A l’occasion de son 45ème anniversaire, le Quotidien du médecin a interrogé 45 « témoins » (médecins, experts, observateurs…) sur la médecine de demain.
Tous insistent sur le « lien humain » qui demeurera indispensable à travers les âges. « Il faudra toujours savoir écouter, palper et interroger les patients », explique le président de SOS médecins France, qui « ne croit pas qu’un robot puisse remplacer physiquement un médecin auprès d’un patient ». Un autre médecin généraliste montre que de « l’évolution de nos regards sur l’innovation, mais aussi sur la maladie, le vieillissement et la mort » dépendra la médecine de demain, qui sera soit « plus intrusive », soit « plus humaine ». Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste explique elle aussi que « la technicité de la médecine, pour être opérationnelle, nécessite une clinique des plus personnalisées, ayant besoin de temps, de confiance, et de partage des savoirs, très explicites ».
Le professeur Bernard Dechauvelle, chirurgien de la première greffe de visage, imagine pour sa part « un corps humain qui, à la naissance, laisserait dans quelques banques une réserve de cellules souches susceptibles le moment venu d’être ex vivo réactivées » pour remplacer l’organe défaillant. Il prévoit donc une médecine du futur « sans greffe tissulaire, ni allotransplantation ».
Le professeur Menasché, qui mène actuellement en France un essai clinique à partir de cellules souches embryonnaires humaines, avoue que « la greffe de cellules souches en cardiologie sera au mieux un traitement mais pas la révolution annoncée ». Il prédit une « thérapie cellulaire sans cellules », c’est-à-dire que les « cellules ne seront plus greffées, mais utilisées pour produire les facteurs sous-tendant leurs effets ».
Hervé Chneiweiss, neurobiologiste et président du Comité d’éthique de l’Inserm parle d’un cerveau « hybride dans sa matière mais [qui] conservera sa part d’humanité de par sa mémoire et son interaction avec d’autres. Il restera humain, trop humain… Et tant mieux ». Alain Fisher, directeur de l’Institut Imagine et titulaire au Collège de France, évoque lui aussi le transhumanisme, mais de façon plus critique : « Nous devons nous garder de transformer une médecine au service de la santé humaine en une quête vaine et non éthique d’une ‘amélioration’ de l’homme ».
René Frydman, père du premier bébé éprouvette en France estime que « la science peut presque tout, mais il est des lignes rouges à ne pas franchir : la commercialisation du corps ou des tissus et l’aliénation d’une autre personne ». Selon lui, « nous sommes dans l’avènement de la liberté de choix. Le défi reste d’encadrer cette liberté sans l’entraver ».
Le Quotidien du Médecin (9/06/2016)