La loi Leonetti relative à la fin de vie a 10 ans : Entre avancées et dérives

Publié le 21 Avr, 2015

Le 22 avril 2005 la loi Leonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie, était promulguée. Elle avait été votée les jours précédents, le 12 avril 2005, à l’unanimité. Mais elle suscitait déjà débats et inquiétudes : n’était-on pas en train d’autoriser une euthanasie passive, une «euthanasie par omission » ?

 

Les apports de la loi Leonetti 

 

Cette loi avait rencontré l’approbation du corps médical pour plusieurs raisons :

 

  • Elle refuse l’obstination déraisonnable, plus communément appelée « acharnement thérapeutique ».
  • Elle permet l’arrêt des traitements lorsqu’ils sont considérés comme disproportionnés ou n’ayant d’autres effets que le seul maintien artificiel de la vie.
  • Elle applique la théorie du double effet qui consiste à traiter la douleur au risque d’abréger la vie.
  • Elle insiste sur le respect de la volonté du patient.
  • Elle institue la décision collégiale en cas d’arrêt de traitement lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté.

 

Ces apports étaient bénéfiques pour les patients ainsi que pour les professionnels, comme l’explique  Maître Jean Paillot, avocat au Barreau de Strasbourg, membre du Conseil de l’Ordre et expert au Conseil de l’Europe : « La loi Leonetti de 2005 était un texte équilibré, résultant de huit mois de travail parlementaire intense. Cette loi n’était pas parfaite, et malheureusement certaines zones d’imprécision juridique avaient été rapidement mises en évidence. Et cependant, les orientations générales de ce texte étaient bonnes, et notamment la possibilité de mettre fin à un traitement devenu déraisonnable. »

 

Dix ans plus tard, il apparait que ces dispositions, insuffisamment connues, ont été peu appliquées.

 

La faille de la loi Leonetti

 

Les imprécisions juridiques de la loi Leonetti étaient essentiellement liées à la nature des traitements qui pouvaient être arrêtés à la demande du patient ou dans le cadre de la décision collégiale. A la lueur des débats de l’hémicycle, il s’est avéré que l’esprit du législateur comprenait dans les « traitements » l’hydratation et l’alimentation artificielles. L’« Affaire Vincent Lambert » va en révéler les ambigüités et mettre en lumière des dérives euthanasiques.

 

Vincent Lambert, hospitalisé au CHU de Reims, est en état de « conscience minimale plus » depuis son accident de voiture en 2008. S’il n’est plus en mesure de communiquer, il n’est pas en fin de vie. Il a besoin d’être hydraté, nourri, sollicité. En 2012, le Dr Kariger, décidait collégialement que le cas de Vincent Lambert relevait de « l’obstination déraisonnable » et qu’il fallait arrêter les « traitements » : l’hydratation et l’alimentation artificielles. Cette décision a été appliquée pendant plus de 30 jours avant qu’un tribunal administratif ne la juge invalide du point de vue de la procédure. Fin juin 2014, le Conseil d’Etat, sollicité notamment par Marisol Touraine, déclarait légale la décision prise par le Dr Kariger de cesser les « traitements » de Vincent Lambert. La Cour européenne des droits de l’homme, alors saisie par les parents de Vincent Lambert, a ordonnée la suspension provisoire de la décision du Conseil d’Etat. La CEDH tient actuellement une Chambre sur l’affaire « Lambert et autres contre France ». La date de la décision n’est pas encore connue.

 

Les dérives accentuées par la PPL Claeys-Leonetti de 2015

 

Ainsi, la loi de 2005 semble avoir ouvert une brèche en permettant l’ouverture ultérieure d’un droit à la sédation profonde et continue, et la mise en place des directives anticipées contraignantes. Des mesures qui ont été toutes deux été adoptés par l’Assemblée nationale en première lecture de la proposition de loi Claeys/Leonetti le 11 mars 2015. En effet, l’alimentation et l’hydratation artificielles, considérées comme traitement, se trouvent au cœur du dispositif de la nouvelle loi (cf. Gènéthique vous informe du 20 janvier 2015). Aussi, pour Maître Paillot, la révision du texte est une façon d’introduire l’euthanasie active sans le dire : « La révision de 2015 n’est pas à la hauteur du texte initial car non seulement elle ne corrige pas les imprécisions du premier texte, mais elle les aggrave. Ainsi, la révision de la loi Leonetti continue à s’intituler « Loi accordant des droits nouveaux aux malades et aux personnes en fin de vie » alors qu’elle s’applique désormais également aux personnes handicapées, depuis l’arrêt du Conseil d’Etat concernant Vincent Lambert. Pourquoi ne pas le dire ? La révision ne propose toujours aucune définition des traitements et des soins, qui induisent pourtant deux régimes juridiques distincts. Cette réforme ne fait aucune distinction entre l’alimentation entérale[1] et l’alimentation parentérale[2], toutes deux considérées comme des traitements, alors qu’il s’agit de pratiques médicales très différentes, ce qui est une façon d’introduire subrepticement et sans le dire l’euthanasie par omission de soins proportionnés dans notre droit positif. Les critères d’arrêt de traitement (surtout lorsqu’il s’agit d’alimentation) sont toujours aussi flous – parce que non définis précisément. La décision de mettre fin à un traitement relève toujours du seul médecin, alors qu’elle devrait être, comme le CCNE le recommande, une décision consensuelle. Quant à rendre des directives anticipées contraignantes, cette évolution posera bien plus de difficultés qu’elle n’en résoudra.

Au final, cette révision n’a comme véritable objet que d’éviter officiellement l’introduction de l’euthanasie active dans notre droit positif. Mais c’est au prix de l’introduction de l’euthanasie passive, et d’une euthanasie passive qui avance masquée derrière certains arrêts de traitements de personnes handicapées dont on ne voudrait plus. C’est de la pure et simple hypocrisie. »

 

[1] Alimentation entérale : une sonde est introduite par le nez ou le ventre, pour apporter les nutriments directement dans le système digestif.

[2] Alimentation parentérale : c’est une perfusion intraveineuse qui apporte les nutriments dans le sang (utilisée lorsque l’alimentation entérale n’est plus possible.)

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