Le 24 juin, le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny a ordonné à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du département francilien mais également à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) de prendre en charge la « transition de genre » de deux jeunes femmes se déclarant transgenres. Les caisses doivent verser « solidairement » à chacune des plaignantes, en plus de la prise en charge de l’acte, dont le montant s’élève à plus de 5.300 euros, 3.000 euros de dommages et intérêts en reconnaissance du « préjudice subi ».
Une « une inégalité d’accès à la santé » ?
En janvier 2020, l’une des assurées avait vu sa dysphorie de genre reconnue par la CPAM comme une affection longue durée (ALD). Cette reconnaissance lui permettait de bénéficier d’une prise en charge totale des interventions qu’elle a subies, à l’exception de sa mastectomie bilatérale réalisée en février 2021.
La CPAM avait motivé son refus sur la base d’un protocole de la Haute Autorité de Santé (HAS) datant de 1989 qui exigeait un suivi médical pendant deux ans par un chirurgien, un endocrinologue et un psychiatre. Dans sa décision, le tribunal indique en revanche que cette exigence a depuis été supprimée et que ces conditions imposées par la CPAM étaient « contraires aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme comme de nature à créer une inégalité d’accès à la santé en fonction de l’identité de genre » [1].
L’avocate des deux plaignantes, Me Laura Gandonou, se réjouit de cette décision de justice qui, selon elle, acte « la reconnaissance de la transphobie » : « Le juge vient pointer l’impossibilité d’accéder aux soins et le lien avec la transidentité ». Toujours selon l’avocate des plaignantes, « le parcours de soins doit être le même pour les personnes transgenres et pour les autres » ; certaines CPAM créeraient « des conditions surabondantes » pour obtenir le remboursement de « soins liés à la transition de genre »[2].
Une première affaire au début des années 2000
Au début des années 2000 déjà, une femme ayant été opérée pour « devenir homme » dans une clinique privée en 1996 demandait le remboursement des interventions, se heurtant en cela à l’opposition de la CPAM. En mars 2002, la Cour d’appel d’Amiens a donné gain de cause à la Caisse d’assurance maladie, affirmant que « la nomenclature générale des actes professionnels, qui dresse la liste des actes médicaux remboursables » n’inclut pas « les actes liés au transsexualisme ».
Cet arrêt a été ensuite cassé par la Cour de cassation qui a statué qu’« aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit la prise en charge d’actes médicaux pour la raison qu’ils sont liés au transsexualisme ». Ces actes, s’ils figurent à la nomenclature générale des actes professionnels, doivent donc être remboursés[3].
Le contenu de l’arrêt a été repris par la Haute Autorité de Santé elle-même, dans son dernier rapport de 2009 : « Bien qu’il représente le seul outil disponible sur lequel s’appuie la caisse, ce protocole ne repose sur aucune base légale » ; puis en 2011 dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales qui ajoute que ce protocole est « unanimement considéré comme obsolète »[4].
L’abandon de l’expertise psychiatrique : une revendication militante
En mai 2018, dans le Finistère, Evan demandait une prise en charge de sa mammectomie sans être soumis à une expertise psychiatrique comme le demande le protocole en question. Il a obtenu gain de cause auprès du tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper, qui a estimé qu’« aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit la prise en charge financière par les organismes de sécurité sociale d’actes médicaux réalisés pour le traitement du syndrome du transsexualisme ». Evan était soutenu par l’association Ouest Trans qui a affirmé que « selon la codification officielle des actes médicaux de la Sécurité sociale », aucun type de mastectomie n’est conditionné à une expertise psychiatrique. L’association a ajouté que « les deux seules conditions cumulatives pour cette prise en charge sont la preuve du caractère thérapeutique de l’acte d’une part, et qu’il figure sur la nomenclature générale des actes professionnels d’autre part »[5].
