Le 4 mars 2002, la loi relative aux droits des malades mettait un terme à la jurisprudence Perruche, au grand soulagement des familles de personnes handicapées, de nombreux juristes et des médecins. Or, le 14 avril 2010, la mère d’un enfant handicapé, par une nouvelle procédure juridique, demande que le Conseil Constitutionnel statue sur l’inconstitutionnalité de la loi anti-Perruche. Depuis le 1er mars 2010 en effet, en application de l’article 61-1 de la Constitution, précisé par la loi organique du 10 décembre 2009 entrée en vigueur le 1er mars 2010, tout justiciable à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative ou judiciaire, peut soutenir par une question prioritaire de constitutionnalité “qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit“.
En décembre 1995, Mme Viviane L., a donné naissance à Loïc, un petit garçon atteint de la myopathie de Duchenne. Or en raison d’antécédents familiaux, elle avait demandé à l’hôpital Cochin (Paris) si elle était conductrice de la maladie et avait obtenu une réponse négative. Après la naissance de son fils handicapé, elle entreprend alors, avec son mari aujourd’hui décédé, une action en justice contre l’hôpital Cochin pour obtenir réparation du “préjudice” de cette naissance. Arnaud Lyon-Caen, son avocat, s’oppose à la disposition de la loi du 4 mars 2002 qui, dit-il, ne permet “que les parents n’aient droit qu’à une réparation partielle de leur préjudice lorsqu’une information erronée les a privés de la possibilité d’avorter un enfant handicapé“. Selon lui, le “dispositif anti-Perruche […] est contraire au principe de réparation intégrale rappelé par le Conseil constitutionnel.”
Perruche, Quarez et rétroactivité
Dans cette affaire n° 329290, ce sont donc les dispositions introduites à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles par le I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades qui sont visées. Ces dispositions interdisent avant tout à quiconque de “se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance“, rejetant ainsi l’arrêt Perruche, mais elles limitent aussi la responsabilité d’un professionnel pour la naissance d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse ‘au seul préjudice’ des parents et si une ‘faute caractérisée’ du médecin peut être identifiée, rejetant là l’arrêt Quarez du Conseil d’Etat.
Né d’une erreur médicale ?
C’est au regard, notamment, de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fonde le principe de responsabilité, donc de la réparation d’un dommage causé à autrui, que la constitutionnalité de ces dispositions est contestée. Il serait considéré comme “inconstitutionnel d’empêcher l’enfant né handicapé à la suite d’une erreur de diagnostic prénatal de solliciter la réparation du préjudice résultant de son handicap“. Pourtant l’enfant n’est pas né handicapé à la suite d’une erreur de diagnostic. L’enfant est né à la suite de sa conception et son handicap est génétique. L’existence de l’enfant n’est pas la conséquence d’une erreur médicale.
Enfin, la constitutionnalité de la rétroactivité de la loi de 2002 est également contestée, rétroactivité que la Cour européenne des Droits de l’homme avait déjà condamnée en octobre 2005 sans contester sur le fond la Loi anti-Perruche : “La loi du 4 mars 2002 a été adoptée à l’issue de débats parlementaires approfondis qui ont tenu compte de considérations d’ordre juridique, éthique, social, ainsi que de raisons liées à la bonne organisation du système de santé et au traitement équitable de l’ensemble des personnes handicapées.”1
Inquiétude chez les médecins
Cette remise en cause de la loi est source d’inquiétude dans les rangs des médecins. Pour le Pr. Lansac, du Collège national des gynécologues et obstétriciens de France (CNGOF), “les médecins ne sont pas à l’abri de fautes” mais “on ne peut pas leur tenir rigueur de tout !” “Nous faisons en sorte que la grossesse et l’accouchement se passent bien, mais ce n’est pas nous qui faisons l’enfant“, remarque-t-il avant d’avouer que certains de ses collègues sont malheureux d’avoir à “faire le ménage parmi tous ces enfants. Nous ne sommes pas là pour tuer tous les handicapés“.
1- CEDH, 6 octobre 2005, Draon c/ France et Maurice c/ France (requêtes n° 151303 et n°11810 /03)