er juillet 2020.

[10] En termes scientifiques, on parle d’embryon jusqu’à huit semaines après la conception, et ensuite de foetus jusqu’à la naissance. A 12 semaines de grossesse, le foetus mesure environ 9 cm de la tête au coccyx.

[11] IEB, Étendre l’avortement au-delà de 3 mois de grossesse : quels enjeux ? https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/debut-de-vie/avortement/nouveau-dossier-de-l-ieb-etendre-l-avortement-au-dela-de-3-mois-de-grossesse-quels-enjeux-2015.html p.5.

[12] Ibid p.6.

[13] Kaltreider NB, Goldsmith S, Margolis AJ. The impact of midtrimester abortion techniques on patients and

staff. American Journal of Obstetrics and Gynecology 1979; 135:235 –38. Aussi Lalitkumar et al., 2007, Mid-trimester Induced Abortion: A Review. Human Reproduction Update 13: 46; et Harris L.H. 2008 Second Trimester Abortion Provision: Breaking the Silence and Changing the Discourse. Reproductive Health Matters 16 :74-81.

[14] DA Grimes / Reproductive Health Matters 2008;16(31 Supplement):185.

[15] L. MANDELBROT, G. GIRARD, Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, « Aspects techniques des interruptions médicales de grossesse, Extrait des mises à jour en gynécologie et obstétrique, Tome 32, 3 décembre 2008, p. 7.

[16] Voir notamment G. L. Bibring e.a., « A study of the psychological processes in pregnancy and of the earliest mother-child relationship », The Psychoanalytic Study of the Child, 1961, 16:1, 9-24.

[17] The American College of Obstetricians and Gynecologists, Practice Bulletin, nr 135, juin 2013, mis à jour en 2019.

[18] PA Lohr / Reproductive Health Matters 2008;16(31 Supplement):156-157 et références citées en note.

[19] Derbyshire SWG, Bockmann JC., Reconsidering foetal pain, J Med Ethics 2020;46:3–6.

[20] Bellieni, C.V. “Analgesia for fetal pain during prenatal surgery: 10 years of progress”, Pediatr Res (2020). https://doi.org/10.1038/s41390-020-01170-2.

 

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

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Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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