« Depuis plus de vingt ans, les Pays-Bas expérimentent l’euthanasie dans un cadre présenté comme strict, balisé, éthique. Pourtant, les chiffres publiés dans le dernier rapport du comité d’examen, daté du 24 mars, racontent une autre histoire. Celle d’un élargissement constant, d’une banalisation progressive et d’un basculement culturel silencieux. »
Dans une tribune publiée par le journal le Monde, le professeur néerlandais d’éthique de la santé et ancien membre d’un comité d’examen de l’euthanasie, Theo Boer, dresse un constat sans appel.
L’euthanasie devient « une fin de vie parmi d’autres »
« En 2024, le nombre d’euthanasies a connu une nouvelle hausse de 10 % », indique-t-il (cf. Pays-Bas : près de 10 000 euthanasies en 2024). « On aurait pu penser que le phénomène atteindrait un plateau », mais « il n’en est rien ». « La dynamique repart de plus belle », traduisant « une tendance structurelle ».
Les euthanasies sont à l’origine de 5,8 % des décès constatés aux Pays-Bas en 2024. « En 2017, dans certaines régions, ce pourcentage atteignait déjà 15 %, et on s’attend à ce qu’il ait augmenté depuis lors », souligne le professeur. « L’euthanasie n’est plus exceptionnelle : elle devient, dans bien des cas, une fin de vie parmi d’autres. »
Dans ce contexte le gouvernement néerlandais a lancé une enquête sur les raisons de cette augmentation mais le Parlement doit prochainement examiner une proposition de loi visant à autoriser toute personne de plus de 74 ans à recourir au suicide assisté, « même en l’absence de pathologie grave », sur le seul critère d’âge (cf. Suicide assisté après une « vie accomplie » : l’opposition de l’Association royale des médecins néerlandais).
« La logique interne du système pousse toujours à élargir »
Le professeur précise ne pas être « un adversaire acharné de l’euthanasie » et avoir cru, alors qu’il était membre d’un comité d’examen de l’euthanasie, qu’« un cadre rigoureux pouvait prévenir les dérives ». Mais « chaque ouverture du champ de l’euthanasie crée de nouvelles attentes, de nouvelles demandes, une nouvelle normalité. La logique interne du système pousse toujours à élargir », observe Theo Boer.
« Je suis convaincu que sa légalisation n’apaise pas la société : elle l’inquiète, la transforme, la fragilise », affirme le professeur d’éthique. « Elle modifie notre rapport à la vulnérabilité, à la vieillesse, à la dépendance, détaille-t-il. Elle introduit l’idée que certaines vies, dans certaines conditions, ne valent plus la peine d’être vécues – ni même d’être soignées. »
« Apprenez de notre expérience. Il est encore temps », interpelle-t-il (cf. Euthanasie aux Pays-Bas : « Regardez ce pays et vous verrez peut-être la France de 2040 »).
Source : Le Monde, Theo Boer, professeur d’éthique néerlandais : « J’ai cru qu’un cadre rigoureux pouvait prévenir les dérives de l’euthanasie : je n’en suis plus si sûr », Theo Boer (07/04/2025)