La décision du docteur Sanchez place une nouvelle fois Vincent Lambert au seuil de la mort

Publié le 12 Avr, 2018

Alors que le docteur Sanchez du CHU de Reims vient de décider, à l’issu d’une quatrième procédure collégiale, de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert. Jean Paillot, avocat des parents de Vincent Lambert, réagit pour Gènéthique.

 

Gènéthique : Le docteur Sanchez vient de clore la quatrième procédure collégiale, vous attendiez-vous à sa décision ?

Jean Paillot : Nous étions partagés. Nous avons fait valoir de très bons arguments soit comme avocats, soit par le biais du médecin expert qui a été désigné par nos clients. Ce médecin est le meilleur expert qui soit de patients en état pauci-relationnel ou végétatif (EVC/EPR) : après 40 ans comme chef de service d’unité de soins pour patients de ce type, elle est devenue formatrice d’équipes médicales EVC-EPR. Elle a été effarée d’entendre ce qui se disait pendant la procédure collégiale et elle a adressé ses remarques au docteur Sanchez. Puis 23 médecins spécialistes de la prise en charge de ces patients ont également écrit directement au docteur Sanchez, afin de lui demander, pour des raisons médicales, de ne pas interrompre la vie de Vincent. Nous pensions de ces éléments étaient de nature à influencer le médecin, mais visiblement, il n’en a rien été : il a refusé de voir la réalité, cette réalité le dépasse. Le docteur Sanchez est gériatre, il n’avait aucune connaissance particulière de ce type de patients avant d’arriver à Reims. Il a montré qu’il était incapable d’écouter : la procédure collégiale aurait dû impliquer ici une discussion contradictoire qui n’a jamais eu lieu. Sa décision est en réalité assez pauvre dans l’analyse et interroge : le docteur Sanchez aurait-il été missionné pour prendre une décision en vue de mettre fin à la vie de Vincent Lambert ?

 

G : Quel est le contenu de cette décision ?

JP : Le Docteur Sanchez a décidé d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès accompagnée de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation. Ce qu’il propose, c’est en réalité une euthanasie au sens strict. En effet, Vincent Lambert n’a aujourd’hui aucun autre soin que l’alimentation et l’hydratation entérales, sinon des soins ponctuels de routine.

Vincent est un patient qui, comparé à d’autres patients dans la même situation, va plutôt bien. Il n’est pas trachéotomisé, il respire seul, ses fonctions vitales sont normales, il vit sans le support de machines. Voilà 10 ans maintenant qu’il est dans cette situation médicale, qui n’a pas particulièrement changé depuis que son état est consolidé, il n’est pas en fin de vie et de nombreux médecins se demandent quelles raisons ont conduit à relancer la procédure maintenant ? Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? La nouveauté tient à François Lambert, son neveu, qui a demandé cette nouvelle procédure collégiale. Il n’y a pas de raisons médicales, personne ne tient compte des évolutions positives de l’état de santé du patient.

Comme le docteur Kariger, le docteur Sanchez est un gériatre, un homme chargé d’accompagner la fin de vie. Or dans une unité de soins EVC/EPR, ce qu’on cherche à élaborer avec le patient, sa famille, c’est un projet de vie. On est sur deux philosophies complètement différentes. Le seul projet qui soit proposé pour Vincent Lambert depuis 2013 est un chemin de fin de vie. C’est ahurissant.

 

G : Le docteur Sanchez justifie sa décision en utilisant l’argument de l’obstination déraisonnable. Est-ce légitime ?

JP : Cet argument ne semble fait que pour justifier la décision. Il est clair que nous ne sommes pas dans de l’obstination déraisonnable, mais dans une procédure d’euthanasie. Encore une fois, Vincent Lambert va beaucoup mieux que de nombreux patients dans son état, mais il est mal pris en charge actuellement. Avec une bonne prise en charge, il irait encore mieux. L’hôpital est responsable de la situation médicale de Vincent Lambert. Il est laissé dans un état de dépendance, sans stimulation, et il ne bénéficie pas des soins que requiert son état. On dit que Vincent souffre. C’est faux. Il est habituellement paisible. Quand les soins sont mal faits, quand il a un rhume, il manifeste un inconfort, un état de souffrance passager, mais il n’est pas dans une souffrance réfractaire et il a habituellement un visage apaisé. Et il est aussi faux de dire que Vincent n’a aucune relation avec son entourage.

Pourquoi cet acharnement ?

 

G : Quelles sont désormais les perspectives ? Que va devenir Vincent Lambert ? Sa mère vient de publier une tribune dans le Figaro est-ce le dernier espoir ?

JP : Il est normal que la mère d’un condamné à mort cherche à s’adresser au président de la République, c’est un réflexe normal. Les avocats ont cependant les moyens d’agir pour que la justice puisse dire que Vincent Lambert n’est pas en situation d’obstination déraisonnable mais qu’on veut lui imposer une euthanasie alors que c’est une pratique qui est strictement interdite dans le droit français. Nous sommes en train de rédiger un recours qui sera déposé au tribunal administratif de Châlons dans les jours qui viennent. Derrière l’enjeu juridique, il y a un enjeu humain : quand Vincent sera-t-il pris en charge dans un établissement adapté ? Un handicapé lourd ne doit pas être euthanasié, les personnes les plus fragiles ne doivent pas être supprimées.

 

G : Vous avez déjà eu recours de nombreuses fois à la justice sans obtenir gain de cause. Pourquoi envisagez-vous que la situation puisse être différente cette fois-ci ?

JP : Nous avons également gagné un certain nombre de procédures pour le compte de Vincent. Mais il est vrai que nous n’avons pas toujours eu gain de cause. Cette fois-ci, la donne a changé. Au cours de la dernière procédure collégiale, on a assisté à une prise de conscience de la part de nombreux médecins spécialistes de ces états de la situation réelle de Vincent Lambert. Et ces médecins disent stop ! 24 médecins ont écrit au docteur Sanchez. Manifestement, s’il n’y a pas  de consensus familial, il n’existe pas non plus de consensus médical autour de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation. Non seulement il n’y a pas de consensus mais les meilleurs spécialistes disent qu’ils ne sont pas d’accord. J’ai l’espoir que la justice les entende et qu’une décision raisonnable soit enfin rendue.

Jean Paillot

Jean Paillot

Expert

Avocat au barreau de Strasbourg depuis 1992, expert au Conseil de l’Europe pour le compte du Saint-Siège depuis 2012. Enseignant en droit de la Santé à l’Institut Politique Léon-Harmel (DU d’Ethique biomédicale délivré par l’Université Catholique d’Angers) depuis 2007.

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