L’avis 122 du CCNE sur la neuro-amélioration

Publié le 28 Fév, 2014

Dans son dernier avis (1) publié au mois de février 2014, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’interroge sur les enjeux éthiques soulevés par le recours aux techniques de neuro-amélioration chez les sujets non malades. Olivier Rey, chargé de recherche au CNRS (2), livre son analyse sur cet avis.

 

Pourquoi rendre un avis sur le sujet de la neuro-amélioration en France maintenant ? Quel est le contexte scientifique ?

L’Organisation Mondiale de la Santé déclare, dans le Préambule à sa Constitution adoptée en 1946 : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Ainsi définie, la santé n’est plus, comme auparavant, un état normal auquel s’opposent des états pathologiques, mais un idéal édénique. Dans le même temps, les avancées techniques ne cessent de nous pourvoir de nouveaux moyens d’intervention. La rencontre entre, d’une part, la recherche d’une « santé » toujours meilleure, d’autre part le développement technoscientifique, conduit logiquement à vouloir non plus seulement soigner les maladies ou les infirmités, mais à vouloir améliorer les performances de n’importe quel individu. La question de la « neuro-amélioration » est donc tout à fait d’actualité.

 

Selon vous, en quels termes se posent les questions soulevées par la neuro-amélioration ?

L’idée de neuro-amélioration soulève deux types de questions :

• Premièrement, quelles améliorations sont envisageables, et ces améliorations en sont-elles vraiment ? Certaines fonctions peuvent certainement être stimulées.

Mais n’est-ce pas au détriment d’autres fonctions (ce qui nuirait à la santé en tant qu’équilibre général), et avec, à terme, des effets nocifs (ce qui nuirait à la santé en tant qu’équilibre durable) ?

 

• Deuxièmement, la recherche de ces améliorations est-elle opportune ? Ne risque-t-elle pas de creuser encore davantage les inégalités entre les êtres humains, à un moment où ces inégalités font déjà peser de lourdes menaces sur la cohésion des sociétés ? Ne détourne-t-elle pas l’attention et les efforts des questions qu’il serait vraiment urgent de traiter pour le bien-être de l’humanité ? Il me semble que le CCNE, dans son avis, évoque chacune de ses questions, et mène une juste réflexion. En revanche la conclusion finale, avec ses appels au questionnement scientifique et à la veille éthique, est décevante : tout en prétendant tenir compte des investigations menées, elle vient comme annuler leur portée.

 

Le CCNE ne se prononce pas sur les effets à moyen et long termes. Peut-on quand même ébaucher les traits de la perspective ?

Il me semble pour le moins présomptueux de prétendre améliorer considérablement et durablement l’être humain, c’est-à-dire de réussir à faire beaucoup mieux par la technique que ce à quoi est parvenu l’évolution naturelle. La survie à un âge élevé n’ayant jamais constitué un avantage reproductif, on peut supposer que des améliorations sont possibles touchant la vieillesse, sur laquelle la pression de sélection ne s’est pas exercée. Concernant la jeunesse, la chose est beaucoup plus douteuse, et une amélioration dans un domaine a certainement son revers dans un autre. Cela étant, ce n’est pas parce que les avantages à attendre des techniques d’amélioration sont restreints qu’ils ne seront pas poursuivis avec ardeur. L’effet principal sera alors une extension encore plus poussée du domaine de la lutte. Il faudra se battre pour avoir accès aux techniques réputées donner l’avantage dans la bataille.

 

L’avis du CCNE évoque le courant de pensée du posthumanisme et son ancêtre le transhumanisme. Comment définiriez-vous ces termes ?

 

Le transhumanisme, c’est la transposition dans le domaine de la biologie de l’idée nietzschéenne que l’homme est un passage, un pont entre l’animal et le surhomme.

Chez Nietzsche, la différence entre l’homme et le surhomme est d’ordre essentiellement moral.

La différence entre l’homme et le transhumain, ou le posthumain, se joue d’abord sur le terrain des capacités, et s’accomplit par des moyens techniques. L’évolution naturelle a doté l’homme de certaines facultés, qui lui ont permis d’élaborer des techniques performantes. Le moment serait venu, pour l’homme, d’user de ces techniques pour accélérer et piloter sa propre évolution, vers une forme vivante supérieure.

 

Est-ce une chance ou un danger pour l’homme ?

 

Je pense que les prédictions mirifiques des tenants du trans- ou du posthumanisme ne sont pas destinées à se réaliser. Pour autant, elles ne sont pas sans effet. Avec une population mondiale qui a dépassé 7 milliards et qui augmente encore, avec, surtout, un mode de vie tel que depuis le milieu des années 1980, l’humanité consomme les ressources naturelles renouvelables plus vite que celles-ci ne sont susceptibles de se reconstituer (il nous faudrait déjà une demie planète supplémentaire pour que le rythme de consommation actuel soit pérenne), nous allons au devant de difficultés majeures au cours de ce siècle. Pour éviter des catastrophes de grande ampleur, il serait urgent de retrouver le sens de la mesure, d’accepter notre finitude dans un monde lui-même fini.

Là réside le plus grand danger du trans- ou du posthumanisme : détourner l’attention des questions brûlantes qui méritent vraiment toute notre attention, alimenter des fantasmes de surpuissance au moment où il faudrait accepter de mettre des limites à la puissance et assumer une communauté de destin, bercer de chimères quand il faudrait se confronter à la réalité, promettre à l’humanité une échappée hors d’elle-même quand elle devrait avant tout se réformer pour continuer à vivre, et mieux vivre. 

 

 

1. Avis 122 du Comité consultatif national d’éthique « Recours aux techniques biomédicales en vue de ‘neuro-amélioration’ chez la personne non malade : enjeux éthiques » –

2. D’abord au Centre de mathématiques Laurent Schwartz (1989-2008),  puis au Centre de recherche en épistémologie appliquée (2009-2012), aujourd’hui à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques. Olivier Rey a déjà publié sur les sujets de sciences et techniques, comme par exemple  Itinéraire de l’égarement (2003) ou Une folle solitude : Le fantasme de l’homme auto-construit (2006)

Olivier Rey

Olivier Rey

Expert

Olivier Rey est né en 1964 à Nantes. Chargé de recherche au CNRS, d’abord au Centre de mathématiques Laurent Schwartz (1989-2008), puis au Centre de recherche en épistémologie appliquée (2009-2012), aujourd'hui à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, il a enseigné à l'École polytechnique (1991-2006) et enseigne depuis 2005 à l'Université Panthéon-Sorbonne. Il a publié plusieurs ouvrages dont le premier, intitulé Itinéraire de l'égarement - Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (Seuil, 2003), étudie la façon dont la science moderne s’est constituée et par quelles voies elle en est venue, avec la technique qu’elle inspire, à capter l’essentiel des forces spirituelles et matérielles des sociétés occidentales. Une folle solitude – le fantasme de l’homme auto-construit (Seuil, 2006), prolonge la réflexion en partant d’un fait concret : le changement d’orientation des enfants dans les poussettes qui s’est opéré au cours des années 1970 – symptôme de la propension des sociétés modernes à tourner le dos aux héritages qui les fondent. Plus récemment Le Testament de Melville (Gallimard, 2011) entend montrer, à travers une étude du chef-d’œuvre posthume de Herman Melville, Billy Budd, marin, la puissance de la littérature pour explorer les questions éthiques et esthétiques. Olivier Rey est également l’auteur d’un roman, Après la chute (PGDR, 2014).

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