A l’occasion du 41ème congrès international de la société de réanimation de langue française, l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sous l’impulsion de l’Agence de Biomédecine (ABM) a organisé le 7 février 2013 une audition sur le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé. La France permet déjà le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque non contrôlé, le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé pose une réelle question éthique.
-
Les greffes en France
« La première cause de mortalité en France liée à une greffe n’est pas une complication médicale ni un rejet mais l’absence de greffe » (Jean-Louis Touraine vice président de l’OPECST). La France manque de donneurs d’organes, et les patients inscrits sur les listes d’attente ne cessent d’augmenter. En 2011 on comptait 12 329 patients en attente pour une greffe de reins (30% de plus en cinq ans) et 2976 greffes de reins réalisées. Une piste proposée pour permettre plus de greffes est le prélèvement d’organe sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé.
-
Le protocole de Maastricht
Le protocole de Maastricht, établi en 1995 lors d’une conférence internationale de consensus, règlemente quatre catégories de donneurs à cœur arrêté. La France les a toutes adoptées, sauf la catégorie III qui donne lieu à trop de d’ambigüités éthiques. La première catégorie concerne les personnes décédées avant même d’arriver à l’hôpital et qui n’ont pas bénéficié de réanimation. La seconde concerne les personnes décédées par arrêt cardiaque à l’hôpital, et dont la réanimation a échoué. La catégorie IV concerne les personnes décédées par mort encéphalique et dont le prélèvement d’organes peut alors être planifié. Enfin la catégorie III ou M3 intitulé « dans l’attente d’un arrêt cardiaque » fait débat. Cette catégorie concerne des personnes vivantes, qui présentent un « problème neurologique majeur » et dont le pronostic vital est si mauvais que l’on décide d’arrêter tout traitement. L’arrêt cardiaque est alors contrôlé, et le prélèvement d’organes planifié.
-
Un risque d’euthanasie « altruiste ».
Dans ce dernier cas, alors que la personne est vivante, elle est déjà perçue comme «donneur potentiel». Dans ce cas les traitements sont arrêtés volontairement en sachant que cela provoquera un arrêt cardiaque. La question éthique qui se pose pourrait relever de l’euthanasie. Réglementer une telle catégorie de donneurs décédés après arrêt cardiaque dit « contrôlé » alors qu’ils sont encore vivants au moment de la décision médicale ne s’apparenterait-elle pas à une sorte d’ « euthanasie altruiste » ?
Certes, l’encadrement actuel rassure certains. Emmanuelle Prada Bordenave, directrice de l’ABM considère ainsi que le fait que réanimateurs et transplanteurs ne fassent pas partie des mêmes équipes garantit une différenciation nette entre la fin de vie et le don d’organes. Ou encore parce que la loi Léonetti doit être respectée, et avec elle la fin de vie. Et puis, le consentement des proches obligerait à penser les choses l’une après l’autre.
Cependant une telle catégorie de donneurs, même si elle tente de respecter une vraie différence entre la fin de vie et le don d’organe, ne fait-elle pas entrer un critère de jugement sur l’état de la personne ? En effet, l’arrêt cardiaque est provoqué lorsque le « pronostic est si mauvais ». L’évaluation de la qualité de vie de l’autre n’entrerait-elle pas en jeu, et le subjectivisme avec lui ?
En outre, le docteur Louis Puybasset, anesthésiste réanimateur, chef de service de neuroréanimation chirurgicale à la Pitié-Salpêtrière, présent à cette audition, relève le problème de la temporalité dans laquelle se trouveront les équipes médicales. En effet, « si l’on arrête les soins trop tôt chez cette catégorie de personnes, les organes seront en très bon état, mais le pronostic neurologique incertain. En revanche si l’on prend une décision plus tardive, le pronostic sera meilleur, mais le greffon risque de ne pas être bon ». Ainsi, même différenciées, les décisions d’arrêt de traitement et de don d’organes sont profondément liées, d’où le danger de hâter la mort en vue d’un prélèvement d’organe le meilleur possible. Le représentant de la société de réanimation de langue française confirme que cette catégorie 3 est une « pente glissante », et qu’il faudra être particulièrement vigilant à ne pas instrumentaliser le mourant comme un donneur, ce qui ne pourra se faire sans le respect à la lettre de la loi Léonetti.
La question risque de se poser de manière plus aigue si la loi Léonetti devient obsolète, et si l’euthanasie, comme le souhaite le gouvernement est légalisée. L’automaticité de la fin de vie se fera plus prégnante, et la programmation des dons d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé encore plus discutable. L’intégration de cette catégorie de donneurs dans la pratique pourrait se faire par la simple voie règlementaire. Certains parlementaires, comme Jean-Sébastien Vialatte, y sont favorables. Une telle question nécessiterait pourtant un débat public institutionnel.