La loi bioéthique 2021 soumise à la censure du Conseil constitutionnel

Publié le 6 Juil, 2021

Hier, 80 députés ont déféré à la censure du Conseil constitutionnel la loi bioéthique 2021. Les députés de l’opposition exercent leur droit constitutionnel pour exprimer leur opposition politique, anthropologique, et surtout juridique à ce texte transgressif, voté la semaine dernière par la majorité en place (cf. La France se dote d’une 4ème loi dite « bioéthique »).

Les saisissants demandent à être auditionnés

Les députés saisissants entament leur recours par une demande procédurale inédite. La procédure habituelle prévoit que le Conseil constitutionnel examine la requête des parlementaires dans le plus grand silence, et publie sa décision définitive sans débat. Pour ce recours qui vise une loi aux enjeux anthropologiques majeurs, les saisissants demandent, pour la première fois, plus de visibilité et l’application du principe du contradictoire. Ils demandent à pouvoir bénéficier « d’une audition par le Conseil » pour des motifs d’intérêt général et de respect des droits de l’opposition.

La loi est faite pour « protéger la société », « poser des interdits, des limites au nom de principes éthiques »

Dans l’introduction de ce recours en inconstitutionnalité, les députés saisissants rappellent l’objet de la loi bioéthique : « fond[er] la protection de l’homme par rapport aux avancées médicales et scientifiques et limiter les dérives potentielles » peut-on lire dans le recours. Les saisissants dénoncent que les principes législatifs qui assurent la primauté de l’homme soient « systématiquement contournés ou abandonnés » par la loi bioéthique de 2021. « Toutes les limites posées en 1994 ont disparu. La “compétitivité internationale”, notion purement économique, la “sécurité juridique” des chercheurs, qui excède la simple liberté de la recherche, le besoin de développer “les connaissances” sont les arguments premiers, tandis que la protection de l’être humain est devenue secondaire. ». Les saisissants l’affirment : « le législateur prend pour argent comptant, ou même crédite le scientisme sans limite ». Ils dénoncent enfin le fait que le principe de précaution, suivi avec acuité lorsqu’il s’agit de l’animal ou de l’environnement, n’est pas appliqué pour l’embryon humain. Ce qui les amène à conclure : « l’environnement est désormais plus protégé que l’embryon […]. L’animal est désormais mieux protégé que l’embryon humain et ses cellules souches ».

Leur saisine est lapidaire : « ce texte aboutit à faire de la science le seul déterminant de l’éthique ».   

Les articles déférés à la censure

Les députés saisissants soumettent ensuite au Conseil l’inconstitutionnalité de quelques articles de la loi. Cette énonciation ne lie pas les Sages qui pourront d’office examiner les autres. Les articles dénoncés par les députés saisissants sont les suivants :

L’article 3 qui n’exclut pas les personnes majeures sous tutelle ou curatelle de la catégorie des donneurs de sperme. Le bénéfice du don étant seulement cantonné à l’âge (être majeur).

L’article 5 qui fixe de façon limitative la composition de la commission d’accès aux origines sans garantir l’indépendance de ses membres, ni définir leur statut, ni fixer les voies de recours contre ses décisions.

L’article 20 (ancien article 14) en ce qu’il permet la recherche sur l’embryon à 14 jours, et la recherche sur l’embryon pour la « connaissance de la biologie humaine ». Les motifs invoqués par les saisissants sont les suivants : imprécision de la formulation, disposition qui excède la protection de la santé, absence de limite opératoire à la recherche. Est aussi dénoncée l’absence de vérification par l’ABM du consentement des parents au motif que cela porte atteinte à la « liberté personnelle », ainsi que la rupture d’égalité entre les laboratoires habilités à conserver les embryons humains et les autres.

L’article 23 (ancien article 17) qui prévoit la création d’embryons transgéniques et chimériques. Les saisissants dénoncent le fait que cette disposition introduit la notion d’« espèce » dans le code de la santé publique, la « mixtion entre l’homme et l’animal » qui « n’opère plus de distinction entre les espèces ». L’article autorise des pratiques hypothétiques, ouvre la voie à l’eugénisme, ne pose aucune autre limite à l’eugénisme que celle législative et mouvante, porte atteinte à l’intégrité du patrimoine génétique et au principe de précaution.

L’article 25 qui prévoit que l’information prénatale est délivrée à la mère, qui seulement « si elle le souhaite » en informe « son conjoint ou sa conjointe ». Les saisissants dénoncent que cette disposition porte atteinte à la liberté personnelle de l’autre membre du couple, au « droit au mariage » qui nécessite assistance mutuelle et accueil des enfants, et nie « la notion de famille ».

Quelles sont les attentes ?

L’attente que la loi bioéthique 2021 soit déclarée inconstitutionnelle reste très faible, pour ne pas dire inexistante. En effet le recul des dernières lois de bioéthique a montré que le Conseil constitutionnel n’a pas pour habitude de poser des exigences éthiques mais plutôt d’aller dans le sens de la majorité politique en place. Le Conseil constitutionnel pourra se saisir d’office de l’ensemble de la loi, au-delà des articles invoqués par les députés saisissants. Il est donc à craindre que les Sages valident l’entièreté de la loi, laissant ainsi penser aux citoyens que ce texte porte des valeurs bioéthiques fortes. Il suffit de relire la loi pour voir qu’il n’en n’est rien (cf. [Infographie] : ce que contient la loi de bioéthique 2021). La loi bioéthique 2021 est une nouvelle occasion de rappeler qu’aujourd’hui ce qui est légal n’est pas forcément moral. Ce qui est déclaré constitutionnel non plus…

La décision du Conseil Constitutionnel est attendue d’ici quelques jours ou à la fin du mois.

Lucie Pacherie

Lucie Pacherie

Expert

Lucie Pacherie est titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Elle s’est spécialisée en droit de la santé et responsabilité médicale et est juriste de la fondation Jérôme Lejeune depuis 2010. Elle est co-auteur du livre Les sacrifiés de la recherche publié en 2020.

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