Depuis 1994, la France a connu une évolution significative de sa législation concernant la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Ce qui était autrefois strictement interdit est désormais autorisé sous certaines conditions, soulevant des questions éthiques cruciales. Retour sur trois décennies de changements législatifs qui ont progressivement ouvert la voie à des pratiques scientifiques auparavant impensables.
De l’interdiction absolue à la dérogation
En 1994, la loi française était catégorique : toute recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires était formellement interdite. Cette position était claire, sans appel, ancrée dans une volonté de protéger la dignité de l’être humain quel que soit son stade de développement.
Cependant, dès 2004, une première brèche s’est ouverte dans ce rempart législatif. Tout en maintenant le principe d’interdiction, la loi du 6 août 2004 a introduit la possibilité de dérogations ouvrant la porte à certaines recherches détruisant l’embryon humain. Ces dérogations étaient les suivantes : pertinence scientifique avérée, perspective de progrès thérapeutiques majeurs, et impossibilité d’être poursuivie par une méthode alternative d’efficacité comparable. Seuls les embryons “surnuméraires” issus de procédures de fécondation in vitro, et dont le “projet parental” a été abandonné, pouvaient être utilisés, avec le consentement explicite du couple.
En 2004, était créée l’Agence de la biomédecine (ABM) pour garantir et réguler la matière bioéthique. Elle a dans ses prérogatives l’autorisation des recherches sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines.
L’accélération du processus de libéralisation
La loi du 7 juillet 2011 a marqué une nouvelle étape dans cette évolution, en pérennisant et élargissant les dérogations. À titre d’exemple, la finalité thérapeutique de la recherche est supprimée, remplacée par une notion plus large de “progrès médicaux majeurs”. Paradoxalement, elle a également introduit une clause de conscience pour les chercheurs, témoignant des dilemmes éthiques soulevés par ces pratiques.
Le tournant décisif est intervenu avec la loi du 6 août 2013, qui a inversé le paradigme : l’interdiction de principe a été remplacée par une autorisation de principe, assortie de conditions. Ce changement fondamental dans l’approche législative a ouvert la voie à une expansion significative des recherches sur l’embryon.
Vers une libéralisation accrue
Les années suivantes ont vu sans surprise une accélération de cette tendance. En 2016, la recherche biomédicale sur les gamètes ou l’embryon a été autorisée, pour les besoins de l’assistance médicale à la procréation (AMP). L’embryon humain est utilisé dans le cadre d’un nouveau régime, en vue de son implantation et, ouvrant potentiellement la voie à des modifications génétiques avant la grossesse.
La loi du 2 août 2021 a marqué une nouvelle étape dans cette libéralisation sans fin. Elle a fait sauter d’autres lignes rouges consistant à :
- Différencier le régime juridique des recherches sur l’embryon (soumises à autorisation) de celui des recherches sur les cellules souches embryonnaires (soumises à simple déclaration). Cette dichotomie n’a pas de sens dès lors que le problème éthique est le même, c’est-à-dire la destruction de l’embryon ;
- Étendre la période de recherche possible sur les embryons de 7 à 14 jours ;
- Autoriser la recherche pour une simple “finalité médicale” ;
- Permettre la modification des caractères génétiques de l’embryon, ouvrant la voie à la création d’embryons transgéniques ou chimériques (cf. Projet de loi bioéthique : « Oui, les chimères ont raison d’effrayer »);
- Créer des “copies d’embryons humains” à partir de cellules souches embryonnaires humaines notamment (cf. « Embryons de synthèse » humains : les annonces se multiplient).
Des questions éthiques persistantes
Cette évolution législative soulève de nombreuses questions éthiques. En premier lieu, celle de la destruction d’êtres humains, membres de l’espèce humaine. La création d’embryons transgéniques ou chimériques, désormais autorisée, pose également des questions fondamentales sur les limites de la manipulation du vivant et ses conséquences sur l’espèce humaine.
Il est important de noter que malgré 25 ans de recherche dans le monde et des promesses ayant conduit à l’évolution des lois, aucune thérapie cellulaire utilisant des cellules souches embryonnaires n’a encore été validée et mise sur le marché. Les principales utilisations actuelles concernent l’industrie pharmaceutique pour le criblage de molécules et la modélisation de pathologies.
Autrement dit, on ne soigne pas des patients grâce à la destruction d’embryons humains (cf. Recherche sur l’embryon : pour quoi ?).
Des alternatives existantes mais peu utilisées
Des alternatives à l’utilisation d’embryons humains existent. En 2006, le professeur Yamanaka a découvert un moyen d’obtenir des cellules souches pluripotentes sans détruire d’embryons, appelées “cellules souches pluripotentes induites” (iPS). Elles sont aussi efficaces que les cellules souches embryonnaires, mais moins utilisées en France en pratique, car plus coûteuses et plus longues à produire, disent certains chercheurs.
Le recours à des cellules animales est une autre alternative, mais paradoxalement, la libéralisation de la recherche sur l’embryon humain a coïncidé avec une restriction progressive de l’expérimentation animale, portée par une forte mobilisation notamment de la ligue de protection des animaux. On assiste aujourd’hui à une préoccupation plus marquée sur l’utilisation des animaux en recherche que sur l’utilisation de l’embryon humain (cf. S’affranchir de l’expérimentation animale ?).
Un débat qui reste ouvert
L’évolution de la législation française sur la recherche embryonnaire ces trente dernières années témoigne d’une chose : la dérive appelle la dérive. Si cette évolution a ouvert de nouvelles perspectives scientifiques, elle a aussi soulevé des questions éthiques fondamentales qui restent en suspens.
Le débat est loin d’être clos. Les avancées scientifiques, en continuant de repousser les limites de ce qui est techniquement possible, et surtout le lobby de certains chercheurs, obligent régulièrement le législateur à se positionner. La société française doit prendre conscience que ce sujet n’est pas réservé qu’aux experts, c’est un sujet sociétal. Collectivement, comment la société considère-t-elle l’embryon humain ?
Les décisions prises aujourd’hui, dans le secret de laboratoires ou dans des débats politiciens, auront des implications profondes pour l’avenir de l’humanité.