Comme l’indique son site web, Ouest Trans milite en faveur du « changement de marqueur de genre sur état civil sur simple consentement » et de la « dépathologisation et dépsychiatrisation effective des transidentités ». En d’autres termes, si un adulte ou un mineur se déclare transgenre et demande un traitement hormonal ou une intervention chirurgicale sans autre motif que son sentiment d’être transgenre, il faut accéder à sa demande sans condition et dans les plus brefs délais. Il ne faut surtout pas chercher les autres causes possibles à cette décision d’atteindre à son intégrité physique de façon irrémédiable.
Pourtant, ce qui est interprété comme la transidentité peut être en réalité un sentiment d’étrangeté à son corps lié à des psychopathologies, traumatismes ou trouble du spectre de l’autisme (cf. « Autisme et genre : associations et praticiens alertent »). Et il arrive qu’après une transition hormono-chirurgicale, des jeunes qui se déclaraient transgenres regrettent leur transition (cf. « “Détransition” de genre : un phénomène d’ampleur ? » ; « Australie : une « détransitionneuse » entame un recours en justice »). Tous les « détransitionneurs » interrogés déplorent le fait que les professionnels de santé aient ignoré la présence de troubles psychiques ou neuro-développementaux manifestes, alors que ces troubles étaient à l’origine de leur demande de transition [6].
Les cas s’enchaînent, toujours dans le sens de la prise en charge sans condition
Plus tard, en mars 2022, Capucine Hasbroucq obtient de la CPAM Roubaix-Tourcoing la prise en charge de sa mammectomie ainsi que des dommages et intérêts. (cf. « La CPAM condamnée à prendre en charge l’augmentation mammaire d’une femme transgenre »). Capucine Hasbroucq est à la tête de l’association Trans Santé France, aussi appelée FPATH, antenne du WPATH en France (cf. « Changement de genre chez les mineurs : la WPATH « coupable » d’une « fraude scientifique majeure et inqualifiable » »).
L’avocate Me Gandonou ainsi que 5 associations sont actuellement mobilisés pour représenter six autres personnes dans des affaires similaires à Lyon, Cahors, Toulouse et Grenoble.
Un autre recours s’inscrit dans cette série d’affaires. Le 14 mai, une femme de 31 ans a obtenu la prise en charge de sa mastectomie et des dommages et intérêts par décision de justice du tribunal de Strasbourg (cf. « La CPAM condamnée à prendre en charge la mastectomie d’un homme transgenre »). En plus d’invoquer l’invalidité du protocole de la HAS datant de 1989, le tribunal a établi, comme à Bobigny, que les exigences posées par la CPAM au requérant « sont contraires aux dispositions combinées des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme comme de nature à créer une inégalité d’accès à la santé en fonction de l’identité de genre ». Me Laura Gandonou s’est félicitée : « C’est la première fois qu’un juge français vient reconnaître le caractère discriminatoire du refus de la CPAM et l’atteinte à la vie privée. C’est inédit »[7].
Alors que le gouvernement prévoit 1,7 milliard d’euros d’économies sur les dépenses de santé en 2025 [8], serait-ce à la solidarité nationale de prendre en charge les interventions de personnes affirmant qu’elles ne souffrent d’aucune pathologie ?
[1] Le Monde avec l’AFP, L’Assurance-maladie condamnée pour avoir refusé la prise en charge de deux transitions de genre (24/06/2025)
[2] Ibid.
[3] Le Nouvel Obs, La sécu doit rembourser le transsexualisme (29/01/2024)
[4] Décision du Défenseur des droits n°2023-136 publiée le 4 décembre 2023
[5] Le Télégramme, Quimper. L’assurance-maladie devra rembourser le changement de sexe d’Evan (01/06/2018)
[6] D’après une enquête de Pauline Arrighi dans Les Ravages du genre, éditions du Cerf 2023
[7] Le Monde avec AFP, La justice ordonne à la CPAM du Bas-Rhin de prendre en charge une mastectomie dans le cadre d’une transition de genre (14/05/2025)
[8] AFP (25/06/2025)